Les vidéos prises à Erbil montrent l’enthousiasme des Kurdes irakiens pour l’indépendance de leur gouvernement. Des voitures couvertes de drapeaux kurdes défilent dans les rues, les klaxons et feux d’artifices expriment la joie des votants et de jeunes hommes dansent au milieu des embouteillages. Les urnes sont closes.
La presse internationale semble suspendue aux lèvres de Massoud Barzani, président du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak depuis maintenant deux mois. Alors que ses voisins, mais également les États-Unis et même l’ONU n’ont cessé de fustiger, de s’opposer voire de condamner la décision du président kurde, ce dernier a tenu sa promesse. Ainsi, près de 80 % des Kurdes d’Irak se sont prononcés par référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien. Ce scrutin ouvre la voie à des négociations avec le gouvernement central, qui continue à tenir en haleine la communauté internationale quant à son issue. En effet, si la victoire du « oui » ne faisait pas de doute, les enjeux demeurent complexes.
Une région hautement stratégique, prisée pour son or noir
La région du Kurdistan irakien est composée d’Erbil, de Souleimaniyé et de Dahouk. Si le gouvernement régional du Kurdistan d’Irak représente aujourd’hui la forme reconnue la plus aboutie d’une autonomie kurde au Moyen-Orient, il reste sous administration irakienne. Malgré les divergences idéologiques qui existent entre les différents partis kurdes au Moyen-Orient, cette entité a toujours constitué une sorte d’espoir pour les Kurdes, qui y voyaient le « noyau » d’un futur État, comme le souligne Hamit Bozarslan. Le référendum sur l’indépendance de cette région couve ainsi plusieurs enjeux, à la fois symboliques et politiques.
Si la région kurde s’inscrit sur un territoire et est dotée d’un statut reconnu par la Constitution irakienne de 2005, elle correspond surtout à différentes sphères d’influence partagées entre deux factions kurdes, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), parti de Massoud Barzani et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK). Le PDK contrôle approximativement l’ouest du Kurdistan et l’UPK l’est, dans un système de dynastie et d’influences. Alors que l’UPK avait soutenu le projet de référendum de Massoud Barzni, le parti a retiré son soutien quelques jours avant la tenue de celui-ci. Inquiets pour l’avenir de la région, plusieurs partis se sont positionnés contre la tenue de ce référendum.
Le pétrole constitue un des enjeux majeurs du référendum. La région du Kurdistan irakien représente un des apports majeurs en pétrole pour l’économie irakienne. Les manoeuvres de Massoud Barzani sont en grande partie motivée par le gain de cet or noir, également présent dans les régions disputées entre le Kurdistan irakien et le gouvernement central d’Irak. Olivier Piot, journaliste spécialisé sur la question kurde, considère ainsi que Massoud Barzani « veut surtout se servir du résultat dans les négociations futures entre les grandes puissances – Turquie, Iran, États-Unis – et Bagdad pour la reconstruction de la région ». Le pétrole constitue en effet un élément de négociation primordial pour la région.
Menaces, dissuasions et condamnations
Les premiers opposants à l’indépendance du Kurdistan irakien se trouvent à l’intérieur du pays. Bagdad s’est en effet clairement positionnée contre le référendum. Le premier ministre irakien, Haider Al Abadi, a tenu plusieurs discours en soulignant son intransigeance et refusant toute négociation avec le Kurdistan irakien. L’indépendance de cette région est redoutée par le gouvernement central qui craint une augmentation de l’instabilité dans un pays déjà mis à mal par Daech. Les États-Unis ont également reproché le « mauvais timing » de ce référendum, alors que la coalition internationale compte sur ces alliés pour lutter contre Daech. Ils ont alors menacé de retirer leur soutien militaire, politique et diplomatique.
