Talibans, droits des femmes : un combat perdu d’avance ?
Terreur, peur, atteintes aux droits de l’homme et de la femme, départs en cascade et assassinats. Tel est le quotidien de la majeure partie de la population depuis que les talibans ont repris le contrôle. En quelques jours, ce mouvement islamiste s’est emparé de l’Afghanistan et de sa capitale, Kaboul, le 15 août. Le départ progressif des Américains et la fuite du président Ashraf Ghani ont bouleversé la vie de ce pays.
Aujourd’hui, la discorde et le chaos règnent. Des milliers d’Afghans essaient de quitter le pays, en embarquant notamment dans les avions affrétés par les Occidentaux. Outre ces éléments, c’est dorénavant la condition des femmes et leur place dans la société qui interrogent. Comment les talibans traiteront les femmes ? Doivent-elles s’inquiéter d’un retour en arrière concernant leur statut et leurs droits ? Comment agir face à la menace ?
Un retrait américain aux conséquences plurielles
L’intervention américaine en Afghanistan est déclenchée au lendemain des attentats des tours jumelles en 2001. Elle avait pour objectif initial d’empêcher Al-Qaïda d’organiser d’autres attaques depuis l’Afghanistan. Après vingt ans de guerre, des milliers de décès parmi les militaires, soldats et civils, Joe Biden, président des États-Unis, annonce le 14 avril sa volonté de mettre fin à la présence américaine en Afghanistan, par le retrait des troupes déployées depuis 2001. Pour le président, « Nous sommes allés en Afghanistan à cause d’une effroyable attaque qui a eu lieu il y a vingt ans (…). L’objectif était clair et la cause était juste. ».
Il estime cependant qu’aujourd’hui, les raisons ne sont plus si claires, et il souhaite éviter à un cinquième président des États-Unis de gérer ce dossier, après que quatre avant lui aient dû administrer la complexe présence des Américains en Afghanistan. Si, selon le président, « Il appartient aux Afghans et à eux seuls de décider de leur avenir et de la manière dont ils veulent gérer leur pays », le départ des troupes américaines crée de nouveaux enjeux. La présence occidentale avait notamment permis une claire évolution des droits des femmes, la possibilité d’aller à l’école, d’étudier et travailler. Par l’acquisition de ces droits, de nombreuses femmes sont devenues docteures, artistes, juges, avocates, journalistes. Aujourd’hui, la situation des jeunes filles et femmes semble compromise, risquée et dangereuse.
Nouveau gouvernement et nouvelles lois, le retour des talibans au pouvoir
Deux jours après la prise de Kaboul, la première conférence de presse est organisée par les talibans. Le porte-parole, Zabihullah Mujahid, a alors affirmé que les talibans ont appris de leurs erreurs.
Malgré une idéologie et une croyance inchangées, le porte-parole a annoncé que la façon de gouverner serait sensiblement éloignée, et que de « nombreuses différences » seront observables. Ils ont abordé de nombreux enjeux sociétaux, le gouvernement, le droit des femmes, la presse, les médias et les étrangers.
Tout d’abord, ils promettent de mettre en place un nouveau gouvernement « islamique fort et inclusif », et d’ajouter de nouvelles lois à la Constitution du pays. Le porte-parole s’est aussi exprimé sur la volonté de mettre fin à la guerre qui ravage le pays, aux hostilités flagrantes avec « tous ceux qui se sont opposés aux talibans ». Pour pacifier le pays après une période fortement troublée, les talibans ont aussi déclaré que « tout est pardonné ».
Ces déclarations ont également servi à faire le point sur la situation des femmes dans le pays. Selon Zabihullah Mujahid, les femmes doivent respecter le port du voile et se soumettre à la charia.
Malgré un discours qui se voulait rassurant, l’arrivée des talibans au pouvoir effraie la communauté internationale. Les exactions réalisées par le pouvoir restent dans les têtes, avec en mémoire, beaucoup de violences, de privations et d’exactions. Le régime au pouvoir exécutait les meurtriers en public, tuait les homosexuels, et coupait les mains des voleurs. De façon plus large, il interdisait la culture, les jeux, la musique, la photographie et la télévision.
