Deux nouveaux groupes ethniques armés – le New Mon State Party (NMSP) et Lahu Democratic Union (LDU) – ont annoncé Mardi 23 janvier leur intention de signer l’accord de cessez le feu national (le Nationwide Ceasefire Agreement – NCA). Outre la fin officielle du conflit entre ces factions rebelles et l’Etat birman, cette ratification permettra avant tout aux deux nouveaux signataires de participer aux négociations de paix en cours depuis un an et demi dans le pays
Un pays en conflit depuis son indépendance
Dans ce pays de 52 millions d’habitants, la communauté Bamar représente deux tiers de la population et domine depuis des décennies la vie politique et économique. La majorité Bamar vit dans les 7 Régions qui composent le centre du pays. Les 17 autres millions d’habitants se composent d’ethnies minoritaires vivant dans 7 Etats situés sur le pourtour périphérique du pays. Ces groupes luttent depuis plus de 60 ans pour obtenir un partage du pouvoir politique plus équitable. Ces derniers réclament une plus grande autonomie politique dans le cadre d’un véritable système fédéral au sein duquel leurs particularismes identitaires seraient reconnus et protégés. La monopolisation du pouvoir politique par la communauté Bamar est aujourd’hui institutionnalisée dans la constitution fédérale de 2008. Rédigée par l’armée, cette constitution octroie la plupart des compétences législatives et fiscales au gouvernement fédéral, au détriment des gouvernements des Régions et des Etats.
Après des mois de négociations multipartites, l’ancien gouvernement du président Thein Sein a élaboré, en octobre 2015, un accord de cessez le feu national afin d’entamer des négociations de paix et mettre fin aux décennies de conflit armé dans le pays. Ce cessez le feu n’avait été jusque là ratifié que par 8 milices ethniques, sur la vingtaine actives que compte le pays.
Un succès significatif pour la majorité gouvernementale
Fort d’une majorité parlementaire absolue au sortir des élections générales de novembre 2015, le nouveau gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD) s’était alors fixé comme priorité de convaincre les groupes non-signataires de rejoindre la table des négociations de paix, et d’y trouver un accord sur des orientations de réformes structurelles en mesure de garantir une paix pérenne dans le pays. La dirigeante de facto, Aung San Su Kyi, avait alors nommé une délégation de collaborateurs chargée de négocier avec les milices non-signataires.
Il aura fallu deux ans de pourparlers au gouvernement actuel pour que de nouveaux groupes armés dissidents décident de raccrocher les armes et de participer au processus de paix. Aussi, ces deux nouvelles signatures constituent un succès significatif pour la majorité au pouvoir; majorité jusque là vivement critiquée par l’opposition et une partie de la société civile pour son incapacité à négocier et convaincre les groupes armés non-signataires. Le gouvernement actuel espère que cette décision du New Mon State Party et du Lahu Democratic Union encouragera d’autres milices à faire de même dans les prochains mois.
Un ticket d’entrée pour participer aux négociations de paix.
La signature de l’accord de cessez le feu va permettre à ces deux factions rebelles de prendre part aux négociations de paix en cours depuis un an et demi.
L’accord de cessez le feu ainsi que le cadre du dialogue politique (Framework for Political Dialogue) définissent l’infrastructure des négociations. Ces deux documents mettent en place différentes institutions dans lesquelles trois groupes d’acteurs sont représentés: le gouvernement et l’armée, les groupes rebelles ethniques signataires, et les partis politiques. Ces acteurs se réunissent tous les cinq mois environ lors de conférence de paix nationale (21st Century Panglong Union Peace Conference) au cours desquelles ils négocient des grands principes directeurs qui seront compilés dans un accord de paix final (le Union Accord). Parallèlement, des dialogues sont prévus dans chacun des 14 Etats et Régions du pays dans le but de garantir un processus inclusif. Une fois finalisé, cet accord de paix sera transmis au parlement national pour être ratifié. Le parlement sera ensuite chargé de traduire ces principes directeurs en des réformes institutionnelles concrètes.
