L’éminent journaliste anglo-irlandais Kevin Myers a déclenché un tollé en juillet 2017 en publiant dans l’édition irlandaise du Sunday Times un article intitulé « Désolé Mesdames – l’égalité salariale se mérite ». Au-delà du titre sexiste, cet article a créé la polémique pour son contenu antisémite. En effet, alors qu’il commentait l’actuelle affaire de discrimination salariale à la BBC, il a fait remarquer que les deux femmes journalistes les mieux payées de l’organisation, Claudia Winkelman et Vanessa Feltz, étaient juives. « Les Juifs ne sont généralement pas réputés pour vendre leur talent au prix le plus bas » a-t-il indiqué, provoquant l’indignation générale et forçant la direction du Sunday Times à s’excuser publiquement, à retirer l’article du site Internet et à congédier Myers qui voit sa carrière se terminer brusquement.
Difficile pourtant de comprendre comment de tels propos ont pu être publiés dans l’un des principaux journaux du pays. Et ce d’autant plus que Kevin Myers est connu pour déclencher des polémiques : le journaliste se définit comme étant négationniste et avait déjà publié un article en 2009 dans l’Irish Independent dans lequel il disait qu’« il n’y [avait] pas eu d’Holocauste ». On aurait pu imaginer que son papier serait étudié avec la plus grande attention avant d’être envoyé à l’impression.
Quelle limite à la liberté d’expression dans la presse ?
Tout le monde n’a pas condamné Kevin Myers pour autant. De façon surprenante, il a même reçu le soutien de Maurice Cohen, leader du Jewish Representative Council of Ireland : pour lui, qualifier le journaliste d’antisémite est une « distorsion des faits », étant donné que Myers a souvent étudié la question de l’Holocauste et publié des articles informatifs dédiés à faire connaître le sujet au public. Cohen admet que Myers a dépassé les limites avec ce dernier article, mais refuse de qualifier l’homme d’antisémite, tenant compte du fait qu’il s’est excusé publiquement à la radio.
Jodie Ginsberg, de descendance juive et Directrice Générale de l’Index sur la Censure, s’est également déclarée ouverte à l’idée d’avoir Kevin Myers comme modérateur d’une présentation qu’elle donnera à l’Université de Limerick à la rentrée. Pour cette fervente supportrice de la liberté d’expression, bien que l’article de Myers soit « profondément déplaisant », il s’agit d’une opportunité pour elle de faire entendre une voix féministe face à un modérateur aux vues opposées, et non pas une occasion pour lui de réitérer ses propos. Elle repose ainsi la question de la liberté d’expression d’une façon subtile : est-il important de faire taire les voix qui se montrent critiques et offensantes vis-à-vis de certaines religions ? Ou bien nous faut-il les écouter, sans pour autant les légitimer, ne serait-ce que pour savoir qu’elles existent ? Il est logique pour le Sunday Times de licencier son journaliste dans la mesure où ses propos ne reflètent pas les valeurs du journal. Mais on peut aussi se dire que faire taire Myers, c’est ignorer que d’autres pensent peut-être comme lui. Non pas qu’il faille légitimer les propos antisémites, certainement pas. Mais il serait peut-être bon de garder à l’esprit que le problème n’a pas disparu à la fin du Troisième Reich…
Image : An anti-semitic cartoon from Judge Magazine, Grant E., Hamilton, Public Domain