Les religieux pris pour cible dans l’Ouest du Cameroun
Alors que les kidnappings sont devenus récurrents dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun depuis 2019, ceux ciblant les leaders religieux prennent de l’ampleur. Le 16 septembre dernier, cinq prêtres, une religieuse et deux laïcs se faisaient enlever dans la paroisse de St Mary de Nchang dans le diocèse de Mamfé (région du Sud-Ouest). Les assaillants ont par la suite incendié l’édifice religieux. Cet enlèvement et l’incendie de l’édifice religieux portent la marque des groupes armés séparatistes.
Ces incidents, loin d’être isolés, ont été suivis, quelques jours plus tard, par l’annonce dans les médias camerounais de l’enlèvement d’un pasteur par des « ambazoniens ». Ce nom désigne les membres des groupes armés séparatistes actifs dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Ces attaques constituent des exemples plus récents d’actes de violence et de vandalisme ciblant les leaders et édifices religieux au Cameroun. Elles ont lieu depuis 2017 dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays. Comment comprendre cette flambée de violence sur les leaders et édifices religieux ?
Les attaques ciblant les leaders et édifices religieux ne sont pas le résultat d’un conflit interreligieux y compris dans le cas de la communauté Bororo. Elles n’épargnent aucune communauté et s’inscrivent dans l’architecture globale de la crise en cours. Elles sont le résultat, d’une part, de la volonté des groupes armés de s’approprier les ressources utiles à la lutte (denrées alimentaires et recrues…) et d’autre part, de la volonté de sanctionner des groupes hostiles ou neutres, particulièrement ceux soupçonnés de collaborer avec l’armée nationale.
Les enlèvements au cœur de la stratégie de financement des groupes armés
Premièrement, les enlèvements contre rançon sont une des stratégies de mobilisation de ressources des groupes armés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Les groupes armés ont à plusieurs reprises enlevé de hautes personnalités politiques dans les deux régions avant de les libérer. Les auteurs de l’enlèvement du 16 septembre dernier ont initié des négociations avec la hiérarchie de l’Église catholique. Ils ont réclamé une rançon de 100 000 USD avant de revoir le montant à la baisse à 50 000 USD, soit près de 30 000 000 francs CFA. Il ne s’agit pas d’une première. En août 2019, le journal Le Monde, décrivait le « business des rapts et des rançons » au « Cameroun anglophone ». Il soulignait déjà que « des élèves, des fonctionnaires, des chefs traditionnels ou des hommes d’affaires sont enlevés par les combattants [groupes armés séparatistes], qui les libèrent parfois en échange d’argent ou de fusils ».
L’influence de l’Église et son message d’apaisement n’arrangent pas les entrepreneurs de la guerre
Au Cameroun, les confessions religieuses s’engagent pour la résolution de la crise anglophone depuis son déclenchement. Néanmoins, la répression de tout comportement et discours indépendant ou contraire à la propagande sécessionniste fait des victimes parmi les religieux. L’influence des mouvements religieux sur la population est une donnée qui ne satisfait pas les groupes armés. Selon la Conférence épiscopale nationale, les combattants séparatistes ont clairement indiqué que les récents enlèvements sont une réaction aux réserves de l’Église catholique face au projet de sécession.
L’Église catholique a tenté de renforcer sa posture de neutralité dans la crise anglophone. Elle s’est proposé de jouer un rôle, individuellement ou dans le cadre de la coopération interreligieuse, pour taire les armes dans les deux régions anglophones. L’Église catholique avait initié des rencontres informelles entre certains des très nombreux leaders du mouvement séparatiste et des politiques camerounais. Nous ne pouvons confirmer si ces membres ont reçu un mandat officiel de représenter le Gouvernement à ces rencontres. Son objectif était de permettre la discussion autour de sujets « non négociables » d’une part par le gouvernement, et d’autre part, par les groupes séparatistes.