Une question épineuse reste le sort des femmes. Durant la conférence de presse, une femme portant un foulard et non la burqa a interrogé Zabihullah Mujahid. Le porte-parole des talibans semble avoir presque éludé la question du travail des femmes. Il a répondu in fine que le nouveau pouvoir prendrait une décision en accord avec la charia. Il affirme que es dernières pourront travailler, et ce « au même niveau que les hommes », tandis que les filles auront le droit d’accéder à l’éducation.
De quoi inquiéter toutes ces femmes, qui se remémorent logiquement les années 1996 à 2001. Ne pouvant ni travailler ni sortir sans chaperon masculin, les femmes ne pouvaient pas non plus s’instruire ou se cultiver. Les jeunes filles ne pouvaient pas aller à l’école. Les talibans revendiquaient le fouet et la lapidation à mort pour une femme accusée de crime comme l’adultère. Entre les souvenirs des restrictions imposées aux femmes de 1996 à 2001, le développement des libertés pour les femmes depuis une vingtaine d’années et le retour au pouvoir des talibans en 2021, les femmes craignent aujourd’hui pour leur avenir.
Quid du droit des femmes ?
Aujourd’hui, 40 % des élèves scolarisés sont des filles selon des chiffres, probablement surévalués, transmis par le gouvernement à HRW. Elles évoluent également dans tous les secteurs professionnels que les talibans leur interdisaient durant leur première expérience au pouvoir. Ces derniers temps, nombre de ces femmes ont été attaquées, dans les écoles et les maternités. Les fondamentalistes ont également commis des représailles contre certaines femmes journalistes.
Nous pouvons aussi citer l’exemple de la jeune Pakistanaise Malala. Elle a été visée d’une balle dans la tête dans le bus scolaire qu’elle prenait pour aller à l’école en 2012. Elle est fermement opposée aux interdictions que les talibans imposent concernant les droits des femmes et notamment l’éducation des filles. Malala s’impose aujourd’hui comme l’une des icônes les plus connues au monde. Notamment en raison de sa lutte active pour les droits des femmes et le droit à l’éducation.
En raison de son expérience sous l’emprise des talibans, Malala craint aujourd’hui pour ses sœurs afghanes. Pour cette jeune femme récompensée en 2014 par le prix Nobel de la paix, les filles et femmes afghanes « se retrouvent encore une fois dans une situation où je me suis moi-même trouvée : désespérées à l’idée qu’elles ne vont peut-être jamais être autorisées à revenir dans une salle de classe » ; « les dirigeants du monde entier doivent se rappeler qu’ils ont un rôle stratégique et important à jouer. Ils doivent adopter une position audacieuse en faveur de la protection des droits humains. En ce moment, ce n’est pas seulement important pour la paix en Afghanistan, ça l’est aussi pour la paix dans le monde », ajoute-t-elle.
Bien que le porte-parole des talibans ait affirmé le 17 août, lors de sa conférence de presse que le groupe autoriserait les femmes à travailler, et ce, « dans le respect des principes de l’islam », Malala Yousafzai souhaite que la communauté internationale apporte une réponse rapide pour empêcher les talibans d’agir en toute impunité. « Nous ne pouvons pas continuer à les laisser tomber », exprime-t-elle.
Face aux menaces, certaines femmes ont décidé d’agir en manifestant à Kaboul et dans les provinces. C’est par exemple le cas de Crystal Bayat, jeune Afghane de 25 ans, qui le 19 août, a gravi la colline de Wazir Akbar Khan avec le drapeau afghan sur les épaules. Le 18 août, sur les réseaux sociaux, les organisateurs de la manifestation en ont dévoilé le lieu. Le 19 août donc, cette jeune femme, sept amies proches et une trentaine d’hommes sont arrivés au lieu de rassemblement. D’autres individus les ont rejoints par la suite.
Comme elle l’explique, « Lorsque les talibans sont arrivés à Kaboul et qu’ils ont baissé et jeté les drapeaux afghans par terre, les remplaçant par leur drapeau blanc, je me suis sentie très mal. Je me suis dit que si je ne faisais rien aujourd’hui, des jours encore plus sombres arriveraient. Nous n’avons pas d’autre choix que d’être audacieuses ».
