Le 3 mai, la Journée mondiale de la liberté de la presse célèbre les principes fondamentaux de la liberté et la défense de l’indépendance des médias. Établie en 1993, suivant la recommandation adoptée lors de la vingt-sixième session de la Conférence générale de l’UNESCO en 1991, cette journée s’inscrit dans la continuité de la Déclaration de Windhoek sur le pluralisme et l’indépendance des médias. Il s’agit de consacrer la liberté de la presse, comme pilier de la démocratie, et d’un développement économique durable.
Un mouvement de libéralisation de la presse saoudienne
Cette célébration annuelle est un temps de réflexion sur la liberté de la presse dans certains pays à l’instar de l’Arabie Saoudite. 172ème au Classement mondial de la liberté de la presse 2019, 169ème en 2018, le royaume saoudien est encore pleinement concerné par la protection de cette liberté. Après un an d’emprisonnement, la fondatrice du blog Saudiwoman et défenseure des droits des femmes, Eman al Nafjan a été libérée provisoirement. Trois journalistes et défenseures des droits des femmes doivent aussi recouvrer la liberté d’ici fin mars. Elles étaient arrêtées depuis le printemps 2018. Ces libérations pourraient présager d’un nouveau climat de tolérance des autorités saoudiennes envers la liberté de presse.
Une liberté de presse encore fragile
Pour autant, les médias demeurent strictement encadrés. Depuis 1962, un ministère de l’information existe afin de réguler les médias au sein du royaume. Indépendant des affaires culturelles en 2018, le ministère comprend en son sein l’agence saoudienne de presse. La régulation implique également la censure d’informations préjudiciable à « l’image du royaume » : de la culture au nouvelles de la guerre yéménite. L’un des objectifs étant de « produire de réelles informations et analyses, qui confirmeront la confiance des citoyens envers les médias, la culture, et leur sens d’appartenance à une même communauté.»
En outre, les journalistes saoudiens sont sous haute surveillance, comme l’a démontré l’affaire Jamal Khashoggi en octobre 2018. En bafouant le droit international public et les droits humains, cette affaire, interne, est devenue internationale. D’une part, le meurtre de ce journaliste, notamment du Washington Post, a eu lieu au sein du consulat saoudien d’Istanbul. D’autre part, son degré de préméditation démontre que cet assassinat est une affaire d’Etat avec l’implication de hauts-responsables de la sécurité intérieure saoudienne. Au delà de déclarations ponctuelles du Ministre des Affaires Etrangères Adel al-Jubeir, très peu d’écrits saoudiens ont été diffusés sur cette affaire.
L’arrivée au pouvoir du prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS) en juin 2017, a, malgré un discours de tolérance, poursuivi la répression. Depuis 2017, le nombre de journalistes et de citoyens derrière les barreaux a plus que triplé.
Des impératifs religieux à concilier
L’affaire Raïf Badawi est emblématique des tensions, entre liberté de presse et respect des préceptes religieux dans cette théocratie. Le blogueur, toujours emprisonné, a été condamné en 2013 à 10 ans de prison et 1 000 coups de fouet. Militant dès 2008 avec la création du site « Free Saudi Liberals », il prône une application libérale de l’islam. La libéralisation religieuse possède une forte dimension sociale ; l’opposition au système de tutelle, notamment sur le choix du conjoint des Saoudiennes en est un exemple. Or, le royaume est, depuis ses débuts, régi par le wahhabisme, école de pensée rigoriste de l’islam.
Ce courant est particulièrement réfractaire à une interprétation libérale, politiquement et socialement, de l’islam, plus ancrée dans son époque. Le prince MBS prône, par ailleurs, une diminution de l’influence du wahhabisme. Mais, la marge de manœuvre est limitée. Le wahhabisme étant, en effet, historiquement indissociable de la monarchie saoudienne. Au milieu du XVIIIe siècle, les Saouds ont fait alliance avec Muhammad ibn Abd al-Wahhab, un religieux qui préconisait une lecture étroite de la Sunna.
Pour autant, le wahhabisme n’est pas un retour au « mahométisme le plus pur », selon les termes de l’explorateur William Gifford Palgrave (1828 – 1888). En effet, cette école de pensée n’est pas strictement littéraliste. Elle prône une interprétation de la Sunna qui, pour partie, est anti-traditionnelle, en ce sens qu’elle déroge aux normes fondamentales d’extraction des règles à partir de la Sunna. Elle est donc une interprétation particulière au royaume saoudien, base d’une théocratie durable avec une dynastie immuable. La République Islamique d’Iran possède également cette caractéristique avec la permanence de la figure du guide suprême.
Des problématiques politiques et sociales en jeu
En outre, la liberté de la presse s’inscrit dans des enjeux politiques et sociaux structurels. En effet, elle permet de rendre compte des défis quant au respect des droits humains dans cette théocratie. La notion recouvre, en effet, une vision différente de celle prônée par les pays occidentaux. En particulier, la question des droits des femmes est étroitement liée à celle de la liberté de la presse. Celle-ci est une condition à l’octroi de davantage de droits pour les femmes saoudiennes. La presse informe la population civile des injustices dont souffrent encore les femmes saoudiennes ainsi que des progrès effectués. La liberté de la presse demeure plus que jamais un pré-requis pour tout régime qui aspire à une démocratie durable. Un modèle vers lequel l’Arabie Saoudite souhaite, dorénavant, se diriger.
Image : Demonstration outside the Embassy of Saudi-Arabia, Helsinki, Finland, by Amnesty Finland, Flickr CC BY 2.0.