Dans un discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le 21 septembre dernier, le Premier Ministre du Canada a tenu à reconnaitre sa « honte » face à « l’incapacité des gouvernements canadiens successifs à respecter les droits des Autochtones » (Premières Nations, Inuits et métis). En décembre 2016, Justin Trudeau avait déjà posé ce geste devant l’Assemblée des Premières Nations (APN), déplorant les négligences et les agressions subies qui subsistent pour beaucoup aujourd’hui encore.
Un mea culpa aux accents diplomatiques
En pointant du doigt les imperfections de son pays, le chef du gouvernement canadien a commis un acte d’humilité tel qu’on en voit rarement sur la scène internationale. Il n’aura cependant pas échappé à quelques observateurs que la focale du discours était « nationale », ce qui en a limité l’impact sur la scène internationale. De plus, en faisant de la réconciliation avec les peuples autochtones (en lien avec la protection de l’environnement) une leçon pour le monde entier, le Canada s’est lancé résolument dans la campagne pour l’obtention, à l’horizon 2021-2022, de l’un des 10 sièges temporaires du Conseil de Sécurité de l’ONU. L’échec du gouvernement de Stephen Harper, en 2010, critiqué entre autres pour son appui sans concession à Israël lors de l’attaque du Liban en 2006 et pour sa politique environnementale, demeure un souvenir humiliant à conjurer.
Si cette énième déclaration de bonne intention a poussé le chef national de l’APN, Perry Bellegarde, à réclamer que les paroles soient désormais suivies d’actes, elle ne semble pas avoir atteint cependant l’optimisme quant à la possibilité d’une réconciliation. Le chemin pour y parvenir, lui, reste encore long.
L’occasion de revenir sur les récentes évolutions de la condition des Autochtones au Canada.
Malgré quelques signes d’amélioration, la situation des Autochtones reste aujourd’hui difficile, particulièrement dans les réserves : un taux de suicide très élevé, un taux de diabète qui a triplé, des problèmes importants de dépendance à l’alcool ou aux drogues, une diminution du taux de diplomation universitaire depuis les 20 dernières années.
Les précieux travaux de la Commission de vérité et de réconciliation
A l’issue de six années d’intenses travaux, la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) relative aux pensionnats indiens a rendu son rapport en décembre 2015. Instaurée dans une approche de justice transitionnelle, comme pour ce fut le cas en Afrique du Sud au sortir de l’Apartheid, la CVR avait pour mission principale de « dire la vérité ». Selon les conclusions de son rapport, cette vérité est celle d’un « génocide culturel » : « Un État qui détruit ou s’approprie ce qui permet à un groupe d’exister, ses institutions, son territoire, sa langue et sa culture, sa vie spirituelle ou sa religion et ses familles, commet un génocide culturel. Le Canada a fait tout ça dans sa relation avec les peuples autochtones. »
Les pensionnats autochtones, un outil de déracinement culturel
Entre la fin du XIXe siècle et 1996 (date de fermeture du dernier pensionnat), plus de 150 000 enfants autochtones ont été enlevés à leurs familles et placés dans des pensionnats. Ces établissements étaient principalement gérés par des communautés religieuses (catholiques, anglicanes, unies, méthodistes et presbytériennes), mais également par le gouvernement canadien. Un objectif : « canadianiser », c’est-à-dire « sortir l’Indien de son état primitif », « tuer l’Indien au sein de l’enfant ». Les travaux de la CVR ont permis de documenter avec minutie les processus de transformations physiques et mentales subies par les enfants en vue de leur assimilation et de l’éradication de leur culture, mais aussi les abus physiques, psychologiques et sexuels commis dans ses établissements. On y a dénombré près de 3 200 décès d’enfants, dont la plupart avant 1940. Des décès dus aux mauvaises conditions sanitaires ajoutées aux mauvais traitements, et aux maladies (la tuberculose).
Les dommages causés par les pensionnats sont considérables et pèsent profondément, aujourd’hui encore, sur la situation économique et sociale des populations autochtones. Le traumatisme intergénérationnel et ses effets sur les phénomènes de dépendance, la division des familles et la défiance envers l’autorité (parentale ou gouvernementale) continuent de les réduire aux marges de la société canadienne. Le travail de réconciliation apparait donc comme une nécessité urgente pour que les jeunes générations autochtones, en plein boom démographique, puissent espérer un digne avenir et une intégration respectueuse.
Des défis pour le gouvernement : l’eau, l’éducation et la condition des femmes autochtones
Parmi les revendications des peuples autochtones, certaines concernent des mesures aussi vitales que la garantie de l’accès à l’eau potable dans toutes les réserves. L’éducation est aussi en première ligne. Il s’agit de faire face à l’augmentation du nombre d’écoliers et d’inverser la dynamique traumatisante des pensionnats en développant un réseau scolaire encadré par les membres de la communauté, dans les réserves.
