Le Kurdistan syrien, pays en devenir ou menacé de disparition?
Le projet d’offensive terrestre turque contre le Rojava Syrien pourrait signer la fin de l’expérience kurde en Syrie. La Turquie justifie une telle intervention pour des raisons sécuritaires. Le régime syrien pourrait en profiter pour reconquérir la zone pétrolifère du Nord-Est de la Syrie, actuellement administrée par les Kurdes du PKK.
Le Rojava syrien, une région autonome issue de la révolution syrienne
Le Kurdistan syrien s’est doté d’une administration autonome à la suite du retrait des troupes du régime syrien en 2013. Damas avait choisi de ne pas affronter les Kurdes pour concentrer ses efforts à Alep. Ce retrait a permis aux Forces Démocratiques Syriennes (FDS) de prendre possession de ce territoire. Inspirée par le leader du PKK (parti travailleur kurde en Turquie) Abdullah Öcalan, la région applique le système politique du confédéralisme démocratique. Il est toutefois ancré dans la Constitution du Rojava qui reste partie intégrante de la Syrie.
Un modèle démocratique kurde face au régime syrien
L’ambition politique kurde est de créer un système intégrant l’ensemble des communautés du Kurdistan syrien dans un système fédéral. Ce système pouvait être étendu à d’autres régions syriennes dans le cas d’un changement de régime. Pour ce faire de nombreuses innovations institutionnelles ont été créées afin de mettre en place un système d’administration viable. Ce système repose notamment sur des conseils municipaux aux pouvoirs importants où la démocratie directe reste centrale. La région du Rojava se pose en exemple d’une démocratie moderne face à une dictature incarnée par la famille Al-Assad.
Kurdistan contre l’État islamique, une légitimité ancrée dans la lutte
Le Kurdistan syrien a été soutenu par de nombreux pays dans la lutte contre l’État islamique. La région a pu se développer car elle a été le fer de lance terrestre de la coalition internationale contre Daech. Les Européens et les Américains leur ont apporté un soutien financier et aérien. Des forces spéciales françaises et américaines ont ainsi effectué des missions de conseil au profit des forces kurdes. Cette aide a permis au PKK et au PYD (Parti de l’union démocratique) de développer leurs appareils militaires et d’asseoir leur contrôle sur des territoires étendus. Elle leur a également permis de transformer ce soutien militaire en reconnaissance politique au niveau international.
En 2018, le retrait américain du Kurdistan fragilise la situation de la région
Le président Trump a annoncé le retrait américain de la Syrie, en décembre 2018. Ce retrait a été vivement critiqué par la presse occidentale, et notamment française. Certains responsables militaires américains avaient même parlé de grave faute morale de la part des Américains. Le retrait expose alors les Kurdes à une offensive turque, qui advint justement quelques mois plus tard. Celle-ci a permis à la Turquie de constituer une zone tampon au Nord de la Syrie, afin de se préserver d’attaques terroristes du PKK.
La Turquie profite d’une fenêtre d’opportunité pour préparer une offensive contre le Rojava syrien
Comme évoqué dans un précédent article, la question kurde en Turquie est un enjeu intérieur, mais aussi bien prégnant à l’extérieur de ses frontières. Le président turc Erdogan envisage une intervention terrestre turque qui permettrait d’avoir un droit de regard sur l’avenir de la Syrie. Cela lui donnerait également un poids diplomatique dans le processus d’Astana, visant à mettre un terme définitif au conflit. Grâce à cet accord, la Turquie pourrait faire valoir ses prétentions territoriales dans le droit international. Cela lui permettrait également d’affaiblir le mouvement kurde du PKK, que la Turquie combat également dans le nord de l’Irak.
Une intervention dénoncée par la Russie et les Américains
Après l’attentat d’Istanbul du 13 novembre 2022, les Kurdes sont soumis à des bombardements intensifs turcs. Le président de la Turquie Erdogan menace de lancer une offensive terrestre massive, à laquelle personne ne pourrait s’interposer. Une telle offensive est toutefois décriée par la Russie, qui doit gérer le front ukrainien. Les États-Unis se sont montrés inquiets d’un éventuel retour de Daech dans la région. En effet, cette incursion permettrait aux cellules dormantes de l’État islamique de libérer les prisons où sont présents de nombreux combattants islamistes. Les représentants kurdes ont notamment exhorté Moscou à empêcher la Turquie de mettre ses menaces à exécution. Sans succès les forces kurdes menacent d’élargir la guerre et les affrontements à l’ensemble de la zone frontalière.
Une offensive turque pourrait signer la fin du contre-modèle kurde en Syrie
Le régime syrien s’est montré assez silencieux sur la question jusqu’à aujourd’hui. Alors que la Syrie est lancée dans un processus constitutionnel, le régime pourrait profiter d’un affaiblissement des Kurdes pour agrandir ses frontières actuelles. Le Nord-Ouest syrien représente 30 % du territoire, et contient d’importantes réserves pétrolifères. Ces réserves pourraient financer une reconstruction du pays au profit du régime. De plus, le modèle confédéraliste du Kurdistan syrien est le principal obstacle à une légitimité exclusive du régime de Bachar Al-Assad. Celui-ci a réussi à s’imposer comme la seule option garantissant la paix sur le territoire. La fin du confédéralisme kurde, attirant de nombreuses communautés, lui permettrait éventuellement de s’imposer sur l’ensemble du pays. Par ailleurs, l’offensive turque éviterait au régime de Bachar Al-Assad d’être le responsable de la disparition du Rojava. Une telle responsabilité pourrait être lourde de conséquences sur son image, alors qu’il cherche justement à la réhabiliter.