Liens entre les questions religieuses et politiques dans le Brésil de Lula
Les questions religieuses sont de plus en plus présentes dans le débat politique au Brésil. Un séminaire en ligne du Council on Foreign Relations (CFR) a récemment porté sur l’importance des questions religieuses dans la politique à venir du nouveau président Luiz Inácio Lula da Silva. Cet article synthétise les grands arguments présentés par les deux intervenants (1).
Retour sur le rôle des cultes dans la vie politique passée
Les questions religieuses sont depuis longtemps présentes en politique. Elles sont devenues de plus en plus polarisées ces dernières années. Lors de son premier mandat (2003-2022), Inácio Lula da Silva était parvenu à entretenir de bonnes relations avec les différentes confessions et avec les différents courants religieux. D’après Amy Erica Smith, il entretenait de bons rapports avec des théologiens de la libération. Il entretenait également des rapports étroits avec les courants catholiques de gauche. L’évolution de la Bolsa família, politique d’aides sociales visant à lutter contre l’extrême pauvreté et la déscolarisation, pourrait s’en être inspiré sans en être une conséquence directe. Les intervenants parlent même d’une influence du concept d’« option préférentielle pour les pauvres » de l’Église catholique dans la conception de la politique sociale du président à l’époque.
À partir du mandat de Dilma Rousseff, les intervenants observent une montée de la « politique de la guerre culturelle ». Cette politique a exacerbé les tensions et polarisé les opinions. Les deux sujets qui cristallisent ainsi les oppositions sont la corruption, d’une part (amplement reprochée à la gauche d’Inácio Lula da Silva et de Dilma Rousseff), et les revendications des mouvements LGBT, de l’autre.
Le cas des deux dernières élections
Lors des élections présidentielles de 2018, le candidat Jair Bolsonaro avait séduit les électeurs évangéliques. Certains pasteurs évangéliques charismatiques l’avaient d’ailleurs ouvertement soutenu. Parmi les évangéliques, le soutien à Bolsonaro était beaucoup plus marqué que parmi tous les autres croyants des diverses religions présentes au Brésil. Lors de la dernière élection (fin 2022), ce soutien a quelque peu diminué. En effet, les résultats économiques décevants et la mauvaise gestion de la covid-19 ont détourné certains électeurs du président sortant. Néanmoins, le soutien à Jair Bolsonaro restait plus marqué chez les évangéliques que chez les autres croyants. Après la victoire d’Inácio Lula da Silva, certains leaders évangéliques lui ont directement tendu la main pour renouer les relations (2).
Montée de l’intolérance religieuse, notamment chez certaines Églises évangéliques
Des discriminations et des attaques visent depuis des années les cultes afro-brésiliens, et de façon croissante (3). Ces attaques sont principalement le fait de groupes évangéliques, notamment néo-pentecôtistes. Leur raison est principalement théologique : pour ces groupes, les cultes afro-brésiliens sont « diaboliques ». Il existe aussi une dimension raciale au phénomène, car les Afro-Brésiliens ont longtemps fait l’objet de discriminations et de préjugés racistes.
Avec la montée de la « guerre culturelle », l’animosité et les violences se sont accrues depuis cinq ou six ans. Pour autant, elles existaient déjà avant l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir. Il y a vingt ans, le célèbre pasteur évangélique Edir Macedo, évêque de l’Église universelle du royaume de Dieu, avait détruit des icônes africaines à la télévision. Cette violence interreligieuse a perduré, de même que les questions religieuses ont continué d’imprégner la vie politique brésilienne. Les violences vont de destructions d’icônes et symboles religieux, à des destructions de terreiros (lieux de culte), jusqu’à des attaques pendant les célébrations religieuses afro-brésiliennes.
Arrivé au pouvoir, le nouveau président Lula da Silva a instauré une Journée nationale des cultes afro-brésiliens. La date retenue est le 6 janvier. Pour Nick Zimmerman, cette question est importante, mais elle dépasse le seul cas des cultes afro-brésiliens. C’est toute une culture de l’affrontement, de la diabolisation des « autres », qui permet à la violence d’éclater sous de multiples formes dans les sociétés actuelles. Le Brésil ne fait pas exception. Cette violence y touche aussi d’autres minorités, comme les indígenas.
Défis à venir en Amazonie pour le président Lula da Silva
Les relations avec les indígenas et leur spiritualité vont constituer un défi pour le Brésil d’Inácio Lula da Silva. Pour certaines églises évangéliques, en effet, il est de leur devoir d’évangéliser les indígenas à tout prix (4). À l’inverse, les observateurs s’attendent de la part du nouveau président à une politique de protection des croyances, dont la spiritualité des indígenas. Historiquement, la gauche et le centre gauche brésiliens ont toujours protégé les croyances non chrétiennes. De plus, la protection des croyances traditionnelles va de pair avec la promotion des droits des indígenas, de façon plus globale. La recréation d’un ministère des peuples indígenas, le 1er janvier 2023, est un premier pas vers la protection de ces populations.
Nombreux sont ceux qui voient dans les spiritualités autochtones des moyens efficaces de préserver l’environnement, en particulier en Amazonie. Le nouveau président va devoir arbitrer entre, d’un côté, les questions environnementales et les droits des indígenas et, de l’autre, les intérêts stratégiques du pays. Il va aussi devoir entretenir de bonnes relations avec toutes les confessions, donc autant les évangéliques que les indígenas. Il devra trouver l’équilibre entre les courants religieux ancrés à gauche, au centre et à droite.
Notes
(1) Amy Erica Smith (spécialiste du Brésil et de sciences politiques) et Nick Zimmerman (du Wilson Center’s Brazil Institute et ancien conseiller de la Maison-Blanche sous l’administration Obama). Le CFR est un laboratoire d’idées indépendant aux États-Unis qui se spécialise dans l’analyse de la politique internationale du point de vue des États-Unis.
(2) Pendant la violente campagne présidentielle de 2022, de nombreux prêtres et évêques catholiques ont considéré que les questions religieuses étaient instrumentalisées. Jair Bolsonaro cherchait à attirer des voix catholiques, tandis qu’Inácio Lula da Silva s’adressait aux évangéliques. À l’issue des élections, les évêques catholiques du pays ont appelé à la réconciliation et à construire une politique du bien commun.
(3) Par le passé, les rites africains ont été discriminés même auprès de la justice. Des oppositions entre confessions chrétiennes (baptistes opposés à des catholiques, par exemple) et des destructions de statues ont également été observées.
(4) L’Église catholique, de son côté, a choisi le respect des différences et des cultures des peuples autochtones. Cette approche est en particulier celle du CIMI (Conseil indigéniste missionnaire, organisme mandaté par l’Église catholique brésilienne pour accompagner les peuples autochtones dans leur lutte pour la survie, la protection de leurs terres et la dignité).
Image : Christ rédempteur, Auteur : inconnu, Domaine public