Si la CVR s’est penchée essentiellement sur la problématique des pensionnats, la lumière reste à faire sur les cas de disparitions de femmes autochtones et de mauvais traitements infligés par les autorités policières. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) pâtit depuis plusieurs mois des démissions successives de quelques-uns de ses membres dénonçant l’incapacité à mener leurs travaux à terme.
Construire une relation de « nation à nation »
Enfin, dans cet effort de réconciliation, les Autochtones entendent vouloir cultiver « une relation de nation à nation » avec le Canada. C’est-à-dire une relation de confiance mutuelle reposant sur le respect et la garantie des droits ancestraux, de leur autodétermination et de leur autonomie gouvernementale (santé, culture, langue, éducation) sur leur territoire. Bien que ne bénéficiant pas de la pleine citoyenneté canadienne, les autochtones ont obtenu le droit de vote inconditionnel en 1960, en reconnaissance de l’implication des Premières nations dans l’effort de guerre. Jusqu’alors, ils ne pouvaient voter sans devoir abandonner leur « statut d’indien » tel que défini par la « Loi sur les Indiens » de 1876 (modifiée depuis mais discriminatoire). Ce statut à part nécessite à la fois une vigilance accrue pour que ses spécificités juridiques ne réduisent pas les Autochtones à des citoyens de seconde zone, mais aussi une certaine créativité pour faire face aux défis juridiques posés.
« Personne ne nous a tracé le chemin. Mais nous ne pouvons pas attendre. Le moment est venu de faire notre propre chemin ensemble, a affirmé Justin Trudeau devant l’ONU. Le moment est venu de sortir des sentiers battus, de faire abstraction des limites imposées par de vieilles structures coloniales désuètes pour faire place à la nouveauté, à des structures qui respecteront le droit inhérent des autochtones à s’autogouverner et à déterminer leur propre avenir. »
La prudence reste cependant de mise du côté des chefs de communautés autochtones. En effet, bien que le travail effectué par la CVR soit remarquable, la commission reconnaît elle-même que ses recommandations sont en partie les mêmes que celles qui avaient été formulées par la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, soit 20 ans plus tôt. A l’époque, le gouvernement fédéral n’avait semble-t-il pas considéré ces recommandations à leur juste mesure.
Entre prudence et espoir : le Canada et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Sans oublier, la réticence du Canada à ratifier la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA). En 2007, Le Canada a été un des quatre pays à refuser de signer cette déclaration (143 voix contre 4). Les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, pays comptant une population autochtone importante, avaient eux aussi exprimer leur refus. La canadienne Louise Arbour, alors Haut-Commissaire de l’ONU pour les droits de la personne et ex juge de la cour suprême du Canada, avait blâmé Ottawa et dénoncé la contradiction entre ce rejet et une vision « romantique » dépassée considérant le Canada comme un acteur essentiel et fondateur de la promotion des droits de la personne au sein de la communauté internationale.
En 2008, pour la première fois dans l’histoire du pays, des excuses officielles et unanimes à l’endroit des peuples autochtones ont été prononcées par le Premier ministre Stephen Harper. Aucun plan concret pour l’adoption de cette déclaration n’avait cependant vu le jour. Il a fallu attendre mai 2016, soit prêt d’une décennie, pour que le Canada choisisse de l’appuyer sans réserve. A ce jour l’harmonisation des lois fédérales à la DDPA pour respecter les obligations concernant les droits ancestraux, les droits issus des traités (depuis l’époque coloniale) reste un chantier immense. De plus, contrairement aux États-Unis voisins, signataires de la DDPA en 2010, aucun organisme de suivi n’a été mis en place pour mesurer l’état de la mise en œuvre de la déclaration onusienne.
La protection des cultures autochtones passent par la sauvegarde des langues et de la « Mère-Terre »
Le gouvernement de Justin Trudeau a cependant annoncé, dès 2016, un projet de loi fédérale sur les langues autochtones afin de protéger et valoriser la soixantaine de langues parlées par les Premières nations, les Métis et les Inuits du Canada. Des langues qui sont aujourd’hui menacées par l’état du réseau scolaire actuel et l’impact de la période des pensionnats.
Mais la menace qui se fait aujourd’hui la plus pressante est celle que fait peser l’exploitation intensive des ressources naturelles sur l’environnement et les territoires autochtones (ex : projet de canalisation 3 de l’entreprise Enbridge entre Alberta et Wisconsin). Preuve s’il en est besoin que la réconciliation tant désirée n’est pas seulement une urgence pour les seuls Autochtones, mais une nécessité pour tous les Canadiens.
Image : Deux générations d’une famille algonquine témoignent de leurs expériences des pensionnats autochtones lors de la Semaine autochtone 2017 de l’Université de Montréal. By Laurent Tessier