Des avancées dans les droits des femmes en Afghanistan ?
Dimanche 17 janvier 2021, dans le centre de Kaboul, deux magistrates de la Cour suprême afghane ont été assassinées. Cette attaque s’inscrit dans la lignée de celles qui visent depuis quelques mois des personnalités de la société civile en Afghanistan. En effet, une des précédentes attaques avait visé Freshta Kohistani, 29 ans, une militante des droits des femmes afghanes, et son frère dans le district de Kohistan, dans la province de Kapisa. Pourtant, certaines avancées sont à souligner.
La question d’un respect durable des droits des femmes se pose. En effet, dans un contexte de guerre quasi-permanente depuis cinquante ans, les droits humains sont tributaires des aléas politiques. C’est particulièrement le cas pour les populations civiles vulnérables telles que les femmes et les enfants.
Des droits des femmes encore bafoués
Afin d’interpeller le public, associée à Amnesty Internationale, la campagne internationale, « Seize jours d’action contre la violence liée au genre », a démarré le 25 novembre 2020, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, et s’est terminée le 10 décembre 2020, Journée des droits de l’homme.
D’une part, il s’agit, à l’échelle institutionnelle, de prévenir les violences à l’égard des femmes. L’enquête et l’engagement des poursuites sont cruciaux. En effet, cette campagne vise à souligner la persistance des violences. La Commission indépendante afghane des droits de l’homme a constaté, entre mars 2010 et mars 2011, 2 299 cas de violences contre les femmes qui pourraient être considérés comme des crimes selon la loi EVAW (loi pour l’Élimination des Violences Contre les Femmes) de 2009. De même, le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) rapporte que la justice a ouvert une enquête dans 26% des 2 299 incidents, soit 594 cas. 155 actes d’accusation ont été dressés, et dans uniquement 101 cas, un jugement a été prononcé.
D’autre part, cette campagne met en exergue le rôle primordial des femmes dans le processus de paix afghan. La jeunesse afghane contribue également à ce processus à l’image de Skhula Zadran, représentante de la jeunesse afghane auprès des Nations Unies depuis 2020.
Les droits des femmes doivent être au cœur du processus de paix
À la suite de l’intervention soviétique (1979-1989), les talibans constituent, comme d’autres groupes, un mouvement anti-communiste. Leur réussite a tenu notamment au soutien de la population civile, marquée par vingt années de guerre. En effet, les talibans ont rétabli l’ordre, via une application stricte de la charia, mêlée à des coutumes rigoristes pachtounes.
Entre 1996-2001, les femmes ne pouvaient exercer leurs droits, notamment ceux à l’éducation et à la participation politique et sociale. Aujourd’hui, le règne de la charia, instaurée par les talibans, persiste, au sein même de la capitale et de certaines régions reculées. Dans le cadre des accords de paix menés entre le gouvernement afghan et les talibans du 2 décembre 2020, seules les questions procédurales de pourparlers ont été abordées, ce qui inquiète les défenseurs des droits humains. Ces droits fondamentaux doivent être, en effet, au cœur de tout accord.
L’accord du 29 février 2020 entre les États-Unis et les talibans exige de ces derniers qu’ils ne mènent plus d’actions terroristes depuis leur territoire, et qu’ils ouvrent des négociations avec le gouvernement afghan. Pour autant, il n’est pas fait mention du respect des droits civils et notamment des droits des femmes afghanes. Or, ces négociations inter-afghanes pourraient déboucher sur un retour au pouvoir des extrémistes dont les efforts en faveur des droits humains semblent insuffisants.
Par ailleurs, la participation des femmes à tous les niveaux du gouvernement reste limitée. Dès lors, selon le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, les femmes doivent participer aux pourparlers avec les talibans.
La nouvelle présidence américaine pourrait garantir cette participation accrue des femmes afghanes. L’ère de l’administration de Joe Biden annonce un durcissement. En effet, lors de futures négociations, les talibans devront tenir leurs engagements dont le respect des droits des femmes.
Des avancées timides mais réelles
Néanmoins, depuis la fin du régime des talibans, les droits des femmes ont connu quelques avancées.
Une place plus importante dans la société afghane et des violences de plus en plus pénalisées
Le premier signe de ces avancées concerne l’éducation. Le taux de scolarisation au primaire des filles est de 83% en 2018 . En outre, les femmes s’engagent dans les domaines politique, économique et social. Malgré la persistance de conflits, des Afghanes exercent désormais des professions diverses aussi bien dans la fonction publique (avocates, juges, militaires…) que dans le secteur privé (ingénieures, cheffes d’entreprise..).
Sur le plan juridique, des efforts visant à davantage garantir les droits des femmes afghanes ont été effectués. Selon le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, entre 2019 et 2020, plus de 800 procédures ont été lancées contre des auteurs de violence contre des femmes. La justice a été saisie de 966 cas de traite d’êtres humains, pratique qui touche particulièrement les femmes. 688 personnes ont été condamnées, dont quatre à une peine de prison avec sursis.
De même, d’après le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, des institutions gouvernementales, chargées de la prévention de la violence domestique, dans les zones rurales ont été instaurées. L’abandon de domicile par une femme victime de violence domestique n’est plus en vigueur. Désormais, le système pénal ne favorise plus l’impunité.
Des évolutions sur le plan culturel et religieux
D’un point de vue religieux, la société a changé sa perception quant aux femmes victimes de violences. La sensibilisation menée auprès des autorités religieuses a été cruciale. Ainsi, des relais religieux contribuent à la prévention des violences à l’égard des enfants grâce à des émissions ou à la prière du vendredi. Ces évolutions sont démontrées notamment par la pénalisation de la pratique des tests de virginité ou du baad, soit l’asservissement d’une femme aux fins de règlement judiciaire.
Sur le plan culturel, les femmes jouent un rôle crucial en diffusant l’idée du respect des droits des femmes afghanes. La photographie peut ainsi être un outil de promotion à l’image des œuvres de l’artiste Fatimah Hossaini. Exposées à l’international, elles présentent des portraits de diverses femmes afghanes au sein de leur vie quotidienne. La photographie peut être un outil d’émancipation aussi bien artistique que professionnelle.
Image : « School girls », Wikilmages, CC-BY-2.0.