Le 20 juin 2017, le vice-président de la CINCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) a eu, lors de la 54ème session de l’Assemblée plénière à Kinshasa, les mots cristallisant ce que tout le monde semblait redouter : le Kasaï est entré dans une crise humanitaire grave renforcée par l’instrumentalisation de la pauvreté à des fins politiques.
L’équilibre instable de l’horreur
La veille, le 19 juin 2017, la Nonciature Apostolique de RDC publiait une note technique résumant les « dommages soufferts par les institutions ecclésiastiques » du pays. Cette note fait état, entres autres, de 141 écoles endommagées ou fermées et revient sur les « autres dommages signalés » : 30 fosses communes (42 selon l’UNJHRO, le Bureau Commun des Droits de l’Homme des Nations Unies, dont aucune ne faisant l’objet d’une enquête), 3383 décès, 20 villages complètement détruits. Fait important si ce n’est central, la Nonciature Apostolique dénonce les responsables de ces destructions : 10 de ces villages ont été détruits par les FARDC (l’armée de la RDC), 4 par les miliciens (Kamuina Nsapu) et 6 par des auteurs inconnus.
Les droits de l’homme bafoués
Les nouvelles sont ainsi peu rassurantes et laissent peu de place à l’espoir d’une sortie de crise rapide puisque le dernier rapport en date de l’ONU faisait état d’une centaine de morts « seulement ». Mais plus que cela, il semble que la crise devenue conflit soit en train d’exploser alors que ces chiffres viennent appuyer une déclaration de l’UNJHRO accusant les agents de l’état de la RDC d’être devenues les principales sources de violation des droits de l’homme au Kasaï : sur 431 violations des droits de l’homme sur le territoire de la RDC pour le seul mois de mai, 60% d’entres elles sont imputées à des agents de l’Etat par la MONUSCO. Cette accusation s’appuie en partie sur la certitude du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme que l’Etat Congolais a fourni en armes une milice Bana Mura : elle « soutiendrait les autorités dans la lutte » contre la rébellion Kamwina Nsapu, et « a mené des attaques horribles contre des civils des groupes ethniques luba et lulua », a déclaré Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-commissaire aux droits de l’Homme, devant le Conseil réuni à Genève mardi 20 juin 2017. La veille, le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide, Adama Dieng, a quant à lui débuté une visite de six jours et n’a donc pas souffert de la menace brandie par les autorités de la RDC de refuser des visas aux enquêteurs onusiens annoncés dans le cadre de l’enquête internationale et indépendante pour le Kasaï.
Le processus Onusien contraint à l’immobilisme ?
Cette menace ou tout au moins ce rappel à l’ordre s’explique dans une certaine mesure par une volonté affichée par le gouvernement de Kinshasa de préserver sa souveraineté. A cet effet, la Ministre des Droits Humains de la République Démocratique du Congo a rappelé lors de ce même Conseil des Droits de l’Homme à Genève que la RDC accueillerait une équipe d’enquêteurs des Nations Unies (une promesse déjà faite en mars), mais que cependant « cet appui sera technique et/ou logistique, et la justice congolaise gardera le leadership de ces enquêtes ». A cet égard deux groupes se sont dessinés lors des négociations sur l’envoi de cette équipe. Un groupe « Afrique », dans sa majorité contre, l’Afrique du Sud et l’Egypte étant les plus réfractaires et l’Angola faisant figure d’exception. A l’opposé s’est construit un groupe « Europe » ouvertement pour, la Belgique, la Grande-Bretagne et la France en tête. La ministre a également profité de la tribune du Conseil pour réfuter les accusations d’une relation de « cause à effet, entre la situation sécuritaire dans les Provinces du Kasaï et le processus électoral en République Démocratique du Congo », faisant référence à la fin du second mandat de Kabila censé s’être achevé en novembre 2016. Enfin, dans ce discours accusant à mots couverts l’ONU d’une vision superficielle du conflit, la Ministre à concédé à l’assemblée que « certains militaires congolais indisciplinés, avaient ouvert le feu sur des civils innocents » mais a assuré que la justice congolaise trahira en justice les responsables de la mort des « 1333 civils et 289 policiers tués à ce jour », des chiffres qui ne semblent pas concorder avec ceux de la Nonciature Apostolique de RDC.
Sur le terrain l’étau semble se resserrer sur les populations civiles, victimes des exactions des deux camps : d’un côté les miliciens Kamuina Nsapu s’en prennent directement à la population et tout ce qui symbolise pour eux l’Etat et de l’autre, l’armée FARDC considère tout un chacun comme potentiellement milicien. Dans une lettre ouverte publiée le 21 juin 2017 dans JeuneAfrique, Fred Bauma, activiste Congolais, nous interpelle et nous rappelle « tout ce dont est capable un peuple qui a le sentiment d’être incompris et abandonné (…) La révolte qui a éclaté au Kasaï est un signe de désespoir et de lassitude qui doit interpeller ».
Image : MONUSCO