Fiche récapitulative
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Jérémie Foa est un historien moderniste, spécialiste de l’histoire des guerres de religion, de la coexistence confessionnelle et des guerres civiles.
Ce livre pose un nouveau jalon important dans l’histoire de la Saint-Barthélémy. Allant à l’encontre d’une certaine historiographie concentrée sur l’attitude des élites, la recherche de causes politiques ou économiques de l’événement, Jérémie Foa propose une micro-histoire par le bas, à l’échelle des anonymes qui ont mené et subi ce massacre entre voisins.
Jérémie Foa mène une sociologie des acteurs du massacre à partir de l’étude d’archives notariales. Son analyse est enrichie par la mobilisation d’un corpus théorique solide issu des sciences sociales. L’ouvrage se compose de 26 chapitres mettant chacun en avant un acteur, son quotidien et son environnement social.
Les résultats de l’enquête de Jérémie Foa montrent que si le massacre n’était pas prévu, il était préparé. Dix ans de persécution et d’arrestations brèves et régulières ont permis aux bourreaux d’établir un repérage systématique des huguenots et de leurs adresses et d’accumuler un savoir-faire. En 1572, le Roi et ses gouverneurs n’ont pas les moyens matériels de savoir qui est protestant et qui ne l’est pas.
Jérémie Foa cartographie ainsi le réseau des bourreaux. Ceux-ci sont des bourgeois, des notables hautement insérés socialement, pour beaucoup miliciens et porteurs d’armes. Catholiques zélés, ils sont surreprésentés chez les confrères porteurs de la châsse Sainte Geneviève. Leur position sociale leur a permis de tuer efficacement. Le harcèlement régulier a fragilisé les victimes qui ont pris conscience trop tardivement du caractère “radicalement inédit” du massacre (p.10).
La Saint-Barthélémy était un massacre entre voisins. L’interconnaissance fut la condition même de l’événement. En effet, «rien ne ressemble plus à un catholique qu’un calviniste »(p.57). Les résultats de Jérémie Foa pourront éclairer d’autres enquêtes sur les violences de proximité. Ses résultats rejoignent ceux d’Hélène Dumas sur le génocide des Tutsis au Rwanda. Dans le massacre de 1572 comme dans celui de 1994, il n’y a pas de violence aveugle mais bien une « réversibilité des liens sociaux » (p.39).
Le massacre permet de purifier le corps social. En tuant l’autre, on peut le défigurer, le déshumaniser, et rompre sa proximité. Allant au-delà de l’histoire, Jérémie Foa œuvre aussi à la mémoire des milliers de victimes anonymes, en les nommant et en reconstituant leur quotidien. Il donne vie aux archives. « L’enquête [...] remue la vase des tueries et, dans les sédiments montés du lit des morts, entend repeupler le massacre » (p.9).
Jérémie Foa conjugue avec brio une écriture agréable et accessible avec un haut niveau analytique et scientifique. Il nous offre en prime une belle leçon de méthodologie, en nous dévoilant les coulisses de son enquête et ses questionnements d’historien.
Roman : Kate MOSSE, La cité de larmes, Sonatine, 2021.
Ouvrage académique, Denis CROUZET, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des guerres de religion, Champ Vallon, 1990.
Article académique : Hélène DUMAS, « Histoire, justice, mémoire : la reconstitution du génocide des Tutsis au Rwanda », Entretien avec Joël Hubrecht, sur ihej.org, 29 septembre 2014.
Bandes dessinées : Jérémie FOA, « Sacrées guerres. De Catherine de Médicis à Henri IV », Histoire dessinée de la France, tome 10, La découverte, La Revue dessinée, POCHEP, 2020.
Pierre WACHS, Philippe RICHELLE, Les guerriers de Dieu, 5 tomes, 2017-2019.