Brésil : les habitants des quilombos veulent être reconnus et représentés
Au Brésil, les habitants des quilombos, descendants d’esclaves afro-brésiliens, sont pour la première fois comptabilisés en tant que tels dans le recensement. Pour eux, c’est une victoire qui les rendra plus visibles et leur permettra de mener leurs luttes plus efficacement.
Histoire des quilombos
Au Brésil, les quilombos sont des communautés semi-autonomes ou autonomes fondées par des esclaves en fuite (esclaves marrons) ou, souvent, habitées par des esclaves restés sur les terres que leurs propriétaires avaient abandonnées à partir des années 1800. Les esclaves en fuite se réfugiaient dans des lieux reculés du vaste territoire brésilien, dans des îles ou dans la montagne. Certaines communautés comptaient quelques centaines de familles, d’autres des milliers. Dès le début du XVIIe siècle, des quilombos se sont formés. Parfois, ces communautés vivaient dans l’isolement complet, d’autres entretenaient des relations commerciales avec des villes ou exploitations agricoles voisines.
Le quilombo le plus connu est celui de Palmares, dont le chef s’appelait Zumbi. À la fin du XVIIe siècle, le quilombo de Palmares a finalement été détruit par les forces armées coloniales et Zumbi décapité. Aujourd’hui, Zumbi est devenu une figure de rassemblement des mouvements noirs brésilien. D’ailleurs, depuis 2003, le Brésil célèbre chaque année la Journée nationale de la conscience noire le jour de la mort de Zumbi (20 novembre 1695).
Après l’abolition de l’esclavage en 1888, les quilombos sont tombés dans l’oubli et ont vécu en autonomie. Dans les années 1940, les exploitants agricoles et propriétaires terriens ont commencé à vouloir étendre leurs terres et à empiéter sur celles des quilombos. Des conflits fonciers sont alors nés.
Création d’une catégorie pour les quilombolas dans les statistiques nationales
Les habitants des quilombos s’appellent quilombolas, ils vivent en général de la pêche ou de l’agriculture. Ils s’identifient quasiment tous comme « Noirs » (Negros*) dans les statistiques ethniques brésiliennes. Cependant, aucun groupe ethnique particulier ne permettait de les identifier dans le recensement de la population.
Le recensement en cours en 2022 inclut cette fois une catégorie quilombola, qui doit permettre à l’avenir de mieux identifier ces populations. Les quilombolas espèrent ainsi que cela facilitera la reconnaissance de leurs situations et besoins spécifiques, et l’avancée de leurs luttes sociales et territoriales. La représentante du Fonds des Nations Unies pour la population au Brésil, Astrid Brant, s’est félicitée de cette avancée et estime également qu’elle permettra de mieux reconnaître et soutenir ces populations. Pour Astrid Brant, c’est un pas dans la bonne direction alors que court encore la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine.
Des revendications constantes, mais une vision de soi qui change avec le temps
Aujourd’hui, il est toujours difficile de dire combien de quilombos se trouvent sur le territoire. Les estimations vont de plusieurs centaines dans les années 2000 à environ 6 000 aujourd’hui (d’après la CONAQ, l’association nationale des quilombos). Dans les années 1970, la lutte des quilombolas était essentiellement foncière. Puis, la première réunion nationale du mouvement quilombo s’est déroulée en 1995. Les thèmes étaient « terres, production et citoyenneté » pour des populations qui se considéraient à présent comme socialement défavorisées. Elles demandaient alors l’accès aux terres, mais aussi des crédits, des écoles et une assistance technique en matière agricole. Depuis les années 2000, les quilombolas revendiquent également une identité ethnique et culturelle propre.
Une des principales revendications des quilombolas est l’obtention de titres de propriété des terres qu’ils occupent depuis plus d’un siècle, voire plusieurs siècles. Cela est théoriquement possible grâce à l’article 68 de la Constitution de 1988. Cependant, dans la pratique, la reconnaissance de la propriété des terres se heurte souvent à des obstacles. Il faut notamment prouver l’occupation des terres de longue date et l’identité ethnique et culturelle des quilombolas, et lutter contre des intérêts économiques puissants. Ils doivent également lutter contre des attaques ou menaces de la part de grileiros (personnes qui s’emparent de terres par des moyens illégaux et violent). Il faut aussi parfois s’opposer à des projets de développement portés par l’État. Les tribunaux doivent alors arbitrer. Dans les années 2000, sur les 700 quilombos identifiés, moins d’une cinquantaine s’étaient vu officiellement reconnaître des terres.
Des avancées à l’époque de Lula, un recul sous Bolsonaro
À l’époque de la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011), explique le président de la CONAQ, l’accès aux droits sur leurs terres pour les quilombolas avait connu des avancées, et des programmes culturels venaient soutenir les communautés. Sous la présidence de Jair Bolsonaro, à l’inverse, les programmes de soutien ont été démantelés et la reconnaissance des terres a ralenti. En 2017, l’alors député fédéral Bolsonaro avait même insulté les quilombolas.
Des quilombolas veulent entrer dans l’arène politique
Après avoir obtenu la reconnaissance de leur ethnicité et de leur identité culturelle propre, les quilombolas veulent à présent être mieux représentés dans les instances politiques. À l’occasion des élections des 2 et 30 octobre 2022 au Brésil (1er et 2e tour), un nombre record de Noirs se présente aux élections (pour devenir députés fédéraux ou de leur État). Parmi eux, Eliete Paraguassu, une quilombola de l’Ilha da Maré, près de Salvador de Bahia. Elle et d’autres militants de l’île estiment qu’il y a longtemps eu une volonté de rendre les quilombos invisibles. Pour elle, il faut donc agir au niveau politique pour faire reconnaître les besoins spécifiques des quilombolas.
Pour ces militants, la question de la représentativité du parlement est réelle : en 2018, sur les 513 députés fédéraux, moins d’un quart se considérait comme negro (et il y avait seulement 12 femmes noires), alors que, dans le recensement de 2010, 50,7 % des Brésiliens se disaient negro (preto ou pardo).
Dans l’arène politique, les revendications des quilombolas rejoignent celles des indígenas, des communautés de pêcheurs et des paysans sans terre. Ils cherchent donc des soutiens dans ces sphères. La Commission pastorale de la terre**, qui dénonce les menaces contre les quilombos et soutient leurs habitants, a rédigé une lettre à destination des candidats aux élections. Elle les y invite à s’engager contre les violences à caractère foncier, pour la préservation des milieux naturels et pour la défense des petits agriculteurs, des indígenas et des quilombolas.
Notes :
* Cette catégorie regroupe les Noirs à proprement parler (pretos) et les métis (pardos), ces derniers pouvant être d’origines ethniques et couleurs de peau très diverses.
** Commission œcuménique fondée en 1975 sous l’égide de la Conférence des évêques catholiques du Brésil. Elle soutient les travailleurs agricoles et les agriculteurs, les familles sans terre, défend le respect de l’environnement et lutte contre l’esclavage moderne.
Image : Le quilombo de Palmares, Auteur : Ministère de la culture, CC-BY-2.0