Lors des élections du vendredi 4 août, l’actuel Président du Rwanda, Paul Kagame, a été réélu pour effectuer un troisième mandat. 98,63% des votants ont choisi de reconduire le Président sortant. Aucun des deux opposants de Kagame n’ont réussi à atteindre 1%. Selon la commission électorale rwandaise, plus de 90% des 6,9 millions de Rwandais inscrits sur les listes électorales se sont rendus aux urnes ce vendredi.
L’article a été écrit par Melina Platas pour le Washington Post. L’auteure est professeure-assistante en Sciences Politique à l’université de New York, à Abu Dhabi. Elle y fait des recherches sur la gouvernance et la responsabilité politique en Afrique. Le slogan adopté par le journal en 2017, « la démocratie meurt dans les ténèbres » (« Democracy Dies in Darkness »), résume cette volonté de demeurer un quotidien centriste avec une fonction de quatrième pouvoir. Les journalistes se concentrent donc à des analyses politiques aux Etats-Unis, ainsi qu’à l’international.
Le règne d’un parti unique
Beaucoup d’académiciens, d’hommes politiques et de journalistes ont critiqué, ces dernières années, les dérives autoritaires de Paul Kagame. En effet, la démocratie au Rwanda repose sur un parti unique : les opposants politiques ne constituent pas une alternative fiable contre le FPR (Front Patriotique Rwandais) qui s’assure d’être la seule option en utilisant des méthodes s’assurant de la mort ou de disparition des rivaux quand ils ne peuvent être mis en prison.
Que Paul Kagame et le FPR souhaitent rester au pouvoir n’est pas une surprise. En effet, la constitution avait été changée par un référendum fin 2015, lorsque Kagame, Président depuis 2000, arrivait au terme de son second mandat, afin qu’il puisse en briguer un troisième. Les taux de participation et d’approbation pour la réforme de la constitution avaient tout deux atteint 98%.
Indéniablement, le système politique au Rwanda n’autorise pas le multipartisme. L’intimidation par l’Etat, l’influence du parti présidentiel, l’incapacité d’être un opposant politique assurent le règne du FPR depuis 1994. Néanmoins, il est réducteur d’arrêter à ces faits la victoire électorale d’août 2017.
L’influence du rôle historique du FPR et de Kagame
Le FPR est au pouvoir depuis la fin du génocide contre les Tutsis : ce parti politique a réussi à stopper les Hutus en 1994 en effectuant une offensive militaire contre les génocidaires. Or, Kagame est en effet présent dans le gouvernement Rwandais depuis cette même date, d’abord en temps que vice-Président et ministère de la Défense – deux postes qui lui assuraient de fait la gouvernance du Rwanda. Outre la réussite militaire, il faut noter la reconstruction de la plupart des piliers et infrastructures de la société rwandaise. La reconstruction du système économique, politique et judiciaire entrepris par Kagame et son parti ont ainsi fondé la stabilité actuelle du pays.
Le pouvoir de Kagame repose donc sur une forte centralisation du pays – que certains critiques appellent un état policier. Néanmoins, une partie de l’aura du FPR et du Président repose également sur le fait qu’ils ont réussi à stabiliser le pays après un million de morts, à réconcilier Hutus et Tutsis puis à se débarrasser de ces terminologies.
Le Rwanda a également enclenché une forme de développement économique : le domaine de la santé est particulièrement prometteur. Pourtant, la vie dans la campagne rwandaise est bien éloignée de celles que l’on peut vivre à Kigali, dans ses hôtels et beaux restaurants. « Peu importent les défis [liés au développement économique], il n’empêche que beaucoup de Rwandais créditent Kagame pour avoir guidé le Rwanda hors de sa destruction totale. »
L’histoire unique du Rwanda joue donc parfois en faveur de Kagame, qui est parfois sincèrement adoré. Pour ces survivants, « voter pour Kagame peut être une réaffirmation – publique et privée – d’un engagement en faveur d’un maintien d’une stabilité politique qui à apporter la paix ».
La pression sociale, facteur du taux de participation
L’auteure de l’article montre également qu’il y a une forte pression sociale qui encourage les citoyens à voter. Au Rwanda, la légitimité de l’Etat et la stabilité du paix sont clairement en jeu pour beaucoup des citoyens qui ont été victime de l’horreur du génocide, et de l’ancien gouvernement Habyarimana.
« Combiner le contexte social lié au vote au Rwanda avec l’histoire unique du pays et le taux de participation, et le soutien fulgurant en faveur de Kagame semble un peu moins grotesque. » Ces faits, bien qu’importants lors d’analyses politiques, n’enlèvent rien de la peur que les Rwandais ressentent s’ils cherchent à faire entendre leur opposition aux politiques du FPR.
Image : By Kigali Wire, Flickr, CC BY-NC 2.0