Le point sur la situation au Cabo Delgado
Depuis le début de l’année, le nord du Mozambique a connu de nouvelles attaques sanglantes. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) dresse régulièrement des bilans de la situation au Cabo Delgado. Cette situation se détériore chaque jour un peu plus. L’évêque de Pemba, la principale voix à avoir alerté depuis 2017, a dû quitter le pays.
Palma attaquée : des dizaines de morts, 16 000 personnes en fuite
Le 24 mars 2021, la ville de Palma, au nord du Cabo Delgado et à quelques kilomètres des installations gazières de Total, a été attaquée. Le groupe appelé localement « Al-Chabab » a attaqué en masse. Daech a ensuite revendiqué l’attaque. La situation est confuse et les informations parcellaires. Il y aurait plusieurs dizaines de personnes mortes, dont plusieurs décapitées.
La population a pris la fuite, soit à pied dans le maquis, soit par bateau. Plusieurs centaines de personnes auraient fui vers la Tanzanie voisine, mais n’ont pas pu y accéder. Ce refus est peut-être dû au renforcement de la coopération Tanzanie-Mozambique contre le terrorisme. Dans tous les cas, le HCR a appelé la Tanzanie à respecter la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et celle de 1969 (spécifique à l’Afrique). Certaines personnes ont été transférées à Pemba quelques jours plus tard, par des avions de l’ONU. Cependant, depuis le 2 avril les transferts aériens et maritimes sont interrompus en raison du manque de sécurité, indique le HCR.
Human Rights Watch (HRW) fait état de centaines de personnes portées disparues. Des embarcations, certaines appartenant à Total, auraient transporté 1 300 personnes (dont ses employés) jusqu’à Pemba, la capitale située dans le sud de la province. Selon le HCR et HRW, des témoins auraient décrit des scènes d’une violence inouïe. Pourtant, difficile d’y voir très clair, car le gouvernement a interdit d’interroger les personnes arrivées à Pemba. De plus, les communications téléphoniques avec Palma sont coupées.
Alors que le gouvernement affirmait avoir repris le contrôle de la ville, Palma a de nouveau été attaquée le 15 avril. Un habitant qui était revenu après l’attaque du mois de mars a été décapité.
Le HCR tente de prendre en charge les personnes déplacées
Le HCR maintient des points de prise en charge dans différents districts de la province, comme Mueda, Montepuez et Pemba. La priorité est de loger les personnes qui arrivent (si possible, chez des proches). Il faut aussi prendre en charge les mineurs isolés, les femmes enceintes, les victimes de viols, les refoulés du droit d’asile en Tanzanie. À Pemba, le centre de conseil juridique de l’université catholique du Mozambique aide les personnes qui ont perdu leurs papiers d’identité (ou n’en ont jamais eu). Bien sûr, tous les aspects matériels doivent également être couverts (matelas et couvertures, soins de santé, accès à l’hygiène, etc.). Les populations locales doivent aussi être soutenues afin d’éviter les tensions.
Pour des questions de sécurité, plusieurs districts sont inaccessibles au HCR et autres acteurs humanitaires. Il s’agit des districts de Quissanga, Macomia, Meluco, Mocimboa da Praia, Muidumbe et Nangade.
Le HCR a reçu au 5 avril 2021, 39 % de ses besoins de financement pour la crise du Cabo Delgado (dont le total est de 19,2 M$ pour 2020-21)
Palma est-elle l’attaque de trop ?
D’après le quotidien portugais Público, cette attaque pourrait marquer un tournant, mais pas à cause de sa violence. Le conflit pourrait prendre une dimension internationale, car au moins sept étrangers cachés dans un hôtel ont été tués. De plus, Total, qui avait repris certaines activités le jour même (après un arrêt en 2020), les a de nouveau interrompues. L’entreprise française ne voit pas d’un bon œil les échecs des autorités mozambicaines. De manière générale, l’exploitation gazière privée d’Afungi est la plus grande du genre en Afrique. Les enjeux économiques et géopolitiques sont considérables.
Le Premier ministre portugais, António Costa, a rappelé au président mozambicain Filipe Nyusi que l’UE était prête à aider le pays à « résoudre les questions de fond », pas seulement « cet épisode ». Le Portugal assure ce semestre la présidence de l’UE. Le 12 mars, le ministre portugais de la Défense, João Gomes Cravinho, avait donné un entretien au journal européen Politico. Il y expliquait que le Portugal souhaite que l’UE contribue à la formation militaire des forces mozambicaines. Le pays a déjà engagé de telles actions, sur une base bilatérale.
