Le 2 juin, la police jordanienne est intervenue sur ordre du gouverneur Jamal Al-Fayez dans un restaurant de Naour, à quelques kilomètres au Sud de la capitale Amman, afin d’expulser les étudiants qui y mangeaient et arrêter les gérants du lieu, les accusant de servir à manger en plein Ramadan.
Le raid de la police a provoqué une vive polémique en Jordanie sur la légalité de cette intervention, et relancé le débat sur la nature exacte du régime jordanien : ce dernier est-il un Etat islamique ou un Etat laïque ?
Des activistes ont lancé le hashtag #Ghazwat_Naour (« Invasion de Naour ») pour protester contre le raid de la police jordanienne. Ces activistes, loin d’être minoritaires, s’étaient déjà mobilisés en 2014 en lançant une campagne sur les réseaux sociaux intitulée « Tout comme vous avez le droit de faire le Ramadan, respectez le mien à avoir une vie normale ». Ces activistes ont poursuivi sur leur lancée en créant le « Mouvement séculariste de Jordanie », demandant la « non-criminalisation des personnes qui mangent en public pendant le Ramadan ». Certains utilisateurs sur Twitter s’en sont pris à la police, l’accusant d’agir comme Daech dans les territoires qu’il contrôle et où il punit les personnes surprises en train de manger pendant le Ramadan.
Le code pénal jordanien stipule clairement que les personnes enfreignant le Ramadan publiquement pourront être soumis à une peine allant jusqu’à un mois de prison ou être condamnées à payer une amende de 25 dinars (31 euros environ). Le Ministère du Tourisme et des Antiquités s’est employé, toutefois, à ce qu’une dérogation soit accordée aux lieux touristiques afin qu’ils puissent servir à boire et à manger durant le Ramadan sous certaines conditions (équiper le restaurant de rideaux notamment).
De plus, l’article 2 de la Constitution jordanienne stipule que l’islam est la religion de l’Etat. Pour les musulmans, le jeûne du Ramadan est le quatrième pilier de l’islam ; il est obligatoire à ce titre, et justifie l’existence de règles comme l’article 274 du code pénal.
Ces restrictions imposées aux personnes mangeant en public pendant le mois de Ramadan ont été mises en exergue par le gouverneur d’Amman, Saad Shebab, qui a menacé le 25 mai dernier de prendre les mesures administratives et légales nécessaires pour arrêter quiconque viendrait à enfreindre l’article 274 du code pénal. Quatre établissements touristiques ont ainsi été fermés durant les dix premiers jours du Ramadan en raison du non-respect de la loi. La fermeture du restaurant de Naour a, en outre, été justifiée par l’absence de rideaux aux fenêtres, permettant ainsi aux passants de voir les gens manger à l’intérieur.
D’autres cas similaires ont été relevés en Jordanie ces dernières semaines : le 5 juin par exemple, deux touristes qui mangeaient dans un bus ont été réprimandés par une passagère, qui est ensuite venue se plaindre au chauffeur ; celui-ci s’est arrêté à hauteur d’une patrouille de police et a forcé les touristes à descendre de son bus.
Malgré le contenu de l’article 2 de la Constitution, le code civil jordanien n’est pas basé sur la charia, à l’exception des lois relatives à l’héritage et au mariage. Dans un document officiel en date du 16 octobre 2016, le Roi Abdullah a présenté son plan de route pour la Jordanie afin que le pays atteigne les pré-requis d’un Etat séculier, dans lequel la « justice sociale, l’égalité et le respect de la loi » prévaudraient, et au sein duquel « la religion serait un contributeur clé du système de valeurs et de normes », mais où le pluralisme serait respecté.
Un grand nombre d’activistes ont fait valoir ce plan de route pour protester contre l’intervention policière à Naour, relevant que cette criminalisation des personnes mangeant en public était une forme de restriction des libertés, et violait de fait les conventions internationales signées et approuvées par la Jordanie, à commencer par la Déclaration des Droits de l’Homme, dont l’article 12 stipule que personne ne peut faire l’objet d’interférences arbitraires dans sa vie privée. Pour eux, le jeûne est une décision personnelle, et non publique ; en conséquence, l’Etat ne devrait pas pénétrer dans la sphère privée des citoyens jordaniens en punissant ceux qui ne font pas le Ramadan.
L’intervention policière dans le restaurant de Naour a ainsi rouvert le débat sur l’identité exacte de l’Etat jordanien et sa relation avec l’islam, dans un pays où, en 2012, 92 % de sa population était de confession musulmane*.
* Pew Research Center, The World’s Muslims: Unity and Diversity, 2012
Image : Restaurants à Amman durant une nuit de Ramadan, By Jeffrey Montes