L’essor du sport féminin, facteur d’indépendance pour les femmes saoudiennes ?
A l’approche des Jeux Olympiques de Paris, cet article analyse l’essor du sport féminin et son impact sur l’émancipation des femmes saoudiennes. Cette libéralisation initiée aux JO de Londres en 2012 et renforcée par l’arrivée au pouvoir de Mohammed Ben Salmane semble être le reflet d’une société en voie de modernisation. Elle ne suffit cependant pas encore à masquer les tendances conservatrices et répressives du régime saoudien.
À 28 ans, la joueuse de Taekwondo saoudienne Donia Abu Talib, première femme à se qualifier sur le mérite « sportif » et non en raison de quotas, se donne comme objectif de remporter l’or aux Jeux Olympiques de Paris 2024. À 22 ans, la joueuse de football saoudienne Layan Jouhari affirme progresser « pas à pas », tout en rêvant de participer à la Coupe du monde de football féminine un jour. Les aspirations de ces sportives de haut niveau témoignent en creux des évolutions sociétales présentes et futures de l’Arabie Saoudite, royaume en pleine ouverture vers le monde.
Le sport féminin, une exception dans le royaume saoudien
Une ouverture récente
En 2012, le gouvernement saoudien autorise la participation des athlètes féminines saoudiennes aux Jeux olympiques de Londres. Cette décision inédite fut cruciale aussi bien pour la reconnaissance des femmes dans le milieu sportif que dans la sphère publique. En effet, l’Arabie Saoudite est marqué par le wahhâbisme, courant rigoriste de l’islam sunnite, où les femmes sont reléguées à la sphère privée. Deux représentantes du royaume avaient été ainsi autorisées à concourir sur des disciplines considérées comme « masculines » : Sarah Attar sur 800 mètres en athlétisme et Wojdan Shaherkani en judo.
En 2013, Raha Moharrak est devenue la première femme saoudienne et la plus jeune femme arabe à atteindre le sommet de l’Everest. En 2015, à 29 ans, elle a appris à faire du vélo en rejoignant la « Team Shirzanan », (du persan – héroïnes ou lionnes) un collectif de sportives musulmanes qui a réalisé un tour dans l’Iowa pour faire reconnaître la participation des femmes au sport comme droit fondamental. Cela étant, la participation olympique en 2012 omettait encore de remédier de manière globale aux obstacles persistants à la pratique du sport féminin dans le royaume.
Une ouverture nécessaire
D’une part, cette participation féminine était nécessaire dans la mesure où l’absence d’autorisation pour les femmes à pratiquer un sport violait la Charte olympique. Celle-ci interdit la discrimination entre les hommes et les femmes et cette absence aurait pu conduire à une exclusion de l’Arabie saoudite des Jeux Olympiques de Londres, portant préjudice au « soft-power » du royaume.
D’autre part, l’ONG Human Rights Watch avait signalé une discrimination de genre institutionnelle et profonde au sein de la société saoudienne. Des millions de filles se voyaient interdire la pratique de tout sport dans les écoles, tandis que les femmes se heurtaient à l’interdiction de pratiquer des sports d’équipe et ne pouvaient accéder aux infrastructures sportives, notamment aux salles de sports et aux piscines.
Une ouverture progressive et généralisée
Une modernisation impulsée par le haut
Depuis l’arrivée au pouvoir du jeune prince héritier Mohammed Ben Salmane (dit « MBS ») en juin 2017, le royaume saoudien est entré dans une nouvelle phase que l’on peut qualifier d’« d’ère moderne ». Celle-ci impacte l’ensemble des sphères économiques et sociales de l’État Saoudien : le sport bénéficie particulièrement de cette modernisation.
MBS impulse une ouverture des différentes activités sportives aux femmes. Au-delà de pouvoir assister, depuis 2019, à des matchs de football dans les stades, elles intègrent des sports individuels ou collectifs, connotés comme « masculins », à l’instar de la boxe, du football et du basketball.
La boxe
Rasha al-Khamisi, championne de boxe, est vice-présidente de la Fédération saoudienne de boxe et forme la nouvelle génération à ce sport de combat tout en promouvant les disciplines sportives dans le royaume pour les femmes.
Dès 2018, la pratique de la boxe s’est généralisée grâce à des clubs de gym à l’instar de celui de Halah Alhamrani, dénommé « Flag » (Fight Like a Girl), dans la ville occidentale de Jeddah, sur la mer Rouge.