Cette infrastructure sophistiquée n’a jusqu’ici pas permis aux différents acteurs de trouver un accord substantif sur des principes directeurs pouvant orienter une réforme de la structure étatique et du système politique du Myanmar. Lors de la dernière conférence de paix nationale en mai 2017 – la troisième depuis le début du processus de paix – les participants ont approuvés une liste de 37 principes. Toutefois, ces 37 points reprennent en majorité des engagements déjà conclus dans l’accord de cessez le feu tels que: la mise en place d’un système fédéral, d’un système de séparation des pouvoirs, la tenue d’élections démocratiques, ou encore l’établissement d’une cour constitutionnelle indépendante. Même si les différents acteurs semblent d’accord pour établir un système fédéral, aucun compromis n’a encore été trouvé quant à la répartition des compétences législatives entre les différents niveaux de pouvoir. De la même façon, les modalités de représentation et de participation des groupes ethniques au processus décisionnel au niveau fédéral n’ont pas encore été abordées. Autrement dit, ces 37 points sont encore trop vagues pour pouvoir constituer la base d’une réforme constitutionnelle majeure capable de pleinement satisfaire les demandes des groupes ethniques.
Seuls les groupes armés les moins influents ont signé l’accord de cessez le feu
Au delà du nombre de milices signataires, il est important d’analyser la force militaire de ces différents groupes. Comptabilisant prés de 15.800 combattants dans leurs rangs, les 10 signataires de l’accord de cessez le feu comptent parmi les groupes rebelles les moins puissants militairement. A l’inverse, les forces dissidentes non-signataires en comptent quatre fois plus avec pas moins de 65.100 combattants actifs. Ce déséquilibre tend à remettre en cause la crédibilité des négociations de paix en cours puisque les groupes armés les plus puissants n’en font pas partie. A long terme, cette disparité pourrait également affecter la pérennité du futur accord de paix ainsi que la mise en oeuvre des potentielles réformes à venir.
Les milices non-signataires se divisent en 2 groupes distincts. D’une part, les membres de l’UNFC qui sont en pourparlers avec le gouvernement et conditionnent leur signature du NCA à l’amendement de certaines clauses. D’autre part, les membres de l’Alliance du Nord qui rejettent le NCA de 2015 dans son intégralité, réclament la rédaction d’un nouvel accord de cessez le feu et la mise en place d’un nouveau processus de négociation de paix.
La dizaine de milices ethniques non-signataires critiquent vivement la structure des négociations de paix prévues par l’accord de cessez le feu. En effet, le NCA contient un mandat constitutionnel limité, puisqu’il n’autorise qu’un amendement de la constitution actuelle, et non pas la rédaction d’une nouvelle charte fondamentale comme réclamée par la majorité des non-signataires. De plus, les procédures de vote utilisées dans le cadre des négociations de paix confèrent un droit de véto à chaque partie aux négociations, y compris à l’armée birmane. Enfin, les groupes armés ethniques seront exclus de la dernière étape du processus de paix, puisque c’est le parlement qui sera chargé de traduire les principes directeurs issus des négociations en une série d’amendements constitutionnels. De plus, le système électoral birman – scrutin uninominal majoritaire à un tour – étant très défavorable aux parties ethniques, ceux-ci ne détiennent que 8% des sièges au parlement national. Les minorités ethniques ne seront donc que très peu représentées durant le processus de conversion des principes directeurs en des changements constitutionnels concrets.
Les groupes ethniques armés ont-ils un intérêt réel à rejoindre la table des négociations
Au cours des décennies de conflit avec l’Etat birman, ces groupes armés ont su asseoir leur souveraineté sur des territoires, des populations, et d’importantes ressources naturelles. Ces milices s’y sont ancrées durablement en y développant des structures administratives alternatives et en assurant des services publics pour les populations locales, parfois plus qualitatifs que ceux délivrés par l’Etat birman. Les dirigeants des milices les plus puissantes militairement ont ainsi consolidé au fil des années un pouvoir politique et économique important.
Prendre part aux négociations de paix avec le gouvernement et l’armée birmane entraînerait probablement une redéfinition des rapports de pouvoir qui serait défavorable aux milices armées les plus puissantes. Celles-ci devraient en effet passer par le jeu de la compétition électorale pour conserver une partie de leur pouvoir décisionnel. Aussi, pour certaines factions ethniques, leur intérêt semble moins résider dans une réforme structurelle du système politique birman que dans le maintien du statu quo.
Image : Soldiers in Myanmar, By 3dman_eu, Pixabay, CC0 Creative Commons