Quel que soit le prix à payer, certaines de ces femmes semblent prêtes à avancer malgré toutes les menaces « On entend dire des talibans que d’ici une vingtaine de jours, ils vont s’occuper de nous comme il faut. Que si, aujourd’hui, ils ne réagissent pas très sévèrement à notre encontre, c’est parce qu’ils […] cherchent à obtenir une légitimité. Une fois que les regards se détourneront de nous, les talibans vont commencer à s’abattre sur nous, anticipe Crystal Bayat. Mais de toute façon, notre vie à nous, les femmes, est un pari. Tous les jours, on sort dans la rue en se disant que c’est peut-être la dernière fois. »
Crystal Bayat représentait lors de cette manifestation la voix de milliers de femmes inquiètes face à un retour en arrière. Elle a de ce fait provoqué l’ire des talibans. Ces derniers profèrent des menaces. « Tu n’as pas d’honneur, sinon tu ne serais pas sortie de chez toi et tu ne crierais pas comme ça » et commettent des violences. « Nous sommes montés dans la voiture d’un ami. Les talibans ont arrêté notre voiture et ont tabassé les hommes avec nous ». Les tirs se sont multipliés. Crystal Bayat évoque des blessés par balles, du sang. De même, le 17 août, des présentatrices télé se sont présentées maquillées et laissant les cheveux et le cou visibles.
À l’international
De son côté, la France s’est largement prononcée en faveur de ces femmes afghanes en détresse. Le Sénat, notamment la délégation aux droits des femmes, a récemment annoncé son inquiétude quant à la situation des femmes afghanes. Puisque les talibans les considèrent comme des cibles, la délégation aux droits des femmes a appelé la communauté européenne et internationale à agir en faveur de ces femmes.
Si la délégation du Sénat explique qu’une attention constante doit être portée à toutes ces femmes, Annick Billon, leur présidente, a aussi fait part de son ressenti. « Alors même que les droits des femmes se sont trouvés fragilisés partout dans le monde en raison de la crise sanitaire, les femmes afghanes pourraient ne plus avoir le droit d’étudier, de travailler, ni parfois même de vivre. Notre devoir est de tout faire pour les protéger et de condamner le piétinement par les talibans des droits fondamentaux de toutes les femmes et les filles d’Afghanistan ».
À l’occasion d’une réunion spéciale du Conseil des droits de l’homme (CDH) sur la situation en Afghanistan, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet s’est exprimée sur les promesses des talibans concernant les droits des femmes.
« Une ligne rouge fondamentale sera la façon dont les talibans traitent les femmes et les filles. » Au centre de ses propos, la nécessité d’accorder aux femmes l’accès à une éducation secondaire et de composer un gouvernement « inclusif ». Ces éléments seront d’ailleurs significatifs de la bonne volonté des talibans de respecter leurs engagements.
Certains pays et ONG, considèrent cette résolution comme « stérile ». Certes, elle souligne la nécessité d’enquêter de façon transparente sur les susceptibles violations des droits humains. Néanmoins, elle n’intègre aucun procédé international d’investigation. Elle préconise juste à la Haute-Commissaire de présenter un rapport écrit avant mars/avril 2022.
Nasir Ahmad Andisha a affirmé que toutes les atteintes aux droits de l’homme auront de fortes conséquences. Quelques ONG et personnalités se sont exprimées quant aux décisions prises. Tout d’abord, l’ONG Human Rights Watch a déclaré que « Pour les défenseurs afghans des droits humains et les militants des droits des femmes, qui assistent avec horreur à l’effondrement de l’État de droit autour d’eux, [la résolution] est davantage une insulte qu’une réponse ». L’ambassadrice de l’UE, Elisabeth Tichy-Fisslberger a quant à elle déploré le fait que la résolution ne soit ni assez forte, ni assez ambitieuse pour répondre aux problématiques que pose la situation afghane.
Pour tous, il faut dorénavant que les talibans honorent les paroles et engagements prononcés par des actes. Beaucoup estiment qu’aujourd’hui, l’objectif du nouveau pouvoir est de se faire accepter par la communauté internationale. Cela passe par la promesse de respecter les femmes et les droits humains. Ce sont aujourd’hui des femmes, artistes, docteures, journalistes, juges qui craignent pour les droits des femmes, et plus largement, pour leur vie. Des fillettes, des adolescentes et jeunes femmes craignent de ne plus pouvoir étudier, se cultiver et s’instruire.
Image : Free Woman Writers, 2018