Au Canada, l’Ontario mise sur ses programmes scolaires pour promouvoir la tolérance et la diversité.
En Ontario, certains programmes scolaires ont changé à la rentrée 2023, afin de promouvoir la tolérance et la diversité. Les modifications concernent l’éducation autochtone ainsi que l’enseignement de l’histoire des communautés juives et de l’antisémitisme.
Dans la province de l’Ontario, située à l’ouest du Québec, la rentrée 2023 a été marquée par l’introduction de programmes scolaires révisés pour plusieurs niveaux de l’école élémentaire. Au Canada, l’éducation relève de la compétence des provinces et des territoires, et non du gouvernement fédéral. L’organisation des études ainsi que le contenu des enseignements et des apprentissages varient donc, selon les provinces et les territoires. En Ontario, « le palier élémentaire » va de la maternelle à la 8e année (l’équivalent de la 4e en France).
Les programmes révisés sont celui d’anglais dit « Language » (dans les écoles de langue anglaise) et de français (dans les écoles de langue française), pour l’ensemble des niveaux élémentaires. Pour les 1ere, 2e, 3e et 6e années (soit CP, CE1, CE2 et 6e en France), celui d’Études sociales (qui correspond, en France, à l’Histoire et géographie, et à l’Enseignement moral et civique). Plusieurs des modifications apportées à ces programmes scolaires sont liées à la volonté de promouvoir la tolérance et la diversité à l’école, et plus largement dans la société.
Plus d’importance accordée à l’éducation autochtone dans les programmes scolaires
Deux matières voient leurs programmes révisés
Un premier changement intervenu dans les programmes à la rentrée 2023 concerne l’éducation autochtone. Celle-ci est « la connaissance et de la compréhension, par tous les élèves, des cultures, des histoires, des perspectives et des contributions » des peuples autochtones (Premières Nations, Métis et Inuits) vivant au Canada. Dans les programmes scolaires de l’Ontario, deux cours de l’élémentaire ont été modifiés, pour donner davantage de place à l’éducation autochtone. Tout d’abord, dans le cours d’anglais ou de français (selon la langue des écoles), elle commence désormais en 1ere année (l’équivalent du CP), alors qu’auparavant elle débutait en 4e année (l’équivalent du CM1). Depuis la rentrée 2023, pour tous les niveaux de l’élémentaire, le programme prévoit spécifiquement que les élèves de l’Ontario étudient des discours créés par des peuples autochtones ainsi que des thèmes majeurs dans les cultures de ces peuples.
Des modifications ont également été apportées au programme d’Études sociales de 1ere, 2e et 3e années (soit CP, CE1, CE2). Désormais, plus d’importance est accordée à l’enseignement des cultures autochtones, à l’impact du système des pensionnats autochtones sur ces communautés ou encore aux relations qu’elles entretiennent avec la terre.
Éducation et réconciliation
Ces modifications s’inscrivent dans un mouvement plus large qui vise à donner à l’éducation autochtone une place plus importante à l’école. Ce mouvement est à rattacher au processus de réconciliation. Ce dernier « consiste à établir et à maintenir une relation mutuellement respectueuse entre les Autochtones et les non-Autochtones au Canada ». Il s’agit de la définition donnée par la Commission de vérité et réconciliation (CVR), qui s’est tenue de 2008 à 2015.
Cette Commission avait pour objectif « d’offrir un processus pour guider les Canadiens dans la difficile mise au jour des faits relatifs au système des pensionnats indiens, mais aussi d’établir les bases d’une réconciliation durable au Canada ». Entre le dernier tiers du XIXe siècle et 1996, environ 150 000 enfants autochtones furent envoyés de force dans ces pensionnats. L’objectif était de les assimiler afin qu’ils perdent leurs langues et cultures. Les conditions de vie y étaient souvent effroyables, avec de nombreux abus (malnutrition, maladies, abus psychologiques, physiques et sexuels). Suite à son travail d’enquête, la CVR a conclu que plus de 3 200 enfants sont morts dans ces pensionnats. Par ailleurs, ce chiffre pourrait être cinq à dix fois supérieur.
