En 2014, l’Islamic Heritage Research Foundation estimait que l’Arabie saoudite avait anéanti 98 % de son patrimoine historique et religieux depuis 1985. Chercheurs et activistes ont alerté sur les risques liés à la manipulation de l’Histoire, mettant en péril près de 4 000 ans de civilisation dans la péninsule arabique.
Alors que ce mouvement d’effacement du passé semblait connaître un regain d’intensité ces deux dernières décennies, Kuwait Times revient sur la récente décision de consacrer un milliard de dollars à la sauvegarde de ce patrimoine, entre libéralisation des mœurs et ambitions d’ouverture touristique.
Une réforme s’inscrivant dans un processus plus large de libéralisation sociétale
Depuis sa naissance au XVIIIème siècle, la doctrine wahhabite préconise la destruction de certains lieux de pèlerinage islamique, à commencer par les tombes des proches du prophète, mais également de monuments précédant le VIIème siècle.
Cette démarche annihilatrice s’explique par un principe fondamental de cette branche sunnite conservatrice qui condamne l’idolâtrie, définie comme le culte voué aux objets et images. Le Prince Sultan bin Salman bin Abdulaziz, Président de la Commission générale du tourisme et du patrimoine national, admet ainsi que près de 150 sites de renom ont été intentionnellement rasés ou remplacés par des projets urbains.
Toutefois, avec le programme « Vision 2030 » initié par le prince héritier Mohammed ben Salmane, le royaume prétend s’attacher à moderniser la société. Ainsi, la décision d’allouer un milliard de dollars à la protection de cet héritage s’inscrit dans la lignée d’autres révisions telles que l’autorisation pour les femmes de conduire.
Lever les barrières culturelles avant d’ouvrir les frontières physiques
Le Prince Sultan se veut optimiste et défend le bien-fondé de préserver ces édifices historiques pour renforcer l’identité nationale. Selon lui, l’islam ne peut être compris que par une appréhension holistique des civilisations qui le précédent, à commencer par la connaissance de l’Histoire et des traces laissées.
C’est pourquoi la Commission du tourisme et du patrimoine national, qu’il préside, subventionne les municipalités pour les encourager à la mise en valeur de cet héritage. Elle aspire à l’admission de 10 sites au patrimoine universel de l’UNESCO, qui compte déjà le site archéologique de Al-Hijr (Madain Saleh) de plus de 2 000 ans, ainsi que l’oasis Al-Ahsa, l’une des plus grandes du monde.
A long terme, l’objectif est d’inscrire l’Arabie saoudite sur la carte mondiale du tourisme afin de diversifier son économie dépendante du pétrole. Les dépenses liées au secteur devraient croître de 27.9 milliards de dollars en 2015 à 46.6 milliards de dollars en 2020, et ce avec l’aide de la France.
Des interdits profondément ancrés qui frustrent les ambitions modernisatrices
Toutefois, cette tentative de libéralisation risque de déclencher autant d’opposition de la part des ultra-conservateurs que les autres avancées proposées par le régime. Pour cette raison, ce dernier a décidé d’intégrer les intellectuels musulmans ainsi que le Grand Mufti aux discussions sur la gestion de ce patrimoine, religieux ou pas.
Néanmoins, cette difficulté à faire consensus sur le sujet illustre plus généralement l’hostilité à laquelle se confronte le pouvoir qui aspire à transformer un système réfractaire au changement. Alors que l’émission de visas de tourisme non-religieux avait été annoncée pour le premier semestre 2018, la mesure n’a pas encore été instaurée en raison d’une bureaucratie traditionaliste réticente à une telle ouverture.
En effet, la levée des restrictions sociales qui pourraient peser sur les voyageurs, telles que l’interdiction de l’alcool ou du bikini, ne sont par exemple pas au goût du jour. A ce propos, le Prince Sultan déclare qu’ « il y a certaines choses qui ne seront pas tolérées en Arabie saoudite » bien qu’elles soient « aujourd’hui acceptées par l’islam ».
Image : Nabataean Tombs, Mada’in Saleh, Saudi Arabia, By Tomasz Trzesniowski, Flickr, CC BY-NC-SA 2.0