A l’occasion de la journée internationale des femmes, les Observateurs juniors publient un état des lieux du respect des droits des femmes dans le monde, étudié notamment au prisme du pluralisme culturel et religieux.
« [..] In King Salman’s time, women were able to vote for the first time and 20 women won in these elections. Women can now work in any sector. In business and commerce, as a lawyer, in the political field and in all sectors. Women can carry out any jobs they want. What is left is that we support women for the future and I don’t think there are obstacles we can’t overcome.»
Des droits des femmes encore bafoués
Le rapport de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme du 17 janvier 2018 souligne encore les progrès à faire en matière de respect des droits des femmes en Arabie saoudite. Cette enquête sur le terrain met l’accent sur « une double vulnérabilité » féminine encore présente dans un Etat traditionnellement réticent aux droits humains.
Le maintien du statut de « gardien masculin » perpétue l’inégalité entre les genres et confère aux femmes un statut minoritaire toute leur vie. La circulaire royale du 18 avril 2017 a peu modifié ce régime de « tutelle ». Plus problématique, au-delà d’ambiguïtés juridiques, les autorités publiques peuvent se montrer discriminantes, notamment dans le cadre d’affaires de violence domestique.
En outre, si elles demeurent une avancée décisive, les élections de 2015 ont toutefois montré l’émergence limitée des femmes dans les affaires publiques. Avec moins de 1 000 candidates, les femmes n’ont représenté en effet qu’à peine 10 % des postulants aux conseils municipaux. De plus, parmi la douzaine de candidats non autorisés à se présenter, deux étaient des femmes activistes, dont une militante des droits humains.
Parallèlement, le scandale global «#MosqueMeToo» – qui a éclaté à la suite du mouvement #MeToo – contribue à éroder aussi bien de manière symbolique qu’économique (le pèlerinage étant un secteur de ressources financières non négligeable) le soft power saoudien, le royaume étant le gardien et garant des lieux saints.
Un vent de modernisation souffle en faveur des droits des femmes
Les violations des droits des femmes demeurent ainsi fréquentes mais un meilleur respect semble se profiler.
Certes, la suspension d’un religieux pour avoir déclaré, lors d’un prêche, que les femmes avaient « un quart de cerveau » en septembre 2017 peut être considéré comme du ressort de la symbolique. Pour autant, elle ne doit pas occulter les avancées en faveur des droits des femmes, comme en témoigne le motif officiel de suspension d’« atteinte aux valeurs d’égalité, de justice et de respect des femmes inhérentes à l’islam».
Avancée majeure et plus concrète, les Saoudiennes sont désormais autorisées à quitter le domicile conjugal sans être théoriquement contraintes d’y retourner. Par ailleurs, le droit de vote des femmes est effectif depuis 2015 suite à un décret du l’ancien monarque Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud en 2011. Les femmes ont pu ainsi voter et se présenter aux élections municipales de 2015. Elles ont également eu le droit de faire leur entrée au Majlis al-Choura, le conseil consultatif du royaume.
Dans l’esprit d’une volonté d’une fonction publique plus féminine, le royaume saoudien veut recruter plus de femmes dans le secteur public, notamment aux postes de lieutenants-enquêtrices et dans les services d’émigration. Composant 22 % de la population active, les Saoudiennes constituent 5 % de la fonction publique, un secteur qui emploie pourtant 70 % des salariés saoudiens et où elles sont destinées majoritairement à des postes d’enseignantes ou de médecins. De même, dans le secteur privé, les Saoudiennes peuvent depuis peu ouvrir leur propre entreprise sans avoir au préalable reçu le consentement de leur tuteur.
L’octroi du droit de conduire pour les femmes prévu pour juin 2018 semble préfigurer une série de réformes annoncées, dont la suppression de la tutelle et l’accès à l’ensemble des bâtiments publics. Ce contexte réglementaire pourrait contribuer au renforcement des droits des femmes.
Des limites structurelles et anciennes encore prédominantes
Le traitement de la condition féminine en Arabie saoudite n’est pas seulement nourri par la religion, comme le montre le journaliste Mohamed Turki Al-Rabiou. La sociologue française Amélie le Renard estime en effet à sa suite que la séparation des sexes dans l’espace public saoudien ne s’explique pas uniquement via le prisme des traditions tribales. Le pouvoir politique a sa part de responsabilité. Dans le même esprit, outre le « nationalisme religieux wahhabite, l’anthropologue saoudienne Madawi Al-Rasheed, professeur au King’s College de Londres, estime que la marginalisation des femmes est due à des décisions politiques dans les domaines sociaux, culturel et religieux. En effet, si on s’appuie sur les travaux de l’historien indien Partha Chatterjee, le nationalisme religieux saoudien a érigé les femmes en icônes de la cohésion de l’oumma (communauté de foi des musulmans).
Une opinion également partagée par le docteur et féministe marocaine Asma Lamrabet qui estime que « le problème de fond des sociétés islamiques est surtout un problème de déficit en démocratie et de sous-développement socioéconomique. C’est un problème aussi de pouvoirs politiques qui manipulent et instrumentalisent la question du religieux afin de légitimer leur pérennité auprès de populations qui ont été éduqués à percevoir le religieux comme un véritable « échappatoire » identitaire.»
Suite au tournant géopolitique du 11 septembre 2001, le royaume s’est engagé à prôner une « image de héraut de la libération des femmes ». Il cherche ainsi à attirer le soutien nécessaire des élites libérales dans ses projets de réformes économiques, notamment celui de « Vision 2030 » (plan de développement et de diversification économique visant à sortir le pays de la rente pétrolière). Il souhaite ainsi s’installer durablement sur la scène internationale. Dès la fin des années 80, comme le montre l’anthropologue saoudienne Thuraya Al-Turki, les Saoudiennes, selon leur éducation et leur classe sociale, avaient en effet commencé à se mobiliser en faveur des droits des femmes. Cette mobilisation a été rendu possible dans un contexte de modernisation progressive du royaume. Ainsi, depuis la consécration en juin 2017 du réformateur Mohamed Ben Salmane comme prince héritier, cette récente image positive du pouvoir étatique est peu critiquée quant à son rôle ancien de pivot dans la marginalisation des Saoudiennes.
Pour autant, il ne faut céder au fatalisme comme le montre justement Asma Lamrabet. Une troisième voie est possible. Cette voie dépasserait d’une part, le discours «réducteur» du féminisme «pro-occidentale», – qui considère que la religion opprime les femmes, en se posant comme obstacle à leur émancipation – et, d’autre part, un discours islamique, qui estime que la conception universaliste des droits de l’Homme-ou droits humains- n’est pas compatible avec les préceptes de l’islam. Alliant le référentiel spirituel et les valeurs d’égalité, de dignité et de respect des droits humains, tout en luttant contre les extrémismes de tout bord, ce féminisme musulman s’engage dans le refus de la dévalorisation juridique, culturelle et sociale des femmes à tous les niveaux.
Image : Olympic Judo London 2012 – Wojdan Shaherkani, by Martin Hesketh, Flickr, CC BY 2.0