Les syndicats des enseignants des écoles confessionnelles ont participé aux grèves de 2016, ce qui a fait débat. Certains analystes parlent de « rôle trouble » de l’Église dans le déclenchement et l’escalade du conflit. Les positions divergentes parmi les leaders catholiques n’ont pas renforcé la posture des religieux camerounais comme médiateurs impartiaux. Des suspicions de sympathie avec l’adversaire pèsent sur les religieux camerounais malgré l’implication directe du Vatican. Aux activités de médiation de terrain organisées par les leaders religieux locaux s’ajoute la médiation pilotée par le Saint-Siège. Des émissaires du Pape ont ainsi visité les régions en crise et rencontré les autorités camerounaises.
Opposition au boycott scolaire imposé par les groupes armés
Les enjeux du contrôle du secteur éducatif
Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les mouvements religieux sont des acteurs clés du secteur éducatif. Son contrôle, son ouverture, sa fermeture et ses contenus sont en jeu depuis 2017. L’implication des mouvements religieux dans l’éducation au Cameroun est très ancienne. Elle date du début du XIXe siècle avec l’arrivée de la Mission Baptiste de Londres. Lui ont succédé : la mission protestante de Bâle, les pères pallotins de la société Apostolus Catholici et les presbytériens américains. Le boycott scolaire, présenté au départ de la crise comme une volonté populaire, a été très vivement contesté et peu suivi de façon spontanée. Considéré comme contre-productif, il a fait l’objet de débats au sein du mouvement séparatiste. Toutefois, certains leaders tentent de l’imposer par la terreur. Ils ont recours aux enlèvements d’enseignants et d’apprenants, destruction des bâtiments, violences physiques, assassinats en représailles et messages d’intimidation.
Ainsi, le mouvement séparatiste a mené des attaques meurtrières et des campagnes d’incitation au boycott scolaire pour imposer des fermetures d’écoles. À la fin de l’année 2021, deux écoles sur trois étaient fermées dans les régions anglophones.
Des oppositions à cette stratégie
Face à la crise, plusieurs centaines d’écoles confessionnelles sont par contre restées ouvertes. Les mouvements religieux ne sont pas restés silencieux face à la violence ciblant le secteur de l’éducation. Les leaders religieux se sont ouvertement prononcés contre le boycott scolaire et l’usage de la violence. L’appel des leaders religieux contre l’instrumentalisation l’école dans la guerre se heurte à l’intransigeance des groupes armés au Cameroun. En 2019, l’évêque Georges Nkuo, signataire d’un appel à l’arrêt des attaques contre l’éducation, et deux de ses prêtres ont été kidnappés par les membres d’un groupe armé. D’autres religieux, des acteurs de la société civile et des enseignants reçoivent des menaces de mort pour des raisons similaires. Cependant, les missions religieuses pilotent toujours les écoles confessionnelles restées ouvertes dans les deux régions.
Des opérations militaires ont permis de libérer des leaders religieux enlevés par le passé. Malgré la multiplication des enlèvements, le président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun soutient que l’Église catholique ne se pliera pas à la demande de rançon que les groupes armés proposent comme condition pour la libération des otages du 16 septembre.
Instrumentalisation des religieux pour contrôler les esprits
Le mouvement séparatiste est en perte de vitesse dans le Nord-Ouest et Sud-Ouest, notamment à cause de ces crimes graves sur les populations. En outre, il fait face à des rivalités internes et conflits de leadership. Par conséquent, le mouvement est à la recherche de facteur de relance. Il tente d’exploiter l’influence des mouvements religieux pour faire passer des messages et regagner les cœurs. En 2020 le cardinal Christian Tumi avait été enlevé avant d’être libéré quelques heures plus tard. Il avait indiqué avoir reçu la sollicitation de certains combattants souhaitant qu’il leur serve de porte-parole.
Image : Église presbytérienne en construction dans la région du Centre, par Eric Freyssinge — Travail personnel, CC BY-SA 4.0