Cabo Delgado : les attaques continuent, l’aide peine à arriver
Les attaques continuent dans la région de Cabo Delgado au Mozambique. De plus, les organismes d’aide humanitaire font face à des difficultés d’accès et au manque de financements. La situation est donc loin d’être stabilisée. Selon l’ONG ACLED, le conflit a déjà fait plus de 6 600 victimes (de 2017 au 12 février 2023). Le HCR dénombre plus d’un million de personnes déplacées.
Une nouvelle enceinte pour aborder la situation : le Conseil de sécurité de l’ONU
Début 2023, le Mozambique est devenu membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Parmi ses priorités, le pays en appelle à la lutte contre le terrorisme en faisant explicitement référence à la situation du Cabo Delgado. Il invite par ailleurs à trouver « des solutions africaines aux défis africains » et cite la contribution du Rwanda et de la SAMIM* à la réponse à la crise qui touche le nord du pays.
Une visite attendue du PDG de TotalEnergies
Le 3 février 2023, « Patrick Pouyanné, Président-directeur général de TotalEnergies, s’est rendu […] au Mozambique dans la province du Cabo Delgado pour faire le point sur la situation sécuritaire et humanitaire » annonçait un communiqué de presse de TotalEnergies. Après avoir visité plusieurs sites au Cabo Delgado, le PDG de Total a rencontré Filipe Nuysi, Président du Mozambique. Il a annoncé avoir confié à Jean-Christophe Rufin une mission indépendante d’évaluation de la situation dans la région. Pour Patrick Pouyanné, les activités gazières ne pourront reprendre que lorsque seront assurés « le rétablissement de la sécurité dans la région, la reprise du fonctionnement des services publics et le retour à une vie normale pour les populations de la région ».
D’après l’économiste Rui Mate, ce voyage et le message du PDG sont un signe que l’entreprise ne fait pas confiance au gouvernement mozambicain pour évaluer objectivement le niveau de sécurité. Ils viennent également indiquer que les coûts nécessaires pour garantir cette sécurité devront être supportés par le Mozambique.
Reprise des attaques coïncidant avec la visite de Patrick Pouyanné
Quelques jours avant et après la visite du PDG de Total, les attaques se sont multipliées dans la région. Dans l’une d’elles, un membre de Médecins Sans Frontières a perdu la vie. Le fait que les attaques continuent a conduit certaines organisations d’aide humanitaire à interrompre leurs activités. C’est notamment le cas de la Caritas locale, qui explique que certaines localités sont à peu près sûres, comme Palma, mais que les routes pour s’y rendre restent dangereuses. Pour l’heure, il faut encore se déplacer avec un convoi militaire. La Caritas a donc renoncé à se rendre dans ces zones, dans l’attente d’une accalmie.
Le HCR a également fait savoir que, s’il était présent à Palma, il n’arrivait pas à se rendre dans d’autres villes (comme Mocímboa da Praia) car les attaques continuent. Il ne peut donc pas prêter assistance aux populations qui en ont besoin. L’organisme onusien a également souligné le manque de financement, qui est d’autant plus visible que les crises se multiplient – notamment avec la situation en Ukraine.
Interruption de l’aide humanitaire fournie par le PAM, faute de financements
Le manque de financement a d’ailleurs contraint le Programme alimentaire mondial (PAM), qui relève également des Nations Unies, à interrompre son aide en février. Le PAM a précisé qu’il espérait reprendre son activité dans la région en mars, si les fonds nécessaires arrivent.
Face à ces difficultés d’accès et au manque de ressources, l’aide humanitaire devient source de conflictualité dans les zones qui accueillent des déplacés. En effet, l’aide manque et les personnes dans le besoin sont trop nombreuses. La pression est lourde sur les communautés d’accueil. Pour les acteurs sociaux sur le terrain, l’arrêt de l’aide du PAM pourrait créer une situation chaotique : ils s’attendent ainsi à une hausse de la prostitution et à de possibles conflits entre les déplacés et les habitants. Ils en appellent donc au gouvernement mozambicain pour trouver les moyens de rendre les populations déplacées autosuffisantes.
Les civils pris entre les exactions des insurgés et celles des armées
En janvier 2023, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux : on y voyait des soldats faire brûler des corps. La vidéo a été maintes fois relayée. L’armée sud-africaine a alors annoncé que la SAMIM avait ouvert une enquête. Objectif : évaluer la véracité des faits et savoir si certains de ses soldats avaient participé à cet acte. Les forces armées sud-africaines ont dit avoir reconnu certains de leurs soldats filmer ou observer la scène. Depuis le début de leur intervention, les forces armées mozambicaines sont également accusées de ne pas respecter les droits de l’Homme, voire de s’en prendre aux populations de façon indiscriminée.
Les « causes profondes » de la crise toujours pas abordées
Au tout début de l’insurrection (fin 2017), le gouvernement mozambicain avait choisi de minimiser les faits. Face à la montée en puissance de la menace, il a finalement opté pour une approche militaire. Les récentes priorités énoncées lors de l’entrée du pays au Conseil de sécurité de l’ONU viennent confirmer l’angle adopté : celui de la lutte contre le terrorisme.
Pourtant, depuis le début, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les causes profondes de la crise. Les évêques du Mozambique notamment ont protesté contre le choix de répondre à un problème social par une approche uniquement militaire. À l’été 2021, quelques semaines après l’arrivée des troupes rwandaises et de la SADC, le groupe de recherche panafricain Good Governance Africa et le Centre for Democracy Development organisaient un séminaire** sur le sujet. Les nombreux intervenants, tous universitaires, soulignaient combien l’approche militaire serait in fine inefficace. Pour eux, il fallait au contraire davantage de dialogue et de démocratie, dans une région et un pays minés par la corruption, l’inégalité des chances, l’exploitation des ressources, le manque de dialogue démocratique et le non-respect des droits de l’Homme.
Alors que les attaques se poursuivent, le président Filipe Nyusi a désigné un chef de file des insurgés, en la personne de Ibn Omar, un natif du Cabo Delgado. Pour les universitaires João Feijó et Mohamed Yassine, cela ouvre la voie à un possible dialogue. Le conflit est une forme de guérilla, explique Mohamed Yassine (spécialiste du terrorisme) et les insurgés ont le soutien de certains segments de la population. Résoudre la situation passe donc nécessairement par une négociation, un dialogue grâce auquel les insurgés pourront exprimer les raisons de leur rébellion.
Notes
*Mission de la SADC au Mozambique, qui a bénéficié en 2022 d’un financement de l’UE
**Titre du séminaire : Reflecting on Military Operations in Cabo Delgado, résumé dans un article du journal Mail&Guardian
Image : Cabo Delgado Province, south of Pemba. Auteur : Stig Nygaard, CC 2.0