Afghanistan : pourquoi le retour des réfugiés hazara pose problème
Un demandeur d’asile afghan réfugié sur le sol australien se trouve désormais sous l’injonction de quitter le pays. Une affaire d’immigration qui revêt dorénavant une dimension humanitaire. Cet Afghan appartient à l’ethnie hazara, un groupe ethnoreligieux persécuté de longue date par les nouveaux maîtres de Kaboul. En pays taliban, le sort de cette minorité apparait plus que jamais fragile.
Après le départ des forces alliées d’Afghanistan, les atteintes aux droits de l’homme se sont multipliées. Elles visent plus spécifiquement les Hazaras, groupe chiite minoritaire, victime de longue date d’actes violents perpétrés par les insurgés islamistes. Tout comme de nombreux membres de la classe moyenne ou comme les activistes des droits de l’homme, les membres des minorités religieuses afghanes ont fui le pays massivement depuis septembre dernier. Cette dernière vague a poussé certains organismes de défenses du droit des demandeurs d’asile des pays d’accueil à lancer un appel pour un processus de régularisation plus humain, prenant en compte l’urgence des situations d’exil. Depuis 2013, l’Australie a accueilli quelque 23 mille Afghans en quête de sécurité. Cependant, le traitement de leurs statuts d’immigration varie considérablement de l’attribution de la résidence permanente à l’internement au long cours avant expulsion définitive.
Un renvoi forcé contesté par la justice australienne
Le 11 février, la cour fédérale de justice australienne a autorisé le renvoi en appel d’un cas de retour forcé en Afghanistan. Celui-ci concerne un demandeur d’asile réfugié dans le pays depuis plus de quatre ans. La décision dépendante du ministère de l’Immigration est contestée au motif que l’homme appartient à la minorité hazara. Ce groupe ethnoreligieux, presque exclusivement chiite, est victime de persécutions répétées de la part des Talibans et des groupes djihadistes tels que l’État islamique. La première décision concernant ce demandeur d’asile datait de 2017. Depuis, les Talibans ont pris le pouvoir à Kaboul. Les conditions pour un retour sans risque ne sont donc plus réunies.
La cour fédérale australienne a reconnu que l’homme courait un risque réel d’atteintes graves incluant possiblement « la mort, la torture, des traitements inhumains, cruels et dégradants de la part des Talibans ou de tout autre groupe extrémiste (…) en tant que hazara (…) ». Avant la chute de Kaboul, l’Australie avait déjà renvoyé de force des individus issus de la minorité hazara. Un de ces renvois avait même conduit à un cas d’enlèvement et de torture aux mains des Talibans.
Les Talibans écartent les Hazaras du pouvoir
L’Émirat taliban autoproclamé ne semble pas tenir ses promesses en termes de respect du droit des minorités. Parmi les nominations de responsables aux divers postes ministériels, on compte majoritairement des chefs talibans de longue date essentiellement pachtounes. Cette ethnie, qui représente les deux cinquièmes des Afghans, est très représentée dans les rangs talibans. En revanche, un seul Hazara a obtenu un poste de ministre adjoint de la Santé.
Les premiers cas de répression des Hazaras remontent à 1996, date de l’établissement du premier émirat taliban en Afghanistan. Des massacres collectifs font alors peser la menace d’un « génocide » sur cette minorité. L’année 1998 marque le massacre en trois jours de deux-mille civils hazara à Mazar-e Sharif. De nombreux Hazaras quittent le territoire afghan. Une importante diaspora se constitue alors en Iran et au Pakistan voisins.
À présent, la menace talibane se conjugue avec celle de l’État islamique au Khorassan et au Pakistan (EIKP). En conflit avec ses rivaux talibans, cette branche locale de l’État islamique se concentre principalement dans l’est du pays. Elle compte deux mille combattants massés dans les provinces de Kunar et de Nangarhar. L’EIKP a déjà revendiqué deux attentats-suicides meurtriers visant des mosquées chiites fréquentées par des Hazaras. La première s’est déroulée le 26 août dans la province de Kunduz, l’autre le 15 octobre à Kandahar. Depuis, l’organisation terroriste a rendu public un communiqué affirmant qu’elle n’épargnera pas les moyens pour cibler à nouveau les lieux de rassemblement de la communauté chiite – principalement hazara. Les Talibans, tout comme l’EI, sont porteurs d’une idéologie islamiste influencée par un sunnisme à tendance wahhabite profondément anti-chiite. Les deux entités considèrent par conséquent leurs compatriotes hazaras comme des apostats.
