Le mercredi 19 septembre, la justice française a déclaré irrecevables les poursuites de l’Azerbaïdjan à l’encontre d’Élise Lucet. L’ancienne république soviétique du Caucase c’était en effet lancée dans des poursuites à l’encontre de la journaliste qui qualifiait le pays de « dictature » dans l’émission « Cash Investigation ».
Un pays discret, accusé d’atteintes aux droits humains
Cette affaire illustre la volonté de l’Azerbaïdjan de défendre son image hors de ses frontières et de redorer son blason, entaché d’accusations régulières d’atteintes aux droits humains. Pour autant ce coup de projecteur n’est pas du goût de l’Azerbaïdjan. Le pays s’attache ces dernières années à développer un travail de lobbying discret et efficace, surnommé la « diplomatie du caviar ». Le but est d’obtenir des soutiens dans le conflit territorial qui l’oppose à l’Arménie mais aussi de faire taire les critiques sur la répression politique qui a cours dans le pays. Le clan du président Ilham Aliyev procède ainsi à de nombreuses arrestations arbitraires à l’encontre d’opposants politiques et de journalistes.
Redorer l’image du pays par la diplomatie d’influence
Cette stratégie d’influence azerbaïdjanaise a été mise à jour en 2017 dans l’enquête « Laundromat » menée conjointement par le journal danois Berlingske, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et le journal Le Monde. Elle se caractérise par des voyages, des investissements et des cadeaux luxueux pour promouvoir l’image du pays sur la scène internationale. En France l’Association des Amis de l’Azerbaïdjan (AAA) en est un outil essentiel. L’organisation, créée par l’ancien député Les Républicains (LR) Jean-François Mancel affiche deux objectifs : mettre en valeur le jeune pays pétrolier et contrebalancer l’influence de la diaspora arménienne, dont le pays d’origine est en conflit avec l’Azerbaïdjan depuis 30 ans. Ils décrivent volontiers l’ancienne république soviétique comme une « terre de tolérance » avec un « pouvoir stable » qui serait le parfait allié des pays occidentaux dans la région, en oubliant souvent d’aborder la question du respect des droits humains. Le pays paie régulièrement le voyage de parlementaires français, notamment pour qu’ils attestent du bon déroulement des élections. Après son déplacement à Bakou en septembre 2016, à l’occasion d’un référendum visant à étendre les pouvoirs du Président Aliyev, le sénateur André Reichardt déclarait « Les opérations auxquelles j’ai pu assister se sont déroulées dans des conditions tout à fait normales. Je me suis donc largement exprimé dans ce sens ». D’autres députés et sénateurs vont dans son sens et il est intéressant de remarquer les contreparties obtenues. Celles ci vont de la restauration d’églises dans l’Orne à la rénovation de l’Orangerie de Cognac.
Des soutiens azerbaïdjanais achetés jusqu’aux institutions européennes
La « diplomatie du caviar » fonctionne également au niveau européen. L’enquête « Laundromat » met à jour des transactions douteuses qui ont, entre autres, pour destinataire Eduard Lintner, un responsable de premier plan de l’Union chrétienne-sociale (CSU) allemande. Celui-ci a occupé, de 1999 à 2010, des fonctions importantes au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), dirigeant notamment son comité pour les droits de l’Homme. L’homme c’était rendu le 25 octobre 2013 en Azerbaïdjan pour surveiller le déroulé de l’élection présidentielle qui s’y déroulait. Alors que la très sérieuse Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a critiqué le processus électoral, dénonçant les « limitations à la liberté d’expression » et « les suspicions d’intimidation d’électeurs et de candidats » dans « un environnement médiatique restrictif », Lintner parle d’un processus électoral « conforme aux standards allemands », organisé avec « un haut niveau de professionnalisme ». Par ailleurs, il ne nie pas les paiements, les mettant sur le compte de son travail de lobbying, pour une ONG partenaire en Azerbaïdjan.
Le cas de l’italien Luca Volonte se rapproche beaucoup de celui de Lintner : celui ci a été une figure de premier plan de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et a également reçu de fortes sommes par le biais de fondations liées à Bakou. Il fait aujourd’hui l’objet d’une enquête en Italie. Il est soupçonné d’avoir utilisé son poste de président du groupe du Parti populaire européen (conservateur) au Conseil de l’Europe, pour défendre les intérêts azerbaïdjanais.
La lutte entre partisans et critiques de Bakou est ancienne. Le travail de lobbying azerbaïdjanais portait déjà ses fruits en 2013 avec une réelle offensive « pro-Bakou ». L’Assemblée avait rejeté l’adoption d’un rapport du parlementaire allemand Christoph Strässer sur les prisonniers politiques dans le pays caucasien. Les soutiens de Bakou avaient alors mis en avant l’absence de légitimité de l’Assemblée sur la question des violations des droits de l’homme.
Une enquête interne a donné lieu à un rapport de 200 pages, rendu le 22 avril 2018, sur les allégations de corruption. Le document conclut: « En ce qui concerne les activités corruptrices en faveur de l’Azerbaïdjan, il y a de forts soupçons que certains membres actuels et anciens de l’APCE se soient livrés à des activités de cette nature ». Le président de l’APCE a donc « invité les parlementaires impliqués à suspendre leur activité pendant qu’une commission examine leur situation au cas par cas. »
Peu d’espoir de démocratisation
Ce « caviargate » permet d’illustrer les agissements d’un pays toujours très loin de respecter les droits de l’Homme. Dans une tribune publiée dans Le Monde, la journaliste azerbaïdjanaise Khadija Ismaïova, persécutée par le régime, dénonce la corruption généralisée du pouvoir à Bakou. Elle pointe du doigt l’absence de soutien de la part des organisations internationales qui ne laisse entrevoir aucune chance de changement. Ainsi le président en exercice Ilham Aliyev a été réélu dès le premier tour aux élections présidentielles d’avril 2018 avec plus de 80 % des suffrages, ne laissant entrevoir aucune amélioration immédiate sur la question des droits de l’Homme.
Image : President of Azerbaijan Ilham Aliyev – July 21, 2017 Sochi, by The Kremlin. Wikicommons BY 4.0.