Le football
Surtout, devenue une place mondiale grâce à l’arrivée de champions internationaux comme Cristiano Ronaldo et Neymar Jr. en 2023, l’Arabie Saoudite connaît un essor important de la pratique du football. Les Saoudiennes développent le football féminin, inexistant il y a encore cinq ans dans le royaume où le « ballon rond » est le sport le plus pratiqué. Formée seulement en 2019, la sélection nationale a fait son entrée dans le classement de la FIFA en mars 2023, à la 171ème place, après une année 2022 marquée par son premier match international contre les Seychelles (remporté 2 à 0) et la création du premier championnat féminin dans le pays. L’Arabie saoudite, qui vient par ailleurs d’annoncer sa volonté d’organiser le Mondial masculin en 2034, a aussi présenté sa candidature pour accueillir la Coupe d’Asie féminine de football en 2026.
Témoin de l’importance accordée au sport féminin, le documentaire « Destined to Play », diffusé en septembre 2023 sur la plateforme de streaming de la FIFA, a retracé le parcours des joueuses saoudiennes, à l’aune de la nouvelle stratégie d’investissements massifs du royaume dans le sport.
Surtout, certains journaux du pays n’hésitent pas à consacrer leur une à la victoire de l’équipe féminine. Lors du match amical contre les Seychelles, le quotidien saoudien Okaz titre ainsi son édition du 21 février 2022 : « Les femmes au maillot vert écrivent l’histoire. »
Le basketball
De même, le basketball suscite un engouement généralisé au sein de la société saoudienne. En 2017, la Swish basket-ball Academy de Djeddah a ainsi ouvert ses portes aux sportifs des deux sexes sous l’impulsion de Mohanned Shobain. « J’ai vu qu’il y avait beaucoup de demandes en basket-ball, car les hommes et les femmes ont soif d’apprendre, explique-t-il à Arab News. [Les joueuses] ont juste besoin […] de bons équipements et d’occasions comme celle de participer à un tournoi […] pour développer leur jeu, acquérir de l’expérience et encourager d’autres personnes à jouer au basket », poursuit-il.
Un vecteur de modernisation dans un royaume encore conservateur
Le sport, symbole d’une évolution des droits des femmes dans la société
La participation féministe au sport est en hausse que ce soit pour des raisons de santé, de loisirs ou encore de développement de l’esprit de compétition. Surtout, les sportives saoudiennes incarnent des évolutions sociétales majeures dans le royaume, en pleine transition économique en vue de réduire sa dépendance aux hydrocarbures.
Dès la fin des années 80, comme le montre l’anthropologue saoudienne Thuraya Al-Turki, les Saoudiennes, selon leur éducation et leur classe sociale, avaient commencé à se mobiliser en faveur de l’émancipation des femmes.
En ce sens, les droits des femmes ont connu des avancées majeures depuis 2017 à l’image, notamment, de la possibilité de la conduite automobile en 2018 ou encore de l’obtention d’un passeport sans l’autorisation de leur tuteur masculin en 2019. Au-delà de la visée symbolique et d’un moyen de locomotion pour accéder plus facilement aux infrastructures sportives, le droit de conduire est aussi une source de revenus, de l’ordre de 90 milliards de dollars d’ici 2030 selon Bloomberg Economics, du fait de son rôle de facilitateur du travail féminin, qui est une source de croissance durable pour l’économie saoudienne.
Une émancipation encore contestable
Cela étant, les associations des droits humains mettent en exergue les discriminations dont les femmes saoudiennes sont encore victimes et la répression menée contre les critiques. La militante féministe saoudienne Loujain Al-Hathloul a été ainsi emprisonnée pendant près 3 ans avant d’être libérée en février 2021, et d’être interdite de quitter le territoire, dans un contexte de rapprochement avec les États-Unis à la suite de l’affaire Khashoggi en 2018. De même, Manahel al-Otaïbi, jeune militante féministe et professeure de fitness, a été emprisonnée en novembre 2022 et condamnée à 11 ans d’emprisonnement en mai 2024 pour avoir appelé à la fin de la tutelle masculine sur les réseaux sociaux.
Dans ces conditions, la promotion du football saoudien est loin de faire l’unanimité. Les discussions en 2023 sur un éventuel parrainage de la Coupe du monde féminine de football de 2023 par l’Office du tourisme saoudien ont suscité les critiques des co-organisateurs néo-zélandais et australiens, ainsi que de la championne américaine Alex Morgan, conduisant à l’absence d’accord en la matière.
Pour autant, force est de constater que les avancées « olympiques » en matière d’essor du sport féminin contribuent à une modernisation générale et profonde de la société saoudienne. Surtout, la diffusion du sport féminin pourrait se révéler être un des vecteurs, peut-être le plus consensuel et le plus durable, d’un meilleur respect des droits humains dans ce jeune royaume, centenaire en 2032.
Image : Reema de Studio Saudi Arabia