Le point sur les droits humains en Afghanistan
Depuis le dimanche 15 août, les talibans contrôlent officiellement l’Afghanistan. Auparavant, à l’approche du retrait américain officiel le 31 août, un contexte de guerre civile régnait déjà dans le pays. Les violations des droits de l’homme se multipliaient.
Ce « brusque » retrait, selon le gouvernement afghan, est lourd de conséquences aussi bien pour ses institutions que pour la population afghane. Ashraf Ghani, ancien président de l’Afghanistan, a accusé les États-Unis d’avoir poussé à « la destruction de la République » et la « légitimation » des talibans en négociant directement avec ces derniers à Doha. Ces négociations ont abouti en 2020 à un accord prévoyant le départ des troupes étrangères d’Afghanistan.
Il est important de souligner que, lors de cette guerre de « 20 ans », plus de 70 000 soldats afghans, 100 000 civils ainsi que 4 000 soldats de la force internationale, dont 88 soldats français, sont morts. Aussi, certains qualifient cette guerre d’ « absurde » pour l’image des États-Unis. Surtout, elle a été « destructrice et sanglante » pour la population afghane.
Des institutions gouvernementales ciblées
D’une part, les talibans visent régulièrement les institutions gouvernementales. À la suite des affrontements, les militaires font l’objet de crimes de guerre. Des commandos afghans ont été exécutés après leur capitulation.
Ces affrontements s’inscrivent également dans une logique économique par le contrôle des principales zones de production d’opium. Il s’agit pour les talibans de consolider leurs réseaux de trafic transfrontalier, où armes s’échangent contre stupéfiants. Plus encore, les talibans tentent de priver le gouvernement des ressources liées au trafic de drogue.
D’autre part, la presse est très impactée. Ainsi, le vendredi 6 août 2021, les talibans ont assassiné le chef du service de communication du gouvernement afghan Dawa Khan Menapal. Ce meurtre est le dernier assassinat visant l’un des responsables du gouvernement. De même, Danish Siddiqui, journaliste expérimenté, a été tué le 16 juillet à Spin Boldak, alors qu’il couvrait des affrontements entre les forces de sécurité afghanes et des combattants talibans.
D’après la Mission d’Assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), 65 journalistes et défenseurs des droits humains ont perdu la vie depuis 2018. Entre septembre 2020 et mai 2021, 17 défenseurs des droits humains ont trouvé la mort, dont neuf journalistes.
Des violations des droits humains généralisées
En 2020, le conflit armé n’épargnait pas la population. Selon la MANUA, entre le 1er janvier et le 30 septembre 2020, on dénombrait 2 177 personnes tuées et 3 822 personnes blessées. Désormais, la Commission afghane indépendante des droits humains a indiqué que près d’un million de personnes avaient été déplacées en 2021. La province de Nangarhâr, dans l’est de l’Afghanistan, a connu les plus grandes vagues de déplacements du pays.
Le niveau de violence augmente fortement avec l’expansion de l’influence du mouvement taliban. Selon la Représentante spéciale de l’ONU, on comptabilise une augmentation de 50 % du nombre de victimes civiles. Cette proportion risque de grandir à la suite des affrontements en zones urbaines. Plus encore, dans un contexte de sécheresse, une crise humanitaire accentue les souffrances de la population. 18,5 millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence.
En outre, selon les observations d’acteurs sur le terrain, le respect des droits humains est à géométrie variable dans les zones contrôlées par les talibans. Précisément, des agents de « moralité » exercent pour faire respecter par les habitants les codes sociaux autour de l’habillement et le comportement en public. Certains habitants, notamment les jeunes, résistent à ces contraintes. Les responsables talibans punissent ces transgressions.
Surtout, ces derniers remettent en question la scolarisation des filles, notamment après la puberté. Les violences exercées à l’égard des enfants sont régulièrement rapportées par les organisations internationales.
Un retour de la période 1996-2001 ?
La prise de Kaboul ainsi que le départ de la plus haute autorité du pays, le président Ashraf Ghani, marque la victoire militaire et politique des talibans. Meilleurs communicants qu’en 1996, ces derniers montrent un visage « avenant ».
Néanmoins, ils tenteront probablement de reproduire certaines règles à l’échelle nationale, notamment l’instauration de la charia. Comme lors de la période 1996-2001, la violation généralisée et étatisée des droits humains semble certaine. Les femmes seront particulièrement concernées. En effet, de l’habillement à l’accès aux soins, les Afghanes seront fortement entravées dans leurs droits et libertés.
Dans ces conditions, nombreux sont les Afghans qui tentent de rejoindre d’autres pays, notamment occidentaux. C’est notamment le cas des personnes qui ont travaillé pour des organismes français.
Pour autant, afin de préserver les acquis en matière de droits humains, et d’assurer un développement économique durable, ce capital humain gagnerait à demeurer dans le pays. Les enjeux s’articulent particulièrement sur l’éducation, accessible à l’ensemble de la population. En effet, selon le proverbe afghan, « quand le poète se tait, le canon parle ».
Image : « Photo journalist Louis Quail in Afghanistan » , by Carl Montgomery, CC-BY 2.0.