Dans son rapport final publié en décembre 2015, la CVR a estimé que les pensionnats ont été « un élément central » d’une politique qui a mené à « un génocide culturel ». Le rapport définit ce génocide comme « la destruction des structures et des pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe » (CVR, 2015). Par ailleurs, en mai 2021, des fouilles ont découvert 215 tombes anonymes d’un ancien pensionnat à Kamloops (Colombie-Britannique). Cette découverte a profondément secoué la société canadienne. Actuellement, une trentaine de fouilles sont en cours partout dans le pays.
Des appels à l’action
Le rapport de la CVR était accompagné de 94 appels à l’action, et plusieurs appels concernent « l’éducation pour la réconciliation ». L’appel 62 demande notamment de « rendre obligatoire, pour les élèves de la maternelle à la douzième année [l’équivalent de la Terminale], l’établissement d’un programme adapté à l’âge des élèves portant sur les pensionnats, les traités de même que les contributions passées et contemporaines des peuples autochtones à l’histoire du Canada » (CVR, 2015). Le président de la CVR, Murray Sinclair, avait par ailleurs déclaré que si l’éducation, telle qu’elle a été faite dans ces pensionnats, est à l’origine de nombreuses difficultés actuelles, elle est également la clef de la réconciliation (« Education is what got us into this mess – the use of education at least in terms of residential schools — but education is the key to reconciliation »).
Des programmes scolaires qui évoluent
Suite au travail de la Commission de vérité et réconciliation, les programmes scolaires ont été progressivement remaniés au Canada. Dans la province de l’Ontario, en 2016, le gouvernement de l’époque s’est engagé à modifier les programmes, notamment pour que l’histoire des pensionnats autochtones fasse partie des enseignements obligatoires. Avec le gouvernement suivant, ce projet n’est pas allé aussi loin que prévu. En juillet 2018, il a annulé les sessions consultatives qui devaient réunir des membres des communautés autochtones et des éducateurs. À la rentrée 2018, les programmes révisés de sciences sociales du primaire et du secondaire sont entrés en vigueur. Ils intégraient des développements sur les peuples autochtones (leurs cultures, leurs contributions, leur histoire). Toutefois, il a pu être estimé que ces modifications n’étaient pas assez profondes (Habkirk, 2019).
En septembre 2021, le Ministère de l’Éducation de l’Ontario s’est engagé à « compléter l’ensemble de l’apprentissage [lié aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits] dans ce curriculum du palier élémentaire », pour septembre 2023. Néanmoins, le nouveau programme de Sciences et technologie entré en vigueur en 2022, a accordé une place moins importante que prévu aux perspectives autochtones (People for Education, 2023).
La situation au printemps 2023
Au printemps 2023, dans un rapport, l’association People for Education a souligné que « des progrès ont été réalisés dans la dernière décennie en ce qui concerne l’enseignement autochtone dans les écoles publiques de l’Ontario ». Toutefois, le rapport ajoutait : « Le Canada a encore beaucoup de chemin à faire pour honorer les appels à l’action de la CVR en matière d’éducation » (People for Education, 2023).
Ainsi, la proportion d’écoles élémentaires proposant du perfectionnement professionnel centré sur l’enseignement autochtone, est passée de 34 % en 2012-2013 à 76 % en 2022-2023. De même, le nombre d’écoles qui offrent des cours de langues autochtones a plus que triplé entre 2012 et 2022. Il est ainsi passé de 4 à 13 %. Le rapport notait également qu’en 2022-2023, le gouvernement provincial a consacré 120,5 millions de dollars à renforcer l’éducation autochtone pour l’ensemble des élèves, et à soutenir les élèves autochtones. Ce rapport invitait à poursuivre et à approfondir ces actions. Il pointait notamment que les révisions du programme d’Études sociales se faisaient toujours attendre.
Des changements bien accueillis et qui doivent être poursuivis
Ainsi, les changements introduits dans les programmes à la rentrée scolaire 2023 correspondaient à des attentes. Ils ont donc été accueillis favorablement. Elaine Johnston, qui est présidente de l’association Indigenous Trustees Council de l’Ontario Public School Board, a déclaré que cette évolution est « encourageante ». Toutefois, elle a appelé à rendre l’éducation autochtone obligatoire sur l’ensemble des niveaux, insistant sur le fait que la réconciliation est un processus en cours et qui prend du temps.
