« La haine contre les Juives et les Juifs est une honte pour ce pays. » [1] Ainsi s’est exprimée la Ministre fédérale de la Justice Christine Lambrecht (SPD ou Parti Social-Démocrate) à la suite de l’attaque subie par un étudiant juif de 26 ans, frappé par un homme de 29 ans, à Hambourg le 4 octobre 2020. Cet événement intervient quelques mois après le début du procès de l’attentat de Halle et quelques semaines après la suspension de vingt-neuf policiers dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, après la découverte d’un réseau d’échanges d’idées et d’images d’extrême-droite.
Une actualité régulièrement marquée par des attaques antisémites
Le dimanche 4 octobre 2020, un homme attaquait à coup de pelle un autre homme sortant d’une synagogue à Hambourg, jour de Souccot (une fête juive de pèlerinage commémorant l’Exode et célébrant la fin de la saison agricole, aussi appelée Fête des Cabanes). L’auteur de l’attentat était habillé en tenue militaire et avait dans sa poche une feuille portant une croix gammée. Immédiatement, représentant·e·s de la communauté juive et responsables politiques ont réagi, condamnant l’attentat qui a laissé l’homme gravement blessé. Le Ministre des Affaires Étrangères Heiko Maas a de plus rappelé que cette attaque n’était pas « un cas isolé, c’est un antisémitisme révoltant, et nous devons tous y faire face » [2].
L’attaque de Hambourg a immédiatement rappelé aux Allemand·e·s l’attentat de Halle survenu un an plus tôt. Le 9 octobre 2019, jour de Yom Kippour, un homme tentait d’attaquer la synagogue de Halle (en Saxe-Anhalt). Ne pouvant pas pénétrer dans le lieu, il tira sur une passante, avant de s’en prendre à un homme dans un restaurant « kebab », les tuant tous les deux. La police finit par l’arrêter dans un village à quinze kilomètres de la ville. L’agresseur est accusé de double homicide, et de tentative de meurtre sur soixante-huit personnes, dans un procès toujours en cours [3].
Cette attaque avait soulevé, et soulève encore, un certain nombre de questions sur les difficultés de la police à détecter la radicalisation d’extrême droite. Des questions d’autant plus actuelle aujourd’hui.
Des incapacités à contrer l’extrême-droite
« La solidarité ne suffit pas. » Pour la Taz (journal berlinois ancré à gauche), il ne suffit plus de toujours prononcer les mêmes phrases, de dénoncer les actes isolés d’individus confus après les attentats antisémites . La journaliste Erica Zingher appelle la société allemande à une prise de conscience, à une confrontation avec la réalité de l’antisémitisme en Allemagne, qui n’est pas que l’affaire de cas isolés, malades, et étrangers à l’Allemagne. C’est un problème collectif, auquel le pays n’a pas encore trouvé de solution.
Les insuffisances des services de renseignement ont de nouveau été pointées du doigt au cours du procès de l’attentat de Halle. L’incapacité des enquêteurs et enquêtrices à échanger les informations recueillies lors de leurs recherches, ou à repérer des connections claires avec l’extrême droite, a ainsi été mise en évidence par les avocats des victimes.
Dans le même temps, vingt-neuf policiers du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ont été suspendus après la découverte de cinq groupes de conversations sur lesquels ils s’échangeaient de la propagande d’extrême-droite : « des images d’Adolf Hitler, de croix gammées, de drapeaux du troisième Reich, ainsi qu’une représentation fictive d’un réfugié dans une chambre à gaz d’un camp de concentration ». Le Ministre de l’Intérieur du Land s’est dit choqué : « Je n’ai d’abord pas voulu croire qu’il existait une chose pareille. » . Comme le montre la WDR (radio-télévision publique de la région Ouest), ce n’est cependant pas la première fois que des liens entre policiers et extrême droite sont démontrés. Entre autres, en juillet de cette année, des ordinateurs de la police ont été utilisés pour récupérer les données personnelles de journalistes, politiques et artistes, à Wiesbaden et Francfort. Ces personnalités ont ensuite reçu des lettres de menaces signées par le « NSU 2.0 ».
Des grands procès, mais un problème récurrent
Le NSU, ou Nationalsozialistischer Untegrund (Parti nazi clandestin), est un groupement néo-nazi allemand, responsable de la mort de dix personnes, de cinq attaques à la bombe, ainsi que de nombreuses attaques de banques, entre 2000 et 2011. Le procès extrêmement médiatique de son dernier membre vivant, Beate Zschäpe, s’est tenu entre 2013 et 2018. Le 11 juillet 2018, elle fut déclarée coupable, en compagnie de quatre complices, et condamnée à la détention à perpétuité.
Comme le procès de l’attentat de Halle, celui-ci a permis de voir les manquements des services de renseignement, et de démontrer le besoin de prendre la violence d’extrême droite au sérieux.
En effet, celle-ci ne s’exprime pas qu’avec des attentats suivis de procès de grande ampleur. Au cours de l’année 2019, l’Association des centres de consultation pour les victimes de violence antisémite, raciste et d’extrême droite (Verband der Beratungsstellen für Betroffene rechter, rassistischer und antisemitischer Gewalt) a ainsi recensé, dans la moitié des Bundesländer, 1347 attaques aux motivations d’extrême droite, concernant 1982 personnes. En 2019, il y a eu en moyenne cinq attaques par jour en Allemagne commises par l’extrême droite.
L’AfD (Alternative für Deutschland, parti d’extrême-droite), avec quatre-vingt-quatorze députés élus au Bundestag depuis 2017, n’aide pas les choses, en multipliant et en « normalisant » les agressions verbales, l’antisémitisme et le racisme. Ce fut le cas dernièrement à la fin du mois de septembre, quand des journalistes ont découvert le porte-parole du parti (depuis limogé) tenant des propos ignobles et parlant de la possibilité de « tirer sur les migrants ou de les gazer ».
Image: Oranienburger Straße, By Bjørn Giesenbauer, Flickr, CC-BY-SA
[1] « Der Hass gegen Jüdinnen und Juden ist eine Schande für unser Land », traduction personnelle.
[2] « Das ist kein Einzelfall, das ist widerlicher Antisemitismus und dem müssen wir uns alle entgegenstellen. », traduction personnelle.
[3] Une des juges du procès étant tombée malade, celui-ci est actuellement en pause..