Baromètre du pluralisme culturel et religieux au Liban

L’Observatoire Pharos, en collaboration avec la Fondation Adyan et l’Université Saint Esprit de Kaslik, a mené une étude sur le pluralisme culturel et religieux dans trois régions du Liban : Beyrouth, le Chouf, et Zahlé.

L’objectif principal de l’étude est de comprendre, grâce à la méthodologie du Baromètre du pluralisme culturel et religieux, la manière dont se vit la diversité culturelle et religieuse dans trois régions libanaises, et en tirer des pistes de réflexion pour améliorer la cohésion sociale.

OBJECTIF
Comprendre les dynamiques culturelles et religieuses dans trois régions libanaises, et tester la validité des paramètres théoriques du Baromètre dans un contexte difficile et leur reproductibilité dans d’autres contextes.

Durée du projet : 21 mois (janvier 2023 – septembre 2024)

 Budget : 98 000 euros

Personnes enquêtées : 150 individus, 6 experts

Qu’est-ce que le Baromètre du pluralisme culturel et religieux ?

Le Baromètre du pluralisme culturel et religieux est un outil conçu par l’Observatoire Pharos pour rendre compte de la manière, sur un territoire donné, dont la diversité culturelle et religieuse est vécue et gérée. Il consiste en une méthodologie innovante et réplicable conçue par l’Observatoire Pharos et ses partenaires de recherche internationaux, qui permet d’analyser les dynamiques culturelles et religieuses dans les différentes sphères sociales, en tenant compte à la fois des faits, des perceptions et des opinions.

Les études réalisées à partir de la méthodologie du Baromètre du pluralisme reposent sur vingt-deux critères paramétrés et contextualisés, répartis en trois dimensions et neuf sous-dimensions, qui forment une grille d’évaluation.

Contexte de l’enquête

L’enquête a été réalisée au Liban, à Beyrouth, Zahlé et dans le Chouf.

Première application du Baromètre du pluralisme culturel et religieux : Entre janvier et avril 2023, la méthodologie du Baromètre du pluralisme culturel et religieux a été appliquée pour la première fois à l’international, au Liban. Cela a nécessité l’adaptation des questionnaires à un contexte particulièrement complexe, marqué par une diversité confessionnelle unique et des dynamiques socio-politiques sensibles. L’objectif sous-jacent à cette étude était de tester et affiner la méthodologie afin d’en garantir la pertinence et l’efficacité dans d’autres contextes.

Un contexte libanais marqué par une riche diversité et de profondes fractures : Le Liban se distingue au Moyen-Orient par sa pluralité religieuse exceptionnelle, regroupant 18 communautés reconnues, issues des traditions musulmanes, chrétiennes et juives, auxquelles s’ajoute une population non religieuse croissante. Cette mosaïque confessionnelle, souvent qualifiée de « message de liberté », contraste avec l’histoire récente du pays, marquée par la guerre civile de 1975 à 1990. Depuis plusieurs années, le Liban traverse une crise économique et politique profonde qui exacerbe les inégalités et remet en question les bases d’un projet commun au sein de la société.

Trois zones d’étude : Beyrouth, le Chouf et Zahlé : Les enquêtes ont été menées dans trois régions reflétant la diversité et les dynamiques propres au Liban. Beyrouth, capitale cosmopolite et centre économique, illustre une pluralité confessionnelle marquée mais fragmentée par des divisions héritées de la guerre civile. Le Chouf, région montagneuse à l’histoire de coexistence entre Druzes, chrétiens et sunnites, incarne une perspective unique sur la cohabitation interreligieuse et ses défis actuels. Enfin, Zahlé, ville chrétienne majoritaire dans la vallée de la Bekaa, est entourée d’une région où cohabitent presque toutes les confessions libanaises, faisant d’elle un terrain d’étude crucial pour analyser les interactions entre groupes religieux dans un contexte rural et agricole.

Méthodologie de l’enquête

Le projet s’est déroulé en plusieurs étapes :

Les enquêtes : 3 étudiants de l’USEK ont été formés et supervisés par les Docteurs Mirna Mzawak, Céline Merheb et Karine Nasr afin qu’ils mènent 150 entretiens individuels entre janvier et avril 2023 auprès d’un échantillon représentatif de Libanais résidant dans trois régions du Liban : Beyrouth, Chouf/Aley et Zahlé. Ces régions ont été choisies en raison de la diversité des origines religieuses de leurs habitants, et parce que certaines ont également un passé de conflits religieux. Cinquante entretiens ont été réalisés dans chacune des localités. L’échantillonnage a été réalisé à partir des critères suivants : religion, âge, sexe, situation professionnelle et nature de la ville dans laquelle les individus résident (majorité chrétienne, majorité sunnite, majorité chiite, majorité druze, pas de majorité claire, entre autres). Les entretiens ont été conduits à partir d’un questionnaire de 29 questions faisant référence à la grille de critères du pluralisme religieux.