Les révisions apportées aux programmes scolaires ontariens au sujet de l’éducation autochtone visent à promouvoir le respect et la diversité. Par ailleurs, un autre changement a également pour objectif de défendre la tolérance et de lutter contre la haine. Il s’agit de l’enseignement de l’histoire des communautés juives et de l’antisémitisme.
Enseigner plus tôt l’histoire des communautés juives au Canada et l’antisémitisme
Un programme scolaire révisé en 6e année
Un autre changement intervenu à la rentrée scolaire 2023 concerne le programme d’Études sociales de 6e année (l’équivalent de la 6e en France). Désormais, en Ontario, l’histoire des communautés juives au Canada et l’antisémitisme font partie de ce programme. Auparavant, ces questions étaient enseignées en 10e année (l’équivalent de la Seconde), dans le cadre d’un cours sur l’histoire du XXe siècle. Plus précisément, le programme révisé de 6e année a intégré les deux sujets suivants : « les expériences et contributions des communautés juives au Canada, et les effets de l’antisémitisme sur ces communautés » ; « la réponse du gouvernement canadien à l’Holocauste[1], aux actes haineux et aux violations des droits de la personne ».
En novembre 2022, le ministre de l’Éducation de l’Ontario, Stephen Lecce, avait annoncé ces modifications. Des partenariats avec plusieurs associations très impliquées dans la lutte contre l’antisémitisme ont accompagné ces mesures. Ils ont pour but de créer des ressources éducatives destinées aux enseignants et aux élèves. Le gouvernement de l’Ontario a également annoncé la mise en place d’une « qualification additionnelle » pour les enseignants, portant sur l’enseignement de la Shoah et la lutte contre l’antisémitisme. La création de cette qualification est en cours.
Des mesures pour lutter contre la haine et l’antisémitisme
Les nouveaux sujets ajoutés au programme d’Études sociales sont présentés comme un moyen pour lutter contre la haine et l’antisémitisme dans les écoles, et plus généralement dans la société. Lors des annonces faites à l’automne 2022, le ministre Stephen Lecce avait déclaré que « les personnes qui ne tirent pas les leçons de l’histoire sont condamnées à la répéter« .
Selon les chiffres de Statistique Canada, les crimes haineux[2] ont augmenté ces dernières années dans l’ensemble du pays. Ils ont connu une hausse de 27 % en 2021 et de 36 % en 2020. Cette augmentation concerne principalement les crimes antireligieux et ceux liés à l’orientation sexuelle. En 2021, les crimes antisémites ont augmenté de 47% (les crimes antimusulmans de 71 %, et les crimes anticatholiques de 260 %), et ils représentent plus de la moitié des crimes antireligieux (487 sur 884).
Le rapport de la police de Toronto sur les crimes haineux commis en 2022 est également alarmant. La communauté juive est la première ciblée, alors qu’elle ne représente que 3,4 % de la population de la ville. En 2022, dans la capitale de l’Ontario, les crimes à caractère religieux représentaient 31,4% de la totalité des crimes haineux. Cela en fait le second motif (derrière les crimes racistes et xénophobes : 37,6 %). 63 crimes antisémites ont été commis cette année-là, soit environ 26 % de la totalité des crimes haineux, et presque 83 % des crimes haineux pour motif religieux (Toronto Police Service, 2022).
Les écoles sont également concernées
Ce phénomène n’épargne pas les écoles. Selon un sondage mené en 2021 par l’Université Western Ontario et l’association Liberation75 auprès d’élèves (majoritairement au collège) vivant au Canada et aux Etats-Unis, 42 % disent avoir vu ou entendu des actes ou des propos antisémites. Et, à la question « Est-ce que la Shoah a eu lieu ? », 32,9 % des élèves n’ont pas choisi la bonne réponse : 7,33 % ont estimé que la Shoah s’est bien produite, mais que le nombre de Juifs tués est exagéré ; 2,87 % ont répondu ne pas avoir la certitude que ce génocide a vraiment eu lieu ; 22,7 % ont déclaré ne pas savoir quoi répondre (Lerner, 2021). Ainsi, ces chiffres montrent que certains élèves méconnaissent ou ignorent ce qu’a été la Shoah. Ils témoignent également de la diffusion d’idées qui relativisent voire remettent en cause l’existence de ce génocide.
