La polémique liée à un tweet d’Évian : retour sur ce litre d’eau qui a mis de l’huile sur le feu
La sphère médiatique fut récemment ébranlée par une polémique concernant le tweet de la société Évian le premier jour du ramadan. Il n’en a pas fallu davantage pour mettre de l’huile sur le feu.
La polémique du tweet d’Évian
13 avril 2021. Les musulmans de France entrent en période de ramadan. Le même jour, la marque Évian publie un tweet : « RT si vous avez déjà bu 1L aujourd’hui ! ».
RT Si vous avez déjà bu 1L aujourd’hui ! ????????
— evian France (@evianFrance) April 13, 2021
Cependant, le tweet n’est pas au goût de tout le monde. Et certains le font savoir, suspectant le caractère islamophobe du tweet. D’autres évoquent le moment choisi pour le moins surprenant d’un message publicitaire invitant à boire de l’eau le premier jour d’une période de jeûne. La société Évian présente donc ses excuses : « Bonsoir, ici la team Évian, désolée pour la maladresse de ce tweet qui n’appelle à aucune provocation ! ».
Bonsoir, ici la team Evian, désolée pour la maladresse de ce tweet qui n’appelle à aucune provocation!
????????✨— evian France (@evianFrance) April 13, 2021
Alors que la marque Évian pense éteindre les braises attisées, il s’ensuit un feu de forêt médiatique. Le fondement de l’incendie n’étant pas moins le tweet d’origine que les excuses mêmes de la marque d’eau minérale. Pour beaucoup, les excuses d’Évian n’ont pas lieu d’être.
Les réactions après le tweet d’Évian
Une grande partie de l’opinion française s’étonne des excuses de la société Évian. Le philosophe Raphaël Enthoven souligne le caractère démesuré de la situation par le biais d’un tweet ironique : « La première firme qui me parle de bouffe le jour de Kippour, je lui fais un procès pour offense ».
La journaliste Sonia Mabrouk retient, quant à elle, la visée politique des excuses d’une marque mondialement connue qui est « tout aussi grave que quand un élu est compromis avec l’islam politique pour des visées électorales ». Selon elle, « c’est un geste politique. En s’excusant, ils ont mis un doigt dans l’engrenage et c’est une forme de soumission. Et le mot n’est pas assez fort ». Pour sa part, l’éditorialiste Eric Brunet regrette les beaux jours de la liberté d’expression publicitaire. Ce temps de « la pub du XXème siècle, quand les marques ne craignaient pas de transgresser », confesse-t-il avant de conclure par ce qui suit : « À cette époque-là, Twitter n’existait pas. On était libre et on se marrait bien ».
Les personnalités du monde politique se sont, elles aussi, exprimées sur le sujet. Le député Eric Ciotti y voit la preuve que « pour certains islamistes, le jeûne musulman devrait s’imposer à tous ». Assimilant les reproches faits à la société Évian de « demande délirante », l’enseignante – et femme politique – Fatiha Agag-Boudjahlat estime que l’installation d’un « safe space religieux » (un espace religieux sûr) serait, ici, encouragée. Pour cette dernière, les non-musulmans se trouveraient contraints d’observer des règles religieuses qu’ils n’ont pas choisies.
Le tweet d’Évian : un conflit opposant « liberté d’expression » et « liberté de religion »
La polémique Évian revêt une sensation de « déjà vu ». En raison des principes juridiques qu’elle met en lumière, la polémique rappelle d’autres affaires récemment médiatisées, qu’il s’agisse de l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine ou de l’affaire Mila. Tous ces évènements ont ceci de commun qu’ils interrogent les rapports qu’entretiennent la liberté d’expression et la liberté religieuse. Les réseaux sociaux ayant, à chaque fois, eu un rôle à jouer.
La réaction des quelques insurgés du fameux tweet (suivie des excuses de la société Évian) semble témoigner d’une volonté de modifier la gestion de la liberté religieuse. En principe, il est requis que l’expression des croyances religieuses se manifeste dans les limites de l’ordre public et des libertés d’autrui (art. 10 de la DDHC et l’art. 18, al. 3 du PIDCP). Or, suivant le sens de la polémique, c’est à la liberté d’expression publicitaire de s’adapter à la liberté religieuse. Vu sous cet angle, l’autre n’aurait pour seul droit acquis, lors des périodes religieuses, qu’un droit de s’abstenir tout simplement.
L’outil de communication commerciale utilisé par Évian ne lui a pas été favorable. En effet, Twitter a servi de support plaçant les publications de la société d’eau minérale au pilori des critiques. Cette polémique montre que les marques restent craintives d’un possible « bad buzz » (mauvaise publicité) commercial. Que la leçon soit retenue : les réseaux sociaux sont des espaces incontestables de liberté d’expression. Néanmoins, ils responsabilisent les auteurs de publications des éventuelles répercussions de leurs propos.
Conclusion
En ces temps de crispation sociale, cette polémique montre qu’il est parfois hasardeux de tout dire, de tout faire et de tout contester avec témérité.
L’utilisateur d’un réseau social (qu’il soit un utilisateur, un entrepreneur, un commerçant, etc.) peut user de sa liberté d’expression dans les limites que lui impose la loi. Il est néanmoins de sa responsabilité personnelle de faire preuve de sagacité pour ne pas mettre de l’huile sur le feu des passions religieuses. Les polémiques actuelles l’invitent à prendre tout particulièrement en compte le contexte d’une société sensible aux droits et libertés d’autrui.
Le pratiquant d’un culte ne doit pas non plus faire preuve d’une susceptibilité excessive. Au contraire, il lui revient de cultiver les qualités tant inculquées dans l’ensemble des religions : l’indulgence, la considération, lesquelles découlent des valeurs morales que sont l’amour, la sagesse, la paix.