Le 7 juin dernier, le président de la région autonome du Kurdistan irakien, Masoud Barzani, a annoncé qu’un référendum sur l’indépendance de sa région se tiendrait le 25 septembre, malgré l’opposition de Bagdad. Composé de trois provinces, le Kurdistan irakien est une région du Nord de l’Irak, autonome depuis 1991. Les Kurdes irakiens, qui seraient environ 4,6 millions, soutiennent majoritairement l’idée d’indépendance.
Cette annonce de référendum n’a pas été accueillie partout de la même manière à l’étranger : si les chancelleries européennes sont restées prudentes en affirmant que ce référendum n’était peut-être pas annoncé au « bon moment », d’autres pays, au premier rang desquels la Turquie et l’Iran, ont exprimé leur opposition franche à ce référendum.
En Irak, les groupes religieux ont réagi différemment à l’annonce de ce référendum en fonction de leur relation avec les Kurdes.
Les Juifs kurdes, fervents partisans du référendum
La Communauté kurde juive (KJC) a affirmé le 11 juin que les Juifs du Kurdistan mais aussi d’Israël accueillaient avec enthousiasme la perspective d’un référendum, affirmant qu’un Etat kurde indépendant mettrait fin aux atrocités, aux déplacements forcés de populations et aux destructions auxquels la région fait face depuis plusieurs décennies maintenant. De plus, ils rappellent qu’ils sont spirituellement attachés à la prospérité de cette région car elle est celle de deux de leurs prophètes, Nahum et Daniel.
De fait, au cours du siècle passé, l’Irak a été gouverné par les Britanniques, puis par une monarchie, une junte militaire, le régime baasiste, et enfin une république. Chacun de ces régimes a eu sa part de responsabilité, directe ou non, dans les violences diverses qu’ont connues les minorités au cours du temps. Entre 1948 et 1951, 121 000 juifs ont ainsi quitté l’Irak et le Kurdistan pour Israël, au cours de plusieurs opérations d’exfiltration massive menées par l’Etat hébreu afin de rapatrier les Juifs faisant l’objet de persécutions de la part des autorités irakiennes à la suite de la création d’Israël.
Aujourd’hui, les Juifs sont environ un millier en Irak, et se trouvent principalement dans le Kurdistan irakien. Dans la déclaration du KJC, ils soutiennent « qu’au nom des futures générations, de l’humanité, et afin de vivre dans une société pacifique, soutenons tous ensemble l’indépendance du Kurdistan ».
Les yézidis, favorables à un Etat kurde indépendant dont ils feraient partie
Pour les yézidis, le référendum du 25 septembre est l’opportunité de faire entendre leurs voix et de choisir la voie qui leur convient le mieux, selon la seule représentante yézidie du Parlement irakien, Vian Dakhil. Pour elle, la minorité yézidie va voter nettement en faveur de l’indépendance du Kurdistan irakien.
En effet, elle estime qu’un Etat kurde indépendant leur fournira la stabilité, la sécurité et la prospérité dont ont besoin les yézidis. Les Kurdes irakiens ont, de fait, été yézidis autrefois, avant que la majorité d’entre eux ne se convertisse à l’islam. Historiquement, les yézidis et les Kurdes entretiennent des liens très forts, qui se traduisent aujourd’hui encore dans les opérations militaires quotidiennes que mènent conjointement les peshmergas et les YBS, les milices armées yézidies.
Après avoir souffert des atrocités commises par l’Etat islamique, les yézidis ont trouvé refuge auprès des Kurdes – irakiens comme syriens d’ailleurs, bien que les peshmergas et le PKK soient adversaires ; beaucoup de yézidis se tournent ainsi naturellement vers les Kurdes. La parlementaire yézidie Vian Dakhil est d’ailleurs membre du Parti démocratique kurde (KDP). L’incorporation notable et récente de yézidis parmi la milice chiite Hashd al-Shaabi ne devrait pas contre-balancer cette tendance.
La classe politique sunnite « pas défavorable » à un référendum
Les hommes politiques sunnites ne se sont pas déclarés défavorables au référendum, dans la mesure où il n’implique pas, pour le moment, de se détacher de l’Irak. Pour eux, les mécanismes de sécession sont plus longs et complexes qu’un simple référendum. Le parlementaire Raad Dahlaki, membre de la Coalition des Forces sunnites, déclarait ainsi le 12 juin que « ce référendum est davantage un coup de com’ ou l’expression d’une prise de position, mais pas une sécession, car une sécession requiert un ensemble de mécanismes autrement différents que ce référendum ».
Pour lui, l’action primordiale à effectuer avant tout acte de séparation est de régler le différend concernant les régions irakiennes que revendiquent à la fois les Kurdes et le gouvernement irakien, au premier rang desquelles la riche région pétrolière de Kirkouk, que les Kurdes contrôlent de facto.
La prudence de la position sunnite s’explique par leur volonté de se démarquer de la position chiite, franchement opposée au référendum.
Les chiites, principal groupe d’opposition au référendum kurde en Irak
Les chiites font valoir aussi bien les difficultés internes à l’Irak que les risques internationaux pour justifier leur opposition à la création d’un Etat kurde indépendant.
Sadiq Liban, député irakien membre de la Faction de l’Etat de droit dirigée par l’ancien Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, souligne ainsi que la Constitution irakienne ne permet pas de faire sécession de manière unilatérale. Pour lui, la création d’un Etat kurde indépendant serait la source de nouvelles tensions dans la région, car il est convaincu qu’Israël et d’autres rivaux, qui ont comme projet la division de l’Irak, sont derrière l’organisation de ce référendum.
Un autre parlementaire membre du parti de Sadiq Liban, Ali Adeeb, souligne le fait que la présidence du Kurdistan irakien a annoncé ce référendum de manière unilatérale, sans consultation du gouvernement de Bagdad au préalable, tout comme il avait pris de lui-même la décision de vendre du pétrole, de signer des contrats pétroliers, ou encore de créer et collecter de nouveaux impôts.
D’autres députés chiites affirment que le Kurdistan irakien doit rester une région de l’Irak, et qu’ils sont déterminés à préserver l’intégrité de leur pays et à empêcher l’indépendance d’avoir lieu. Certains, plus pondérés, font valoir que le moment est mal choisi car le Kurdistan ne dispose pas des pré-requis nécessaires à l’établissement d’un véritable Etat, ce qui se traduirait par la naissance de nouveaux problèmes pour sa population.
Ainsi, le référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien cristallise les identités religieuses en Irak, où chaque communauté entretient des relations particulières avec les Kurdes. Le conflit contre l’Etat islamique a conféré une puissance et une influence certaines aux Kurdes, dont ces derniers comptent bien jouer avant que les accords internationaux ne viennent à nouveau sceller leur sort.
NDLR : Cette analyse est la synthèse de trois articles de presse issus du journal Rudaw ; les liens vers ces articles se trouvent dans l’encart de la source et dans la rubrique « Pour aller plus loin ».
Image : des peshmergas brandissent le drapeau du Kurdistan irakien, By Kurdishstruggle