Les analyses des experts locaux: Afin de compléter l’étude de perception, six entretiens auprès d’experts spécialisés sur les zones étudiées ont été réalisés par le Dr Mirna Mzawak et Céline Merheb afin d’apporter une perspective complémentaire : certains critères nécessitent une analyse factuelle, qui est ensuite mise en relation avec les perceptions. Ces entretiens ont été complétés par certaines analyses issues de la veille de l’Observatoire Pharos sur le Liban : diffusée sous la forme de bulletins hebdomadaires rédigés par un observateur du réseau, elle recense des informations en provenance de sources diverses (médiatiques, académiques, confessionnelles, institutionnelles, société civile) et permet un suivi de l’évolution du pluralisme culturel et religieux dans le pays. Ce contenu, produit en continu depuis bientôt dix ans, a permis d’objectiver certains éléments d’analyse issus du terrain, et de prendre un recul historique sur certaines perspectives.

Rédaction : La rédaction du rapport final a été faite par Catherine Bossard avec les contributions d’Ana Maria Daou, Julie Simon, Fadi Daou, Elie Al Hindy et Mathilde Girardot.

citation
Il y a eu beaucoup d’études sur le cas libanais, mais ce rapport approche la question dans l’interdisciplinarité entre trois sphères [sociale, privée et politique]. Il y a une distinction et une interaction entre ces trois sphères que le rapport montre de manière assez originale.

 – Fadi Daou, professeur de géopolitique des religions

6 idées clés de l’enquête

Autolimitation de la liberté de conscience et de religion dans la sphère privée

Les Libanais enquêtés ont déclaré s’autolimiter dans l’expression de leurs convictions religieuses lorsqu’elles diffèrent de celles de leur entourage proche. Certains évoquent la fidélité à une transmission, le respect d’un héritage. D’autres s’expliquent par la crainte et la pression sociale, et disent vouloir éviter à leur famille la honte. Pour d’autres enfin, c’est le moyen de conserver des relations apaisées.

Religion et violence : un lien fort dans la conscience collective

Les données existantes témoignent de faits de violence sporadiques en raison de la religion ou des convictions. Si presque tous les Libanais enquêtés ont dit n’en avoir jamais été victimes, beaucoup ont cependant fait part de craintes de violences et de conflits. L’éventualité d’être soi-même victime est assez partagée, sous différentes formes, témoignant d’une relation forte entre religion et violence dans la conscience collective. Il est important de noter que cette peur de la violence religieuse n’est pas fantasmée ou infondée, mais est basée sur des événements significatifs de violence à connotation inter-sectaire qui se sont produits non seulement pendant les années de guerre, mais qui continuent à se répéter jusqu’à aujourd’hui, le tout sans aucune responsabilité significative ou contrôle de l’État.

Les actions collectives plébiscitées, mais les initiatives interreligieuses boudées

Si l’engouement pour les actions collectives, c’est-à-dire trans-confessionnelles, est presque unanime, les enquêtés ont marqué une grande réserve quant aux initiatives délibérément interreligieuses. Celles-ci sont perçues comme superficielles, institutionnelles et réservées à une certaine élite. Pour un certain nombre de Libanais enquêtés, participer à ce genre d’initiative est aussi un luxe, dans un contexte de crise économique et de déclassement. En revanche, les concerts, festivals, ou encore les manifestations, sont valorisés comme événements créateurs de liens.

Éducation à la pluralité : Écart entre ce que l’on connaît des autres et ce qu’ils connaissent de nous

Beaucoup des Libanais enquêtés ont déclaré avoir des connaissances sur les autres religions, les avoir apprises à l’école ou dans l’entourage familial. La plupart considèrent en revanche que les personnes d’autres communautés ne connaissent pas ni ne s’intéressent à leur propre religion. L’éducation à la pluralité est à repenser à la lumière de ce différentiel entre la première déclaration et la perception suivante.

Une grande habitude de la mixité, mais une mixité partielle et des interactions superficielles

Lorsque les enquêtés parlent des différences qui les entourent, celles-ci sont nombreuses et concernent les pratiques plutôt que les croyances. Quand ils viennent pointer des différences visibles, beaucoup ajoutent qu’ils n’en comprennent pas les raisons. Ils côtoient donc des différences, expriment à l’enquêteur qu’ils ont des interrogations et qu’elles restent en suspens. Les interactions ne semblent pas aller jusqu’à approfondir ces différences.

La diversité au Liban : entre fierté, résignation et défi politique

L’enquête révèle des perceptions variées des Libanais envers la diversité de leur pays. Certains la considèrent comme une richesse et une opportunité, tandis que d’autres, ambivalents, estiment qu’elle est positive sous certaines conditions. Une majorité perçoit cette diversité comme une réalité imposée et inévitable, et une minorité la voit comme une malédiction ingérable politiquement. Malgré les difficultés et les blocages politiques, la plupart des Libanais expriment une fierté pour cette diversité culturelle et religieuse unique, la considérant comme un patrimoine immatériel précieux, bien que lourd à porter.

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