Le conflit actuel au Haut-Karabagh fait craindre une instabilité sécuritaire durable dans le Caucase. Erevan et Bakou s’affrontent autour du statut de la région, territoire montagneux appartenant à l’Azerbaïdjan au regard du droit international mais majoritairement peuplé d’Arméniens.
Dans ce différend qui n’a cessé de resurgir depuis les années 1980, la position turque repose sur une relation particulière avec les deux parties au conflit. En effet, le discours d’Ankara défend la souveraineté territoriale de l’Azerbaïdjan sur la région du Haut-Karabagh en raison d’une relation étroite et singulière avec l’Azerbaïdjan et d’un antagonisme historique vis-à-vis de l’Arménie. L’identité est ainsi l’un des vecteurs d’explication de la position turque.
La relation Turquie-Azerbaïdjan : « Une nation, deux États »
Il est de coutume d’affirmer en Turquie et en Azerbaïdjan que les deux pays représentent une seule nation divisée en deux États. Il s’agit essentiellement d’une proximité culturelle, religieuse, linguistique et ethnique. D’abord, l’Asie centrale a toujours occupé une place singulière dans l’imaginaire turc, origine revendiquée par les peuples « turciques » notamment les Turcs et les Azéris. Outre la dimension ethnique, les deux pays partagent une appartenance commune à la religion musulmane. De même, la langue turque joue un rôle déterminant dans le dialogue turco-azéri.
À la chute de l’URSS, l’accès des Républiques d’Asie centrale à l’indépendance a représenté une fenêtre d’opportunité pour la Turquie afin de renouer avec son passé. Plus particulièrement, c’est le Président Turgut Özal (1989-1993) qui affiche l’ambition d’impulser le développement des relations culturelles et économiques avec cet espace turcophone. En 1992, la Turquie initie la création des « Sommets des Chefs d’État des pays turcophones ». Entre 1992 et 2000, six sommets se sont tenus dans le but de renforcer la solidarité entre pays membres. L’instrument institutionnel de ce dialogue est incarné en 2009 par le Conseil turcique (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie et Ouzbékistan) créé à cet effet. Enfin, la Turquie se positionne en « grand frère » par le soutien aux projets de développement en Asie centrale à travers l’agence de coopération et de développement (TIKA) .
Ainsi, dans le conflit du Haut-Karabagh, les liens historiques que la Turquie entretient avec l’Azerbaïdjan influencent directement sa position en faveur de ce dernier. C’est en sens que le gouvernement turc engage un plaidoyer sur la scène internationale pour défendre la souveraineté azerbaïdjanaise sur la région disputée. Au-delà des racines communes, les deux pays partagent des intérêts stratégiques consolidant leur alliance. Si la Turquie tire profit des approvisionnements en hydrocarbures notamment par le biais du gazoduc TANAP (inauguré en 2009) et l’oléoduc BTC, l’Azerbaïdjan bénéficie d’une coopération militaire lui permettant de moderniser son armée. Cette relation de proximité est d’autant plus forte que la Turquie et l’Arménie connaissent un rapport historique conflictuel à bien des égards.
Rapports conflictuels avec l’Arménie
Sous la domination ottomane, la communauté arménienne a représenté une partie intégrante du système des Millet, destiné à régir la vie en société, les droits et les devoirs de chaque groupe confessionnel. Lors de la décomposition de l’Empire ottoman dans le contexte d’après Première Guerre mondiale, le nationalisme se trouve exacerbé dans les différentes Provinces ottomanes. Les populations arméniennes subissent dès lors des violences et des massacres entre 1915 et 1923, des faits dont la qualification continue d’alimenter les tensions entre Ankara et Erevan. Du point de vue arménien, il s’agit d’un génocide planifié par les autorités turques de l’époque dans une logique d’épuration ethnique. Or, la République turque, héritière de l’Empire ottoman et du mouvement des Jeunes-Turcs impliqué dans les faits, refuse catégoriquement une telle qualification.
Ainsi, outre la proximité turco-azérie, la fragilité de la relation turco-arménienne favorise un appui turc aux revendications de l’Azerbaïdjan. Néanmoins, un espoir d’apaisement avait régné lors de la signature de l’accord de Zurich (2009) entre la Turquie et l’Arménie, une démarche destinée à ouvrir la voie à une normalisation des relations bilatérales. Toutefois, l’initiative n’a pas abouti en raison de la persistance des provocations mutuelles autour de la question du génocide et du statut du Haut-Karabagh. Aujourd’hui, nombreux sont les pays ayant reconnu le caractère génocidaire des massacres d’arméniens. À la fin du mois d’octobre 2019, la chambre des représentants des États-Unis vote la reconnaissance du génocide, suscitant par là la satisfaction de l’Arménie et le mécontentement de la Turquie.
La position turque sur le conflit actuel dans la région du Haut-Karabagh revêt ainsi une dimension historique significative reposant sur le facteur identitaire. Aux relations étroites avec l’Azerbaïdjan s’ajoute un rapport conflictuel entre la Turquie et l’Arménie.