Au-delà des conséquences de l’affaire Jamal Khashoggi, le royaume saoudien traverse une période peu ordinaire sur le plan extérieur. En effet, il est en plein rapprochement avec un des grands voisins, Israël. Ce rapprochement essentiellement géopolitique, dans cette région en proie à des conflits particulièrement longs, semble s’étendre au-delà de la « realpolitik ». Dans ce contexte de conflits récurrents, l’essor du prince Mohammed Ben Salmane (MBS) permet d’entretenir des rapports plus souples avec l’Etat hébreu, sous l’impulsion de son allié historique américain.
Pour autant, ce « réchauffement des relations » n’est pas uniquement réservé au royaume saoudien. Fin octobre, des représentants de l’État hébreu ont multiplié les visites officielles dans plusieurs pays du Golfe. Symboliques, ces rencontres pourraient ouvrir un nouveau pan de l’Histoire de ces relations traditionnellement tendues.
La « normalisation » également sur le plan religieux ?
Les sphères culturelles et sportives, principaux relais de la diplomatie, sont mises à l’honneur. La venue de Miri Regev, ministre de la Culture et des Sports, à Abu Dhabi, dans un pays qui ne reconnaît pas l’État hébreu, en témoigne entre autres.
La sphère religieuse n’est pas exclue de ce mouvement de « mains tendues ». Bien que la rivalité entre les pays du Golfe et Israël tire ses sources au-delà du domaine religieux, elle demeure, principalement pour les populations civiles, une rivalité vive de discorde religieuse. Le conflit israélo-palestinien, et ses relents de guerre religieuse entre les musulmans et les juifs, amplifié aussi bien par le Hamas que par les ultra-orthodoxes juifs présents dans le gouvernement israélien, le démontre bien.
Aussi, il est historique qu’« une normalisation » religieuse, qui demeure un point marqué de cristallisation de conflits, ait actuellement lieu. La visite de Benyamin Netanyahou, à Mascate, le 26 octobre a revêtu une dimension particulièrement symbolique. Aucun officiel israélien, en effet, ne s’y était rendu depuis 1996. Accompagné de son épouse Sara, du chef du Mossad, Yossi Cohen, et du conseiller à la sécurité nationale Meir Ben-Shabbat, le chef du gouvernement israélien déclare avoir vécu « un moment historique » avec le sultan Qabous. En outre, « c’est un pas important (…) visant à approfondir les relations avec les pays de la région en se servant des avantages d’Israël dans les domaines de la sécurité, de la technologie et dans le secteur économique ».
Un rapprochement encore fragile
La proximité des relations entre Israël et les Pays du Golfe n’est pas nouvelle. Mais, elle est demeure en grande partie secrète, pour des raisons essentiellement démagogiques, notamment envers les populations civiles respectives. Cet alignement est dû à la montée en puissance de l’Iran, principal rival des Pays du Golfe et de l’Etat hébreu. La volonté de Recep Tayyip Erdoğan d’étendre l’influence turque, aussi bien sur le plan militaire que culturel, contribue également à rapprocher ces rivaux. La Turquie d’Erdogan ambitionne de s’inscrire dans la lignée de son illustre prédécesseur, l’Empire Ottoman. L’outil de la diplomatie religieuse est primordial. En effet, jusqu’à la tentative de coup d’Etat du 15 et 16 juillet 2016, les écoles religieuses du mouvement Gülen étaient mises en avant. Depuis, le projet des « écoles Erdogan » à l’égard de la diaspora turque dans les pays occidentaux, est à l’oeuvre.
Pour autant, ce rapprochement entre Israël et les Pays du Golfe, s’il souhaite être à long-terme, demeure tributaire de la résolution, au moins partielle, du conflit israélo-palestinien. En effet, il ne cesse d’être un obstacle particulièrement tenace pour la sortie du Moyen-Orient du « siècle des excès »…
Image : Grande Mosquée Cheikh Zayed, Abu Dhabi, by Gilles Messian, Flickr CC BY 2.0.