La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a refusé de renvoyer en appel en Grande Chambre l’affaire E.S contre Autriche dont la décision en Chambre datait du 25 octobre 2018 [1]. C’est ainsi, et sans motiver son refus de renvoi de l’affaire, que le 18 mars 2019 la CEDH a rendu la décision précédente d’octobre 2018 comme arrêt final.
Cette affaire médiatisée et politisée [2] semble annoncer une nouvelle orientation de la Cour européenne plus réfractaire aux propos critiques envers la religion à l’instar d’une certaine liberté d’expression.
Un rejet de la liberté d’expression en faveur de la paix sociale
Une requérante autrichienne fut condamnée, pour dénigrement de doctrines religieuses en ayant déclaré à propos du mariage du prophète Mahomet et d’Aïsha, lors d’un séminaire intitulé « Information de base sur l’islam », qu’« un homme de cinquante-six ans avec une fille de six ans (…) De quoi s’agit-il si ce n’est pas de la pédophilie ?».
La requérante condamnée avait alors saisi la CEDH en invoquant la violation de l’article 10 de la Convention, c’est-à-dire de sa liberté d’expression.
La CEDH avait statué en faveur de la non-violation de l’article 10 affirmant que les propos dénigrants ne pouvaient relever de la protection de la liberté d’expression. Ils risquaient, au contraire, de porter atteinte à la liberté religieuse et à la paix sociale en Autriche. Les juridictions nationales, selon la CEDH, étaient les plus à même pour juger l’impact de ces propos sur la paix nationale. Ainsi, la Cour européenne valide l’entrave à la liberté d’expression de la requérante en faveur de la tolérance mutuelle et de la coexistence pacifique nationale.
Un refus de réexamen d’une décision controversée
Condamnant pour dénigrement de doctrines religieuses sans jamais citer le mot blasphème, cette décision d’octobre 2018 devient alors définitive. Elle aura probablement un impact certain pour les 47 Etats signataires de la Convention, en considérant la force obligatoire des décisions de la CEDH [3].
En refusant d’étudier à nouveau la décision d’octobre 2018, la Cour semble alors déterminer une orientation nouvelle [4] dans la justice européenne des droits fondamentaux. Elle s’affirme en faveur d’un « vivre ensemble » et d’une non-expression de propos pouvant potentiellement heurter des sentiments confessionnels et des communautés religieuses. Cet arrêt s’inscrit dans le paysage divers et souvent contradictoire des arrêts de la CEDH en matière religieuse et ouvre de nouveaux débats. Il risque, en outre d’amener pour les individus une certaine insécurité juridique quant aux limites de la liberté d’expression en matière religieuse.
Ainsi, en considérant la remontée des extrêmes dans les sociétés européennes et l’actuelle tendance à l’intolérance, le jugement de la CEDH peut s’interpréter comme une réaction à contre-courant, dont les proportions sont critiquables. Elle apparaît en faveur de la diversité religieuse et de la paix religieuse, dans l’optique d’accentuer un pluralisme religieux et culturel par cette décision drastique.
Il s’agit donc maintenant de rester attentif aux prochaines décisions de la Cour, alliant liberté d’expression des uns et liberté religieuse des autres. Ces libertés devraient être interprétées comme complémentaires et se conciliant [5] mais semblent de plus en plus apparaître juridiquement comme contradictoires et s’excluant.
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[1] PICHON LENG E., « CEDH et blasphème, vers une nouvelle orientation européenne », Observatoire Pharos, mai 2019, https://www.observatoirepharos.com/pays/autriche/cedh-et-blaspheme-vers-une-nouvelle-orientation-europeenne-fr/
[2] BAUER N., « Affaire E.S. c. Autriche à la CEDH : les limites incertaines de la liberté d’expression en matière religieuse », La Nef, 26 février 2019.
[3] PICHON LENG E., « La liberté religieuse, une notion encadrée en Europe par la CEDH », Observatoire Pharos, mai 2019, https://www.observatoirepharos.com/pays/france/la-liberte-religieuse-une-notion-encadree-en-europe-par-la-cedh-fr/
[4] PUPPINCK G., « E.S. C. AUT.: La CEDH rejette la demande », European Centre for Law & Justice, avril 2019.
[5] DIJOUX R., « La liberté d’expression face aux sentiments religieux : approche européenne », Les Cahiers de droit, decembre 2012, volume 53, numéro 4.
Image : CEDH Affaire Vincent Lambert Strasbourg 5 juin 2015 by Claude TRUONG-NGOC. Wikimedia Commons