Le Plan National de Relèvement et de Consolidation de la Paix en République centrafricaine (RCPCA), présenté à Bruxelles en novembre 2016 aux partenaires internationaux, dresse les priorités de l’action gouvernementale entre 2017 et 2021. Ce document élaboré par les autorités centrafricaines, l’ONU, la Banque mondiale et l’Union européenne, s’appuie notamment sur une « enquête nationale auprès des communes et des ménages » menée par l’Institut Centrafricain des Statistiques, des Etudes Economiques et Sociales.
L’enquête livre des données intéressantes sur la perception des Centrafricains relative au dernier conflit, souvent réduit à un affrontement entre chrétiens et musulmans.
La crise, nourrie de frustrations anciennes, a éclaté en mars 2013 lorsque la Seleka, coalition de groupes armés du Nord de la RCA, a renversé le Président François Bozizé pour installer à la tête du pays Michel Djotodia, leader de la coalition rebelle qui devint par ce coup d’Etat le premier dirigeant musulman du pays depuis l’indépendance (exception faite de la rapide conversion du bientôt Empereur Bokassa, dans les années 1970). Rapidement, des milices soutenues par François Bozizé prennent les armes, pour protéger les quartiers majoritairement chrétiens de Bangui pillés – comme une grande partie de la capitale – par la Seleka. En quelques mois, ces bandes occupent de larges pans de territoires. Elles s’affrontent, chacune visant des civils « protégés » par le camp adverse, et donnent une coloration confessionnelle inédite à ce nouveau cycle de violences.
En Centrafrique comme à l’international – et notamment dans les médias occidentaux – la lecture du conflit se fige aussi sur une lecture religieuse. Ce que l’enquête d’opinion incluse au RCPCA montre, c’est une baisse de la perception de « tensions ethniques et religieuses », notamment à Bangui, au cours du premier semestre 2016. Cela illustre davantage la perte d’intensité du conflit qu’un changement de grille de lecture. Il faut néanmoins noter que dans les préfectures d’Ouham et Kemo, au centre du pays, presque la moitié des répondants estiment que les tensions ethniques et religieuses s’aggravent.
Extrait du RCPCA, p.86
https://eeas.europa.eu/sites/eeas/files/car_main_report-a4-french-web.pdf
De fait, la situation sécuritaire a beaucoup évolué. Les affrontements entre Seleka et Anti-Balakas persistent dans certaines régions (à Kaga-Bandoro , préfecture de Nana-Grébizi), le nombre de groupes armés actifs reste élevé (14), même si tous devaient être représentés, le 23 mars dernier, au Comité Consultatif et de Suivi du programme de Désarmament, Démobilisation, Réintégration et Rappatriement (DDRR) .
Alors que les Anti-Balakas ont largement rejoint ce programme, des combats fratricides entre branches de la Seleka subsistent. Pour Richard Moncrieff, directeur du projet Afrique centrale de l’International Crisis Group, les nouvelles lignes de fractures ne sont pas religieuses mais davantage tribales ou ethniques . Si cet élément est à prendre en considération, il reste cependant à nuancer. A l’origine des combats entre l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC) et le Front Populaire pour la Renaissance de la Centrafrique (FPRC), deux groupes de l’ex-Seleka qui s’affrontent aujourd’hui dans les préfectures de la Ouaka et de la Haute-Kotto, on trouve un désaccord profond sur la stratégie politique à adopter (exiger ou non l’indépendance du Nord du pays). A ce différend sont venus s’ajouter des dissensions sur la coordination des groupes de la coalition, et des conflits entre chefs pour le contrôle d’exploitations minières.
Il n’en reste pas moins que le FPRC reprend un discours porté par les Anti-Balakas pendant la crise en l’ethnicisant : alors qu’il y a deux ans, tous les « musulmans » de la Seleka étaient désignés abusivement comme des mercenaires étrangers, le FPRC majoritairement composé de Gula et Runga accuse les Fulani de l’UPC d’être eux-mêmes des étrangers, sans légitimité.
Ainsi, malgré l’effacement d’un des acteurs de la crise – les Anti-Balakas engagés dans le processus de DDRR – les lignes de fractures se redessinent sur des bases ethniques plus que religieuses. Un an après l’investiture de Faustin-Archange Touadéra, force est de constater que l’absence d’autorité étatique sur l’ensemble du territoire crée un vide favorable aux groupes armés qui exploitent les appartenances multiples de nombreux Centrafricains pour les opposer et poursuivre leur quête de pouvoir.
Image : Central African Republic / An internally displaced man walks through the grounds of Ecole L’iberte, an IDP camp in the town of Bossangoa December 17, 2013. UNHCR
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