Menacé, l’évêque catholique de Pemba a quitté le pays
L’évêque de Pemba, Luiz Fernando Lisboa, a quitté ses fonctions au Mozambique en février. Le Pape François l’a muté au Brésil, son pays d’origine. Le 11 avril 2021, Mgr Lisboa donnait un entretien au quotidien italien La Repubblica, dans lequel il expliquait avoir reçu des menaces d’expulsion, puis de mort, de la part du gouvernement mozambicain. Les menaces se sont faites plus précises depuis les critiques émises par la Conférence des évêques du Mozambique. Le Pape aurait insisté pour que Mgr Lisboa quitte le pays. L’évêque y a passé vingt ans, dont huit en tant qu’évêque de Pemba. Pendant ces vingt ans et de plus en plus ces dernières années, il n’a eu de cesse d’alerter les autorités de Maputo sur la détérioration de la situation au Cabo Delgado.
Les autorités catholiques locales avaient notamment alerté la capitale sur la présence de jeunes musulmans entrant en conflit avec les autres musulmans et manquant de respect à leurs autorités religieuses. Depuis, ces jeunes ont formé le premier noyau d’Al-Chabab. Ce phénomène a été bien décrit par les chercheurs spécialisés sur le Mozambique.
La situation continue de se détériorer
D’après le désormais ancien évêque de Pemba, la cause du conflit n’a pas grand-chose à voir avec la religion. C’est avant tout une question de ressources, de multinationales et de guerre, couplée à la pauvreté et aux questions ethniques. Pour preuve, il rapporte que les assaillants détruisent tant des mosquées que des églises et s’en prennent à toutes les populations. Peu importe que les revendications de Daech soient réelles ou pas (le doute subsiste encore), les insurgés cherchent à prendre le contrôle de réseaux économiques (gaz, or, pierres semi-précieuses).
Al-Chabab, dont certains membres portent des uniformes volés aux forces de sécurité, commet des exactions contre les populations. Cependant, elles sont aussi soumises aux violences commises par les militaires et les milices privées (notamment DAG). Des hélicoptères auraient bombardé des positions abritant à la fois des insurgés et des civils.
En décembre 2020, déjà, l’évêque affirmait que le Cabo Delgado pourrait difficilement prendre en charge plus de déplacés internes. En avril 2021, ils sont environ 700 000. Beaucoup de personnes ont fui dans le maquis et sont sans soutien. L’évêque rappelle qu’il a participé à deux reprises par des commissions de l’Union européenne. Sur place, il avait lancé un appel aux dons et à la solidarité, demandant notamment des couvertures pendant l’hiver. À Pemba, certaines familles locales en accueillent déjà deux, voire trois autres déplacés. Depuis l’attaque très meurtrière de Palma, le 24 mars, les missionnaires catholiques ont reçu l’ordre de quitter la ville. De son côté, le Pape a donné 100 000 euros en décembre 2020 pour aider les populations touchées par cette crise. Le 4 avril 2021, le Pape a également de nouveau rappelé la situation au Cabo Delgado à l’occasion de sa bénédiction Urbi et Orbi de Pâques.
Human Rights Watch dénonce aussi les exactions
Les informations dont dispose HRW vont dans le même sens que les observations de Mgr Lisboa. Dans sa contribution à l’Examen périodique universel de l’ONU pour le Mozambique (décembre 2020), l’organisation brossait un tableau sombre de la situation au Cabo Delgado. Elle y faisait état d’arrestations arbitraires, d’enlèvements, de tortures, d’usage excessif de la force contre des civils, d’intimidations et d’exécutions extrajudiciaires. L’armée semble s’en prendre même aux personnes déplacées arrivées à Pemba. Enfin, selon le Guardian, des jeunes filles ayant échappé à leurs ravisseurs ont relaté des enlèvements de masse de jeunes filles. Les jeunes femmes enlevées ont été mariées de force, violées ou vendues à des réseaux africains de traite.
Image : exercice de formation des forces armées à Pemba (2019), auteur : Marine US Europe-Afrique/US (6th fleet), domaine public