Meurtres et expulsions
Les Talibans se seraient livrés à plusieurs exactions contre les Hazaras. Les ONG rapportent en effet des actes de brutalité depuis le début de leur offensive à la fin de l’été 2021. Depuis le 15 août dernier, Amnesty International a ainsi signalé le meurtre de neuf personnes dans la province de Ghazni. Depuis, des cas d’assassinats répétés de Hazaras ont été rapportés peu après la prise de localités par les insurgés.
Ces derniers ont également opéré des expulsions de familles entières de leurs terres dans le centre du pays – berceau de l’implantation hazara en Afghanistan. Estimant non valides les décisions prises par le précédent pouvoir, le nouveau régime attribue les terres spoliées à ses affiliés. Le phénomène concerne tout le pays selon Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie pour l’ONG Human Rights Watch. Le ciblage distinctif des personnes associées à l’ancien régime ne semble pas être le seul critère à l’œuvre. La spoliation et l’expulsion concernent effectivement les Hazaras en tant que groupe.
Avec un préavis de quelques jours et sans pouvoir revendiquer leur titre de propriété, les familles expulsées s’exilent massivement. Des camps de déplacés se forment au Pakistan voisin le long de la frontière afghane. Ils réunissent plusieurs milliers de personnes dans un dénuement presque total. Le nombre des nouveaux réfugiés déborde les capacités du gouvernement pakistanais. En effet, celui-ci s’ajoute aux trois à quatre millions d’Afghans déjà présents dans le pays. Le tableau est donc sombre pour les quelque treize millions de Hazaras vivant encore en Afghanistan.
Le rapprochement avec l’Iran pourrait servir les Hazaras
Depuis quelques années, le discours des Talibans semble s’ouvrir, toute proportion gardée, aux minorités non pachtounes. Les diatribes prenant les chiites afghans pour cible, monnaie courante avant 2021, ont en effet disparu. Désormais, les Talibans qualifient les victimes de « martyrs » ; une désignation qui vise à honorer les morts de croyants musulmans.
En outre, la perspective d’échanges croissants entre les Talibans et Téhéran pourrait servir de garantie aux Hazaras. En effet, l’Iran – se revendiquant comme le protecteur des chiites au Moyen-Orient- a depuis février dernier conduit une politique de rapprochement stratégique avec ses ennemis de naguère. Lors de leur dernière rencontre à Kaboul, Iraniens et décideurs talibans ont envisagé certains projets bilatéraux de développement. Le sort des Hazaras afghans est donc tributaire des bonnes relations entre les deux pays.
Toutefois, les bénéfices pour les Hazaras d’un rapprochement avec l’Iran sont à nuancer. Si les Talibans dénoncent publiquement les attaques contre les Hazaras, rien n’indique qu’ils ne retourneront pas à l’ancienne attitude à l’égard de ceux qu’ils qualifient habituellement d’« infidèles ». Par ailleurs, selon la National University of Australia l’Afghanistan figurerait parmi les cinq pays à risque de « génocide » pour les années 2021 à 2023. Une projection qui plaide contre l’image rassurante d’un émirat tolérant véhiculée par les relations publiques du nouveau pouvoir.
Outre les brutalités, les Hazaras ont également tout à craindre de l’état de déshérence socioéconomique dans lequel se trouve le pays. De ce dernier découle une insécurité chronique qui précarise la vie des Afghans toutes communautés confondues. Tout juste cinq mois après la prise de Kaboul, la famine menace déjà plus de la moitié de la population. Aujourd’hui, après la fuite d’opposants politiques, activistes des droits l’homme ou collaborateurs locaux de la dernière coalition occidentale, les minorités religieuses et ethniques non pachtounes demeurent les plus à risque.
Écrit en collaboration avec Pierre Cochez.
Image : Fields around Panj river, Gorno-Badakhshan, Tajikistan and Afghanistan border, Wakhan corridor – © Stocklib / Daniel Prudek