Toutefois, après avoir participé à un programme organisé par l’association Liberation75, les élèves donnant ces réponses étaient moins nombreux (23%). Cela est le signe que l’éducation a un rôle à jouer (Lerner, 2021). Lorsque le ministre de l’Éducation de l’Ontario avait annoncé en novembre 2022 que le programme scolaire allait être modifié, il avait souligné que les incidents antisémites qui se produisent à l’école ont lieu très majoritairement en 7e et 8e années (soit 5e et 4e en France). Et il avait expliqué l’importance d’éduquer les élèves plus jeunes. Ces annonces allaient dans le sens des recommandation de Liberation75 et d’autres associations très investies dans l’enseignement de la Shoah. Marilyn Sinclair, la fondatrice de Liberation75, a bien accueilli les révisions du programme d’Études sociales, et elle s’est déclarée satisfaite.
D’autres changements annoncés dans les programmes scolaires
Avec les changements introduits à la rentrée 2023, l’Ontario est devenue la première province du Canada à rendre l’enseignement de la Shoah obligatoire en 6e année. Depuis octobre 2023, la guerre entre Israël et le Hamas a entraîné une augmentation des actes antisémites et islamophobes dans le pays. Dans ce contexte, en novembre 2023, le gouvernement ontarien a annoncé que l’enseignement du génocide juif sera plus approfondi en 10e année (soit la Seconde). Ces modifications entreront en vigueur en 2025. D’autres provinces et territoires ont fait des annonces similaires (Colombie-Britannique, Saskatchewan, Manitoba, Alberta, Yukon).
Conclusion
Les modifications apportées aux programmes scolaires de l’Ontario sont conçues comme des éléments pour lutter contre l’intolérance et la haine. Et également pour promouvoir le respect et la diversité, par l’éducation. Il faudra plusieurs mois voire plusieurs années pour évaluer l’impact de ces changements sur les élèves, et plus généralement sur la société.
[1] Au Canada, en français comme en anglais, on utilise davantage le terme d’« Holocauste » que celui de « Shoah ».
[2] L’expression de « crimes haineux » « réfère à des infractions criminelles motivées par la haine de la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, l’incapacité mentale ou physique, l’orientation sexuelle ou tout autre facteur similaire, tel que la profession ou les convictions politiques. » (source : Statistique Canada).
Bibliographie
-Commission de vérité et de réconciliation du Canada. (2015). Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir. Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Publications du Gouvernement du Canada. https://publications.gc.ca/collections/collection_2016/trc/IR4-7-2015-fra.pdf
-Habkirk, Evan. (2019, 6 novembre). A Year of Inaction: Ontario Education and the TRC. Active History. https://activehistory.ca/blog/2019/11/06/ontario-education-and-the-trc/
-Lerner, Alexis M. (2021). “2021 Survey of North American Teens on the Holocaust and Antisemitism.” Liberation75. https://www.liberation75.org/survey
-People for Education. (2023). En attendant vérité et réconciliation : un rapport d’étape sur l’enseignement autochtone dans les écoles publiques de l’Ontario. People for Education. https://peopleforeducation.ca/wp-content/uploads/2023/04/En-attendant-verite-et-reconciliation_FR_25avril.pdf
-Robson, Karen L. (2019). Sociology of Education in Canada. Ecampus Ontario. https://ecampusontario.pressbooks.pub/robsonsoced/
-Toronto Police Service – Hate Crime Unit. (2022). Annual Hate Crime Statistical Report. Toronto Police Service. https://www.tps.ca/media/filer_public/3e/4d/3e4d9fc0-d73a-4ebc-baee-bba905f3d062/a8b80334-4ac8-4d14-9acd-37005d8a391f.pdf
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