Depuis peu s’élèvent des observations, des critiques, des contestations quant à la gestion du Hajj par le royaume saoudien. En effet, des considérations pragmatiques, notamment sur le plan de la sécurité et des dérives «commerciales» de cet acte sacré sont en jeu.
Un lieu sacré lié à un acte de foi
Gardien « des Lieux Saints » de l’islam et notamment du plus sacré d’entre eux, la Mecque, le royaume saoudien jouit d’une aura religieuse depuis des siècles, sans équivalence dans le monde musulman, et particulièrement auprès des sunnites. La Mecque est au cœur de cette sacralité, parallèlement à d’autres lieux tels que Al-Masjid an-Nabawi, « la mosquée du prophète », à Médine ou encore la Mosquée de l’imam Ali à Najaf en Irak. La Mecque demeure le lieu par excellence du devoir sacré du Hajj.
En effet, le pèlerinage est considéré comme l’un des cinq piliers de l’islam. Pour rappel, ceux-ci sont :
- L’attestation de foi de l’unicité de Dieu et de la reconnaissance de son prophète Mohammed, ainsi que ceux qui l’ont précédé, (chahada) ;
- Les cinq prières quotidiennes (salat) ;
- L’aumône (zakat) aux nécessiteux dans les proportions prescrites en fonction de ses moyens ;
- Le jeûne du mois de Ramadan (siyam), qui dure de l’aube au coucher du soleil ;
Le 5ème pilier est le pèlerinage à La Mecque (Hajj), qui doit s’effectuer au moins une fois dans sa vie, si le croyant ou la croyante en a les moyens physiques et matériels. Rituel conçu pour promouvoir les liens de fraternité dans la communauté de l’oumma, il s’agit d’exprimer la pure égalité des croyants devant Allah, cette pureté étant symbolisée par le vêtement blanc. En effet, les différents rites s’inscrivent dans l’esprit d’un affranchissement de la vie matérielle au profit d’une transformation spirituelle. Les pèlerins doivent ainsi se dénuder de tout marqueur de statut social, de richesse, au profit de la communion avec Dieu et la communauté des autres croyants.
Pour autant, cet acte de foi ne doit pas être nécessairement accompli plusieurs fois. Ce dernier est en effet une obligation, selon le Coran, pour toute personne responsable qui en a la capacité financière et physique. Il a lieu après le mois sacré qu’est le Ramadan. Pour cette année, il se déroulera au mois de Dhoul Hijja 1439 soit au mois d’août 2018. En pleines vacances scolaires, des millions de musulmans profiteront de cette occasion pour réaliser ce pilier de l’islam. Quant à l’umrah ou « petit pèlerinage », soit une version moins intensive et ritualisée que le Hajj, il peut se dérouler sur toute l’année contrairement au « grand pèlerinage ».
Le Hajj, un outil diplomatique religieux face au défi sécuritaire
Le pèlerinage contribue grandement à l’essor de la diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite (un ministère lui est dédié, autre que celui des Affaires religieuses). Outre le fait que la dynastie Al Saoud se réclame de la lignée spirituelle du prophète Mohammed, à l’instar de la dynastie actuelle marocaine des Alaouites et jordanienne des Hachémites, elle n’hésite pas à rappeler fréquemment le caractère éminemment sacré de son territoire, berceau historique de l’islam. Ce caractère sacré n’a pas empêché des atteintes à la sécurité des fidèles par le passé. Aussi, la prise d’otages de la Grande Mosquée Al-Masjid al-Haram par des fondamentalistes islamistes et opposants à la famille royale saoudienne, du 20 novembre au 4 décembre 1979, a marqué durablement les esprits. Bien qu’ayant eu lieu trois semaines après le pèlerinage, 50 000 fidèles ont été concernés dont 130 effectivement tenus en otages. Les violences qui en ont découlé lors la reconquête avec de nombreux morts du côté des membres des forces de sécurité saoudiennes et des fondamentalistes ont « souillé » l’espace sacré qu’est ce lieu, centre de l’islam. Brèche dans la sécurité qui, si elle ne s’est pas reproduite jusqu’à présent, s’est néanmoins manifestée sous d’autres formes, également pernicieuses.
L’éclatement du scandale « #MosqueMeToo » en est l’archétype. Dans la lignée du mouvement mondial « #MeeToo », ces dénonciations de femmes musulmanes ayant effectué le Hajj ou l’umrah mettent en lumière des comportements indécents qui se seraient déroulés durant le pèlerinage et entachent quelque peu la sacralité de l’événement.
De même, la gestion des milliers de pèlerins occasionne des troubles, en particulier lors d’attroupements devant les places fortes du pèlerinage. Les fréquentes bousculades meurtrières de ces dernières années, notamment lors du rituel de « la lapidation du Diable » (la place Jamarat, en 2004 et 2006), posent question sur la capacité des autorités à organiser un tel événement.
Enfin, se pose la question d’un « capitalisme culturel » ou plus encore « religieux », comme le montre Saghi Omar, avec la croissance des « memorabilia, ces différents souvenirs matériels rapportés du Hajj ». De l’eau de la source sacrée de Zem Zem jusqu’aux biens de consommation ordinaires en passant par des cadeaux souvenirs symboliques soulèvent la question de la matérialisation progressive du Hajj. Cette tendance se cristallise particulièrement chez les jeunes pèlerins, qui ne rapportent plus de photos ni aucun cadeau symbolique, mais « toute une arithmétique du salut ». Au point que ce lieu saint, vecteur de « tourisme religieux», attire des revenus grâce à près de 4 millions de touristes par an. Ainsi, la région de la Mecque est un des poumons économiques du royaume.
Le Hajj est un outil des plus forts du soft power saoudien. En effet, le rayonnement du royaume est étroitement lié à la viabilité de l’organisation de cet événement planétaire. Pour autant, les défis restent nombreux pour garantir la sécurité des fidèles, hommes et femmes, et maintenir l’esprit sacré de l’événement.
Image : Mecca, Hajj, People, Group, Persons, Crowd, Meeting, by GLady / 2234 images, Pixabay, CC0 Creative Commons.