L’Irak et les Etats-Unis ne sont pas les seuls à craindre cette indépendance. Opposés à la tenue de ce référendum, la Turquie et l’Iran n’ont pas attendu les résultats pour dissuader leur voisin. Le 18 septembre, la Turquie a lancée une opération militaire à la frontière de Habur. L’exportation du pétrole se faisant principalement par la Turquie, les actions de Recep Tayyip Erdogan constituent une réelle menace pour l’économie du Kurdistan irakien qui dépend grandement de son voisin turc. De son côté, l’Iran multiplie les interpellations verbales et a interrompu ses vols aériens pour le Kurdistan irakien.
Quel avenir pour les minorités non kurdes ?
Le référendum cache un autre enjeu de taille : Kirkouk, disputée entre kurdes et irakiens. Cité multiethnique et multiconfessionnelle, la ville compterait environ un peu moins de 50 % de Kurdes, environ 35 % d’Arabes et 15 % de Turkmènes. En 2014, devant la fuite des irakiens face à Daech, les Kurdes ont pris le contrôle de la région. Les ONG n’avaient pas tardé à dénoncer les politiques de peuplement des Kurdes irakiens dans les zones conquises. À Kirkouk, de nombreuses familles arabes ont été expulsées. Ainsi, les Turkmènes ne sont pas descendus dans la rue pour célébrer le référendum, n’oubliant pas qu’à l’annonce de ce dernier, plusieurs affrontements avaient eu lieu entre Kurdes et Turkmènes.
Les Yézidis sont aussi restés en marge. Selon Jameel Chomer, directeur opérationnel de Yazda, ONG de référence sur la question des Yézidis, « environ 2 000 familles ont précipitamment quitté les camps la semaine dernière pour ne pas être forcées de voter. À Sinjar, seuls ceux qui habitent les zones tenues par le PDK et qui travaillent pour lui iront voter ». Les manoeuvres des Kurdes irakiens dans les zones conquises semblent renforcer l’exclusion et la ségrégation des minorités non kurdes. Le référendum a ainsi permis de souligner ces fractures. En effet, beaucoup de Chrétiens et de Yézidis n’ont pas participé au scrutin.
Si Massoud Barzani a souligné que les non Kurdes ne seraient pas considérés comme des « citoyens de seconde zone », la réalité souligne une mise à l’écart. À noter que le maire de la ville chrétienne d’Al-Qosh a été évincé et remplacé par un Kurde proche du PDK. Les Yézidis dénoncent aussi la mainmise des Kurdes sur leur province irakienne. « Nous ne pouvons pas nous exprimer librement sur la question de notre avenir. Si un membre de ma communauté rejoint les milices irakiennes du hashed, sa famille est expulsée des camps par le gouvernement kurde et se retrouve à la rue. Les Asaishs (services de renseignements kurdes) nous harcèlent et il y a des cas de meurtres d’opposants non résolus », raconte un jeune Yézidi réfugié à Dohuk. Les Yézidis restent amers du retrait des peshmergas lors de l’arrivée de Daech.
Au regard de ces politiques, des partis irakiens comme le mouvement Gorran craignent que le pouvoir de Massoud Barzani ne se transforme en dictature. Alors que son mandat était arrivé à échéance en août 2015, le chef du PDK est resté au pouvoir passant outre les critiques de l’opposition.
Le début d’un processus de négociation, moment de gloire pour les Kurdes
Au-delà de ces ressentiments, le référendum représente un moment de gloire et d’engouement pour la majorité des Kurdes irakiens. Nombreux sont les témoignages rappelant les souffrances d’un peuple martyr prenant enfin son avenir en main. L’ambiance de fête à Erbil depuis le début des votes souligne toute la symbolique de cette initiative. Le pouls des grandes villes du Kurdistan irakien ne laisse pas de doute quant à la frénésie qui s’est emprise du Kurdistan.
Cet article a été rédigé grâce à une compilation de revues d’actualités publiées dans la presse internationale. En lien, vous trouverez une note d’Orient XXI qui rappelle les grands enjeux du référendums.
Image : Kurdish boys, By charlesfred, Flickr, CC BY 2.0