Seul Etat musulman actuellement dirigé par une femme, le Bangladesh a atteint avec succès les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) fixés par l’ONU en 2000. Cette réussite lui a permis de faciliter l’accès des femmes à l’éducation, à la santé et à l’emploi.
Toutefois, malgré ces progrès, le Bangladesh reste classé 139ème sur 188 au Gender Inequality Index du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Alors que le pays souhaite quitter le groupe des « pays les moins avancés » pour rejoindre celui des « pays à revenu intermédiaire » d’ici 2021, certaines problématiques liées au genre (mariage précoce, violences basées sur le genre, pratique de la dot) viennent fragiliser ses ambitions en matière de développement.
La journée internationale des femmes, célébrée le 8 mars dernier, offre l’occasion de faire un état des lieux de la condition féminine dans ce petit Etat d’Asie méridionale, grand comme un quart de la France et peuplé de 160 millions d’habitants, dont 85 % de musulmans.
Les Bangladaises ont bénéficié ces dernières années des progrès spectaculaires du pays en matière de développement économique
Le Bangladesh a connu sur la période 1995-2015 une croissance annuelle du produit intérieur brut dépassant chaque année les 5 %. Cette phase d’expansion a permis au pays de diviser par deux le nombre de ménages vivant dans d’extrême pauvreté, d’assurer l’éducation primaire pour toutes les filles et d’améliorer la santé maternelle des femmes.
Le développement économique du pays a par ailleurs permis d’augmenter considérablement le taux d’activité des femmes. L’industrie textile, qui représente 80 % des exportations bangladaises, emploie aujourd’hui plus de trois millions de femmes. De plus, les institutions de microfinance (Grameen Bank, BRAC), en prêtant prioritairement aux femmes, ont favorisé leur autonomisation par l’accès aux services financiers et l’insertion professionnelle dans le secteur formel.
La domination masculine de la société et le sous-développement constituent toutefois des freins à l’émancipation des femmes
En matière de développement humain, le Bangladesh reste particulièrement concerné par la problématique des mariages précoces. Bien que la pratique soit en baisse sur le temps long, elle reste « courante » en milieu rural et dans les bidonvilles en périphérie des grandes villes. Selon une étude de l’Unicef sur la situation des enfants dans le monde en 2015, 66 % des jeunes filles au Bangladesh seraient mariées avant l’âge de 18 ans, 29 % avant l’âge de 15 ans et 2 % avant l’âge de 11 ans.
Par ailleurs, de nombreuses femmes bangladaises continuent de souffrir des problèmes inhérents au sous-développement comme la malnutrition, le manque d’accès à la santé et la mortalité maternelle. Les femmes bangladaises, sans distinction de race ou de religion, subissent les violences liées à la domination masculine de la société, que cela soit en matière de harcèlement (dit eve teasing), de crimes d’honneur avec le vitriolage (aspersion d’acide), de violences conjugales ou de la pratique de la dot.
Une faible féminisation du pouvoir malgré la domination de la vie politique par deux dames
Sur le plan politique, le Bangladesh est dirigé par une femme depuis 1991. Malgré la présence alternée des deux Begum[1] au sommet de l’Etat (Khaleda Zia du Parti nationaliste du Bangladesh[2] et Sheikh Hasina de la Ligue Awami[3]), la participation politique des femmes « ordinaires » reste dans l’ensemble modeste. Pour favoriser la représentativité des femmes, la Constitution bangladaise de 1972 a prévu que 15 sièges leur soient réservés au Parlement. Plusieurs révisions constitutionnelles ont permis d’augmenter ce quota à 30 puis 45 et enfin, depuis 2011, à 50 sièges sur les 350.
Un cadre légal protecteur des droits des femmes mais peu respecté dans la pratique
Le Bangladesh dispose d’un cadre légal ferme : le Dowry Prohibition Act de 1980 rend illégal la pratique de la dot. L’Acid Control Act et l’Acid Crime Prevention Act de 2002 encadrent les importations, la production et la vente d’acide sulfurique d’une part et sanctionne de la peine de mort les auteurs de vitriolage qui peuvent être jugés par contumace d’autre part. Le Child Marriage Restaint Act de 1929 fixe l’âge légal pour se marier à 18 ans pour les filles et 21 ans pour les garçons.
Cependant, les dispositions législatives précitées sont largement ignorées dans la pratique en raison de l’existence d’un sentiment d’impunité alimenté par une spirale du silence. Les victimes rencontrent encore des difficultés importantes pour déposer plainte (ne serait-ce que du fait de l’absence de policières dans certains commissariats). De façon générale, la police reste faiblement sensibilisée à la question des violences contre les femmes. Au total, malgré les lois de 2002, au moins 3385 cas de vitriolage ont été recensés au Bangladesh entre 1999 et 2017 par l’ONG Acid Survivors Foundation. En ce qui concerne la dot, plus de 30 ans après son interdiction, sa pratique reste ancrée pour des raisons sociales comme l’explique Shahana Nasrin, professeur à l’université de Dacca, dans son livre Crime or Custom? Dowry Practice in Rural Bangladesh (2012).
La situation des femmes au sein des minorités ethniques, religieuses et sexuelles
Les difficultés récurrentes que rencontrent les femmes musulmanes du Bangladesh n’épargnent pas celles qui appartiennent à des minorités ethniques (Rohingyas, Chakma), religieuses (hindoues, chrétiennes) et sexuelles (les hijras, nom local donné aux personnes transgenres). Toutefois, l’appartenance présumée à un groupe social minoritaire peut entraîner des difficultés spécifiques.
Ainsi, la minorité rohingya a des besoins spécifiques en matière d’aide humanitaire. Sur les 700 000 Rohingyas arrivés depuis le début de la crise birmane le 25 août 2017, 52 % seraient des femmes et des petites filles selon ONU Femmes. Cet exode sans précédent entraîne des besoins dans les camps à Cox’s Bazar en matière de santé, de nutrition et d’éducation.
Les femmes hindoues, quant à elles, appartiennent historiquement à la minorité religieuse la plus importante au Bangladesh. Alors que les hindous représentaient près de 20 % de la population à l’indépendance du pays en 1971, ils représentent à présent moins de 10 % des Bangladais : comme le décrit l’écrivaine Taslima Nasreen dans son roman Lajja (La honte), les violences interreligieuses ont progressivement poussé de nombreux hindous et de nombreuses hindoues à quitter le pays.
Enfin, les hijras, bien que reconnus depuis novembre 2013 comme appartement à un « troisième genre », connaissent une situation difficile du fait d’une marginalisation sociale et d’une exclusion du marché du travail et des emplois publics.
[1] Titre donné aux femmes musulmanes d’un certain rang social dans le sous-continent indien
[2] Le BNP, parti nationaliste, a gouverné le Bangladesh de 1991 à 1996 et de 2001 à 2006
[3] La Ligue Awami, parti d’obédience socialiste, a gouverné le Bangladesh de 1996 à 2001 et est au pouvoir depuis 2009
Image : Solidarity Center in Bangladesh, By Solidarity Center, Flickr, CC BY 2.0