L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) Lachiri c/ Belgique du 18 septembre 2018 [1], devenu définitif le 18 décembre 2018, s’inscrit dans le paysage contradictoire des arrêts de la Cour européenne en matière de liberté religieuse [2].
Les faits
La requérante belge s’était rendue, en juin 2007, à l’audience d’un de ces proche vêtue d’un foulard islamique (ou hijab). Elle s’était alors vu notifier qu’elle ne pourrait pas rentrer dans la salle d’audience du tribunal si elle n’enlevait pas son foulard. Cette décision prise par la présidente de la chambre repose sur l’application du code judiciaire belge qui enjoint que « celui qui assiste aux audiences se tient à découvert » [3].
La requérante refusa d’obtempérer et, après épuisement des voies de recours nationales, l’affaire est portée à la connaissance de juges européens de la CEDH qui statuent en faveur de la requérante contre la décision de l’Etat belge.
La disposition législative belge, une disposition discriminatoire ?
Le code judiciaire belge semble assimiler le fait d’être couvert dans un tribunal à une marque d’irrespect, ce qui fut confirmé par la justice belge en 2007 [4]. Si cette disposition veut contraindre les individus à enlever leur casquette ou à retirer leur chapeau, elle semble cependant être appliquée subjectivement. Ainsi, le code judiciaire n’a jamais été invoqué pour inviter « une religieuse catholique, un juif portant la kippa ou un sikh muni de son turban » à se découvrir. En revanche, plusieurs magistrats belges ont déjà demandé à des justiciables d’enlever leur hijab ou de quitter la salle [5].
La requérante affirme que cette décision belge contrevient à la possibilité pour tout justiciable de fréquenter la salle d’audience en portant un vêtement traditionnel conforme à sa religion ou conviction philosophique tant que le comportement est respectueux des juges et ne perturbe pas l’audience. De plus, la requérante soutient qu’elle est une simple citoyenne et qu’elle n’est alors pas soumise à une obligation de discrétion dans l’expression publique [6] de ses convictions religieuses. Elle décide donc d’invoquer une violation de sa liberté religieuse protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme devant la Cour européenne à Strasbourg.
La Cour européenne en faveur de la requérante
La CEDH considère le port du hijab [7] comme « un acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction religieuse »[8]. Il s’agit alors bien de l’article 9 de la Convention. Il peut ainsi être considéré comme violé si une atteinte est faite à ce droit de manifestation d’une conviction religieuse.
Ainsi, la CEDH statue en faveur de la requérante en affirmant que son exclusion de la salle d’audience au motif qu’elle refusait d’ôter son foulard représente une restriction dans l’exercice de son droit à manifester sa religion [9]. De pareilles restrictions sont possibles selon le paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Toutefois, elles doivent être prévues par la loi, poursuivant un but légitime et être nécessaires à ce but dans une société démocratique.
En l’espèce, la Belgique n’a pas affirmé que la restriction du port du voile s’inscrivait dans le cadre de la sauvegarde des valeurs laïques et démocratiques liée au but légitime de la protection des droits et libertés d’autrui mais que cette injonction de se découvrir s’inscrivait dans une volonté de prévenir des comportements irrespectueux ou perturbateurs pour l’audience.
C’est alors la motivation des juges belges qui fait défaut, la CEDH estimant que le comportement de la requérante n’a pas été irrespectueux ou ne risquait pas de menacer le déroulement de l’audience ou le maintien de l’ordre. Les juges européens estiment alors que la nécessité de cette restriction de manifester sa religion n’était, en l’espèce, pas établie.
Un apport critiquable dans la jurisprudence européenne
Cet arrêt constitue un apport de plus dans la jurisprudence variée et contradictoire de la CEDH en matière religieuse. En effet, si le texte européen garantit avec l’article 9 une liberté de croyance, c’est grâce à ses décisions que la CEDH a pour ambition de garantir les libertés fondamentales, de développer une garantie religieuse ainsi que de développer un pluralisme en Europe.
Cet arrêt s’inscrit dans cette lignée se voulant inclusive et en faveur des communautés religieuses et de leur spécificités, bien que la motivation même de l’arrêt de la CEDH puise être critiquable. En effet, si la Cour pouvait prendre un parti protecteur et prônant une liberté de manifester sa religion par le port de vêtement traditionnel ou culturel, elle décide d’arguer en faveur d’un manque de proportionnalité entre le but et la restriction religieuse.
Ainsi cet arrêt reste marquant et pouvant faire jurisprudence en s’inscrivant dans la voie d’un pluralisme religieux et culturel supranational dont la CEDH a pour ambition d’être le vecteur.
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[1] CEDH, Lachiri c. Belgique, 18 septembre 2018, Requête n°3413/09,
[2] E. PICHON LENG, « La liberté religieuse, une notion encadrée en Europe par la CEDH », Observatoire Pharos, Mai 2019.
[3] Article 759 du code judiciaire « Celui qui assiste aux audiences se tient découvert, dans le respect et le silence ; tout ce que le juge ordonne pour le maintien de l’ordre est exécuté ponctuellement et à l’instant. »
[4] Voir le § 25 de l’arrêt CEDH, Lachiri c. Belgique, 18 septembre 2018, Requête n°3413/09.
[5] Pour des pourcentages liés à l’application de la disposition litigieuse, article 759 du code judiciaire, se référer au § 29 de l’arrêt CEDH, Lachiri c. Belgique, 18 septembre 2018, Requête n°3413/09.
[6] La CEDH ne remet pas en question le code judiciaire belge. Elle considère que le Palais de justice de Bruxelles est un lieu public et qu’il fait partie de l’espace public par opposition aux lieux privés tels que les espaces de travail par exemple. Cependant, la CEDH ne considère pas qu’il s’agisse d’un lieu public similaire à une voie ou à une place publique et qu’au sein d’un tribunal, le respect de la neutralité à l’égard des croyances peut primer sur le libre exercice de la manifestation de religion. Le code judiciaire belge reste donc cohérent selon la CEDH : § 45 de l’arrêt CEDH, Lachiri c. Belgique, 18 septembre 2018, Requête n°3413/09.
[7] Le hijab est considéré par la Cour européenne comme un couvre-chef et non comme un habit dissimulant entièrement le visage. Affaire Baby Loup ( S.A.S. c. France [GC] (no 43835/11, §§ 124-136, CEDH 2014).
[8] CEDH, Leyla Şahin c. Turquie [GC], requête n°44774/98, § 78, CEDH 2005-XI, et Dogru c. France, requête n°27058/05, § 47, 4 décembre 2008.
[9] CEDH, Lachiri c. Belgique, 18 septembre 2018, Requête n°3413/09, § 32.
Image : Kurdish Women in Hijab Headscarves – Dogubayazit – Turkey, Flickr, CC-BY-SA 2.0