A la veille de la deuxième édition des élections présidentielles kényanes, Zipporah Nyambura met la lumière sur l’ONG Tribeless Kenya et sa campagne de sensibilisation à destination des jeunes du pays, armée d’un hashtag : #TribelessYouthKE
Un retour sur ces élections, la réaction de l’opposition et les troubles sécuritaires apparus s’impose afin de comprendre l’ampleur du combat mené par ce mouvement.
Un deuxième scrutin boycotté
Le président sortant, Uhuru Kenyatta, a remporté avec plus de 98 % des voix l’élection présidentielle, a annoncé lundi 30 octobre le Président de la Commission indépendante électorale (IEBC). Ce résultat émane du deuxième scrutin organisé par le pays, ce jeudi 26 octobre.
Alors que les premières élections s’étaient déroulées en août dans un climat relativement calme, la Cour suprême avait décidé, le 1er septembre, d’invalider le résultat. En effet, cette décision s’expliquait au regard des irrégularités de la Commission électorale.
Lors du scrutin du 8 août, le Président sortant avait convaincu 54 % des votants (participation de 79 %). En octobre, sa réélection est confirmée grâce à la quasi-totalité des votes exprimés, dont le nombre est deux fois moins important (participation de 39 %). En effet, l’opposition menée par Raila Odinga avait appelé au boycott de l’élection, estimant que celle-ci ne pourrait être libre et équitable.
Les graves troubles sécuritaires ont empêché l’ouverture de la majorité des bureaux de vote de quatre comtés de l’Ouest, bastions de l’opposition (Homa Bay, Kisumu, Migori, Siaya). Ainsi, l’élection n’a pas pu être organisée dans 25 des 291 circonscriptions du pays, privant 9 % du corps électoral d’exercer son droit de vote.
Un appel à la « résistance nationale »
Dénonçant une « parodie d’élection », M. Odinga entend contraindre le pouvoir en place d’accepter la tenue de nouvelles élections dans les quatre-vingt-dix jours. En réponse, le Vice-Président et soutien de M. Kenyatta, William Ruto, a rejeté cette idée.
Si le candidat à la présidentielle ne s’est pas exprimé au sujet d’un recours en justice, il a néanmoins appelé à l’organisation d’une « campagne de résistance nationale », fondée sur la désobéissance civile.
Un bilan inquiétant
Entre le jour des élections (jeudi) et l’annonce du résultat (lundi), les fiefs de l’opposition dénombrent au moins neuf victimes. Selon un récent rapport de Human Rights Watch et Amnesty International cité par Radio France Internationale, la police aurait tué de 33 à 67 personnes et blessé des centaines d’individus lors des manifestations qui ont suivi l’élection du 8 août.
La crainte de nouvelles violences dans les quartiers de l’opposition, ainsi qu’une répression brutale de la police, laisse le Kenya dans un climat tendu. Une tension qui était déjà au cœur des appréhensions à la veille de la tenue des élections en août.
Une démocratisation, à quel prix ?
Si la réorganisation de la présidentielle reflète une avancée démocratique certaine, elle entraîne également la radicalisation des camps et l’ethnicisation du discours.
Selon Sonia Le Gouriellec, chercheuse spécialiste de la Corne de l’Afrique, le Kenya est un exemple parlant d’une gouvernance dite « néo-patrimoniale ». La fonction publique devient « un office, une source de statuts, de prestige, de récompense et surtout de revenus ». Dans un Etat néo-patrimonial, les structures du pays sont doubles, entre une façade légale-rationnelle et un patronage occulté. Cette combinaison de normes de deux types de domination wébérienne permet de dissimuler l’absence de distinction entre les domaines public et privé.
Dans ce contexte, les politiciens s’appuient sur plusieurs leviers pour accéder au pouvoir et aux avantages attenants à celui-ci. Ici, l’ethnie apparaît comme un moyen de mobilisation particulièrement efficace. En ce sens, cette appartenance n’est pas la cause unique d’un conflit puisqu’elle masque en réalité une lutte pour les ressources politiques, économiques ou territoriales. Néanmoins, elle joue un rôle majeur en cristallisant l’opposition et alimentant les tensions. Au cœur du système clientéliste du pays, l’ethnie est utilisée pour rassembler les voix ou servir un certain opportunisme politique.
La chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) précise que si l’approche ethnique d’une crise dépolitise le combat, cette identité n’est pas une réalité figée ou immuable. Dès lors, la lecture exclusivement ethnique d’un conflit est « extrêmement réductionniste, très spéculative et profondément fallacieuse ».
Des initiatives pour « détribaliser » la politique
Pour lutter contre cette lecture ethnique, il convient de remettre l’ethnicité à sa juste place. Il s’agit de la considérer comme une identité parmi tant d’autres dans ces sociétés plurielles, devenue structurante au fil des siècles. Dans son article publié par le Deutsche Welle (DW), Zipporah Nyambura revient justement sur l’ancrage historique et colonial de l’utilisation de l’ethnicité à des fins politiques au Kenya.
L’occasion de mettre en lumière une initiative portée par des jeunes du pays : Tribeless Kenya. Les membres de ce mouvement entendent lutter contre l’ethnicisation des clivages politiques, exacerbée les années d’élections présidentielles.
Au Kenya, la forte proportion des jeunes parmi les votants (64%) anime leur but ultime : que les nouvelles générations « brisent la chaîne du tribalisme ». Armés d’un hashtag (#TribelessyouthKE), ils appellent les kényans à désenclaver ces lignes tribales en votant judicieusement.
Image : Commonwealth Secretariat, 5 août 2017, CC BY-NC 2.0.