Au cœur de l’Asie centrale, l’Afghanistan est un carrefour entre le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan, la Chine, le Pakistan et l’Iran. Étant en conflit depuis près de cinquante ans, il est souvent considéré comme l’archétype de l’état en faillite. C’est pourquoi l’accord dit de « Doha », signé entre les États-Unis et les talibans, est considéré comme un évènement historique. Il prévoit en effet le retrait des troupes américaines d’Afghanistan. Celui-ci sera mis en place en échange de l’engagement des talibans à négocier la paix avec le gouvernement afghan. Mais, les défis restent nombreux pour « ce cimetière des empires ».
Un État en guerre permanente …
Depuis près d’un demi-siècle, ce pays est le terrain de différents conflits, dont une guerre par procuration entre les États-Unis et l’ancienne URSS. Ceux-ci se sont traduits par des atteintes conséquentes aux droits fondamentaux de la population civile. Comme souligné régulièrement par les ONGs, les Afghans ont été victimes de violences en raison des conflits persistants, résultants en des milliers de morts et de blessés et à près de 2 millions de personnes déplacées. Par ailleurs, environ 2,6 millions d’Afghans sont réfugiés à l’étranger. Pour la majorité, leurs conditions de vie et leur statut sont précaires. Le renvoi de force de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile afghanes par des États européens (Allemagne et Suède) et des États voisins de l’Afghanistan (Pakistan et Iran) est fréquent.
Les défenseurs des droits humains sont la cible de diverses menaces. En effet, la censure est prégnante et la peine de mort d’actualité. Certaines minorités, telles que la minorité hazara (chiites duodécimains ou ismaéliens) et chiite, sont victimes d’attaques par des groupes armés insurgés.
En outre, la question de la condition féminine est particulièrement préoccupante. Les violences liées au genre persistent, du fait aussi bien d’acteurs non gouvernementaux (talibans) que d’agents de l’État. Hors du champ du gouvernement de Kaboul, une interprétation stricte de la charia est encore appliquée dans une grande partie du pays.
La décision politique de la Cour pénale internationale (CPI) en 2019 de ne pas ouvrir d’enquête sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre qui ont pu être commis est critiquée par les défenseurs des droits humains, donnant lieu à une enquête depuis 2020.
… empreint de traditions religieuses
Le pays a joué un rôle crucial dans la diffusion du Bouddhisme vers l’Est et de l’Islam en Inde. Etat récent (1747), il dépendait pendant des siècles de vastes empires (perse, romain…). La culture persane domine avec près du quart de la population du pays parlant le persan. De structure tribale avec la prédominance des Pachtouns, et ethniquement diversifié par les invasions (turcophones et Mongols notamment), l’Afghanistan est le terreau d’un nationalisme empreint du respect de traditions séculières. En grande majorité sunnite, il accorde, ainsi, une place essentielle au fait religieux. En outre, les mariages interethniques sont rares avec la prédominance de grandes familles (taux de fécondité de 6,6).
Garantie par la Constitution, la liberté religieuse demeure très fragile. Les efforts de réconciliation religieuse sont régulièrement entravés. Les attaques contre les chefs religieux progressistes se sont aggravées, en particulier pour ceux qui travaillent dans des commissions interconfessionnelles. Ainsi, la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan a relevé durant l’année 2017, 11 attaques contre des chefs religieux. Cette tendance souligne les tensions entre musulmans sunnites et chiites. Ainsi, l’instabilité générale dans le pays augmente, dans un contexte de retrait imminent (mi-juillet 2020) des troupes américaines.
… qui appartiendrait au passé ?
Force de constater que les accords de Doha, signés le 29 février 2020, demeurent fragiles. D’une part, l’application des dispositions est lente. D’autre part, comme le souligne les experts internationaux, il ne s’agit pas de négociations de paix, mais un dispositif de retrait militaire, onéreux dispositif d’engagement regroupant 39 pays et qui a duré près de 18 ans. Le cessez-le-feu, l’engagement de négociations de paix avec le gouvernement afghan, l’abandon du terrorisme à l’égard des États-Unis, et enfin, le retrait des troupes ont été négociés.
Ainsi, les États-Unis ont jusqu’à juillet 2020 pour diminuer le contingent actuel estimé à près de 13 000 soldats. La partie américaine a accepté unilatéralement le principe de la libération de 5 000 prisonniers talibans. Cette libération est le préalable à toute négociation de paix entre talibans et les « parties » afghanes. Le gouvernement a proposé une liste de négociateurs que les talibans ont rejeté, arguant qu’elle n’était pas représentative. Or, les talibans ont exigé le retrait militaire, reléguant à plus tard la négociation d’un cessez-le-feu dans le cadre, d’un dialogue intra-afghan. De plus, l’interlocuteur étatique afghan semble incertain. La dispute du pouvoir entre le président, Ashraf Ghani, et le chef exécutif de son gouvernement, Abdullah Abdullah perdure. Ce blocage accentue l’instabilité chronique du pays. En outre, elle est particulièrement préjudiciable dans le contexte mondial de crise sanitaire.
Dans les zones sous leur contrôle, les talibans jouent le rôle d’autorités dans la lutte contre la pandémie. Se substituant aux autorités sanitaires, ils ont été des relais efficients des consignes sanitaires. La nomination d’un Hazara chiite, Mawlawi Mahdi, au rang de chef de district du gouvernorat taliban de Sar-i-Pul, démontre cette stratégie recherche de crédibilité des talibans. En effet, il s’agit d’une stratégie déjà usée avec succès lors du conflit entre les Moudjahidines et les autorités gouvernementales lors de la guerre civile de 1989-1996. «L’officialisation des talibans », et d’un possible Émirat islamique d’Afghanistan, semble bien amorcée. La paix afghane semble encore loin.
Image : «Joint patrols hinder threats to Kandahar, by Senior Airman Jessica Lockoski September 29, 2011, CC BY 4.0.»