Le 15 juin dernier, le ministre marocain de l’Education Nationale Mohamed Hassan annonçait une réforme d’envergure : l’enseignement du français dès la première année de l’école primaire. Déjà débattu sous le gouvernement Benkirane, le projet a été présenté au sein du rapport Vision stratégique de la réforme 2015-2030.
Comme l’explique le site d’information Geopolis Afrique, si le français a toujours occupé une place privilégiée dans l’enseignement marocain depuis la décolonisation, cette décision marque une rupture dans le continuum qu’avait initié Hassan II. En effet, le roi avait progressivement favorisé l’arabisation de l’administration nationale, et par conséquent de la société marocaine, pour assigner au français le statut de langue étrangère.
Jusqu’à maintenant enseigné à partir de la troisième année du primaire, cette réforme rehausse notablement la place du français : c’est précisément ce qui a mené les partisans d’un plus forte arabisation à craindre l’affaiblissement des langues officielles, que sont l’arabe et l’amazigh. Et ce, d’autant plus que c’est le dialecte ‘darija’ qui est utilisé quotidiennement par les Marocains, tandis que l’arabe classique demeure essentiellement une langue d’enseignement, administrative, et juridique.
Une réforme contestée
En première ligne de l’offensive anti-francophone se sont positionnés des mouvements idéologiquement traditionalistes : le parti au pouvoir PJD, son aile du Mouvement Unicité et Réforme, ainsi que le Collectif national pour la langue arabe. Leur principale critique se réfère à la crainte d’une réminiscence de l’héritage colonial pour les nouvelles générations.
Cependant, comme le souligne l’hebdomadaire Telquel, les diplômés marocains se confrontent aujourd’hui à la réalité du marché du travail, qui rend obligatoire le bilinguisme franco-arabe. Ainsi, toutes les formations post-bac adoptent pour la plupart un cursus francophone, privilégiant l’étude de l’anglais en parallèle, alors que les étudiants venus du secteur public marocain ont un niveau de français insuffisant. Ainsi, cette réforme permettrait de réduire l’écart entre élèves du secteur public face aux écoles privés qui ont depuis longtemps compris l’importance d’un apprentissage plurilingue.
Bien sûr, au-delà du changement que l’enseignement linguistique induit dans le quotidien de la société civile marocaine, l’enjeu interroge une problématique culturelle auquel le Maroc a dû faire face depuis 1956 : quelle identité revendiquer ? Entre la ferme volonté politique de mettre en avant les controversées « racines arabes » du Maroc et la nécessité de s’adapter à un marché économique mondialisé et plurilingue, ce dilemme se pose avant tout à l’école.
Même si les deux langues officielles demeurent l’arabe et l’amazigh, le français apparaît aujourd’hui symboliquement sur toutes les façades des bâtiments administratifs. Ce choix est donc en cohérence avec la politique d’ouverture de Mohammed VI, qui se tourne vers l’Afrique francophone depuis plusieurs années déjà. Le Maroc a toujours voulu suivre sa propre voie dans la construction d’une identité plurielle. A travers cette réforme, le pouvoir semble donc assumer de manière pragmatique la pluralité linguistique qui existe de fait sur son territoire national.
Image : Children in a class, Merzouga, Morocco, By Dimitri Markine , CC BY 3.0