Irak, affrontements inédits entre chiites après la démission de Moqtada al-Sadr
Depuis le 30 août 2022, une semaine de fortes tensions à Baghdâd met à jour les déchirements de la communauté chiite. Des échanges de tirs entre camps rivaux chiites dans la zone verte laissent présager le pire pour l’Irak.
Une démission aux motivations politiques
Lors d’une apparition télévisée, Moqtada al-Sadr, leader du camp souverainiste, a déclarer quitter la vie politique. Cette annonce surprise de ce leader respecté et suivi par une partie de la population a déclenché une réaction vive de la part de ses supporters. L’acte d’al-Sadr peut s’interpréter comme un ultime désaveu du système politique post-2004. Il pourrait également s’agir d’une dernière tentative de faire pression sur le Parlement contre la constitution d’un gouvernement non validé par al-Sadr.
Les partisans de Moqtada al-Sadr, fils d’un grand ayatollah chiite, se réclament du mouvement de protestation anti-régime d’octobre 2019. Ce mouvement demandait la fin de la prévarication généralisée qui caractérise les classes dirigeante du pays. Il dénonçait également les intérêts étrangers immiscés dans les affaires internes irakiennes. Ce mouvement populaire avait à l’époque été durement réprimé par l’appareil sécuritaire et les milices pro-Iran. Le souvenir de ces évènements nourrit encore aujourd’hui le ressentiment de nombreux Irakiens vis-à-vis de leurs élites politiques. Ainsi, vendredi 2 septembre dernier, des milliers d’Irakiens sont descendus pacifiquement dans la rue. Ils revendiquaient une refondation du système et que justice soit faite pour leurs compatriotes tombés il y a deux ans.
Scène de guerre civile au cœur de la capitale
Deux jours plus tôt pourtant, le chaos le plus total régnait dans la capitale irakienne. Baghdâd était en proie à de véritables scènes de combats. Vingt-quatre heures durant, des échanges de tirs meurtriers ont opposé les Sadristes du Saray al-Salam aux forces de sécurité assistées d’éléments miliciens du Hachd-Al-Chaabi. Ces combats qui ont fait une trentaine de morts ont succédé à l’assaut de la Zone verte par les partisans de Moqtada al-Sadr Cette zone ultra-sécurisée abrite notamment le siège des institutions gouvernementales du pays ainsi que le Parlement. Les images de jeunes Irakiens abattant des clôtures en béton armé ceinturant la zone ont ainsi fait le tour des chaines d’information arabes et occidentales.
Les combats entre milices chiites se sont étendus jeudi au sud de l’Irak. Quatre personnes y ont perdu la vie lors d’affrontements entre les sadristes et ses adversaires pro-Iran du Asaïb Ahl al-Haq. Ces récentes évolutions ont fait craindre un moment une généralisation des affrontements à l’intérieur de la communauté chiite. Ce débordement redouté n’a finalement pas eu lieu.
Stratégie de la corde raide
Le mouvement sadriste a remporté la majorité des sièges au Parlement lors de l’élection générale du 10 octobre 2021. Il a cependant échoué à atteindre un compromis avec les autres partis chiites dans le but de former un gouvernement d’union nationale. Par conséquent, le gouvernement irakien est vacant depuis près de onze mois. La promesse d’un arrêt des ingérences étrangères, particulièrement de l’Iran, promise aux électeurs de Moqtada al-Sadr n’a donc pu se concrétiser.
Constatant son impuissance à sortir de l’impasse politique, al-Sadr avait même exigé la démission de membres de son groupe parlementaire en juin dernier. Cette manœuvre visait un retour en force prévu après le rappel des Sadristes démissionnaires par les autres députés. Ce rappel n’a jamais eu lieu. Au contraire, les autres partis chiites cherchent à former un nouveau gouvernement en l’absence du mouvement sadriste. S’en est suivi une occupation du Parlement par ses partisans le mois suivant. Ceux-ci demandaient la démission de l’ensemble de la classe dirigeante.
Al-Sadr joue la stratégie de la corde raide pour provoquer un changement du statu quo dans de possibles tractations politiques. Les différentes factions pourraient en effet prochainement négocier l’élaboration de nouvelles lois électorales ou la formation d’un gouvernement. En initiant de façon évasive une mobilisation aussi massive que violente, puis, en l’arrêtant net, le leader charismatique fait montre d’une emprise patente sur ses partisans. Ceux-ci se révèlent être un véritable levier de pression sur ses ennemis.
Le camp Sadr est engagé dans une lutte pour le contrôle de l’agenda politique. Il ambitionne de faire accéder Sadr au poste de Premier ministre. Le poste est disputé à ses principaux adversaires pro-Iran, incarnés politiquement par l’Alliance Fatah. Ce camp, s’il a perdu la main sur la majeure partie du Parlement, peut encore compter sur un réseau étoffé de milices paramilitaires. Cette galaxie de milices se regroupe au sein du Hachd al-Chaabi, qui entretient des liens flous avec l’armée.
Vers un scénario du pire
Lors des affrontements de la Zone verte, les deux camps ont fait preuve d’une logique brutale débridée. En effet, le gain de territoire et le ciblage de locaux appartenant au camp adverse semblent avoir été la principale préoccupation des combattants. Une attitude guerrière qui fait planer le risque d’un débordement général de violence entre milices interposées. Des violences pourraient également éclater au sein des classes populaires non-politisées. Face à cette absence de retenue inédite, seul le déploiement partiel des moyens opérationnels du Hachd ainsi que l’appel d’al-Sadr à ses partisans de se retirer des lieux de combat en « une heure » ont pu éviter au conflit de dégénérer en une guerre civile intracommunautaire.
Un scénario de guerre entre chiites est aujourd’hui plausible en Irak. Néanmoins, celui-ci reste conditionné à l’absence d’options politiques acceptables pour les leaders de chaque camp. Par ailleurs, tous les partis antagonistes s’accordent sur la nécessité d’organiser des élections anticipées. Pour autant, rien ne garantit qu’elles doteront l’Irak d’un gouvernement intégrant l’ensemble des composantes ethnoreligieuses et partisanes du pays. Rien ne garantit non plus qu’elle assureront une nouvelle stabilité nationale alors que l’Iran cherche à contenir le mouvement sadriste via ses milices supplétives.