Bosnie-Herzégovine : vers l’adhésion à l’Union européenne ?
Le 21 mars, les dirigeants des pays membres de l’Union européenne ont donné leur feu vert à l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovine [1]. Pourtant, celle-ci semble encore difficile à atteindre dans un pays qui depuis bientôt trente ans, peine à pleinement tourner la page de la guerre.
Un Etat né de la guerre en Europe
La Bosnie-Herzégovine dans sa forme actuelle est encore un pays relativement jeune, puisqu’elle a formellement vu le jour lors de la signature des accords de paix de Dayton en 1995 qui mettaient un terme à la guerre ayant fait rage pendant 3 ans dans la région. Avant la guerre, la Bosnie-Herzégovine faisait partie intégrante de la République fédérale de Yougoslavie. Cette dernière comprenait six républiques fédérées : Croatie, Serbie, Slovénie, Monténégro, Macédoine et Bosnie-Herzégovine. Cependant, en 1991, à la suite des déclarations d’indépendance de la Slovénie puis de la Croatie, la Yougoslavie implose. La Bosnie-Herzégovine proclame à son tour son indépendance en 1992. Cette déclaration déclenche une violente guerre entre les différentes ethnies qui vivent sur le territoire de l’ancienne république yougoslave.
En effet, la Bosnie apparait comme une Yougoslavie miniature. Elle regroupe trois ethnies yougoslaves sans que ne se démarque une véritable majorité entre Bosniaques/Musulmans[2], Serbes et Croates. Si le gouvernement bosniaque a bien déclaré l’indépendance sur la base d’un référendum, celui-ci a été largement boycotté par les populations serbes (et croates). Les Serbes de Bosnie et dans une moindre mesure les Croates de Bosnie, souhaitent alors être rattachés à leur Etat national respectif, ou à se constituer en entités indépendantes. Ils craignent d’être englobés dans un Etat bosniaque et d’être ainsi considérés comme des minorités au sein de celui-ci. Ces tensions sont à l’origine d’un conflit particulièrement violent. Il est notamment caractérisé par des exactions qualifiées de nettoyages ethniques, menées par les groupes paramilitaires. Leur but serait de « nettoyer » les territoires conquis afin de revendiquer un territoire ethniquement homogène.
Un système politique paralysé
L’organisation étatique née de Dayton
Après 3 ans de négociations internationales, les accords de Paris faisant suite aux négociations sur la base de Dayton donnent naissance à la Bosnie-Herzégovine, Etat fédéral composé de deux entités : la République Serbe de Bosnie, au nord et à l’est du pays et la Fédération croato-bosniaque sur le reste du territoire, divisée en dix cantons (cinq à majorité bosniaque, trois à majorité croate et deux mixtes). En 1999, est également créé le district de Brčko. Ce dernier fonctionne sous un système décentralisé de gouvernement local en raison de sa position stratégique entre les deux entités.
Le compromis de Dayton permet de mettre un terme aux combats tout en maintenant un semblant d’unité nationale. La Constitution du pays, rédigée dans les annexes des accords de Paris, prévoit une organisation gouvernementale spécifique. Elle repose sur un système politique tripartite entre les trois peuples dit « constitutifs »[3] ainsi que la présence d’un Haut représentant international, plus haute autorité politique du pays, nommé par le Conseil pour la mise en œuvre des accords de paix.
Les failles d’un Etat fragmenté
Cette organisation avait vocation à geler les conflits et à permettre aux populations de construire ensemble un Etat multiculturel où aucun des peuples ne serait lésé. Cependant presque trente ans après, ce système administratif particulièrement lourd est toujours en place. Les tensions ethniques n’ont pas disparu et sont au contraire nourries par les partis politiques nationalistes. En effet, ceux-ci dominent le paysage politique et ont tout intérêt à maintenir les divisions pour demeurer au pouvoir. Le pays est donc particulièrement fragmenté et plongé dans un immobilisme politique empêchant toute tentative de réformes de se concrétiser. La situation semble même s’empirer dans la mesure où les cantons de la fédération deviennent progressivement plus homogènes, les populations préférant vivre dans des cantons où elles sont majoritaires.
Cette véritable ségrégation ethno-spatiale est d’ailleurs reproduite par le système scolaire qui permet la perpétuation d’écoles mono-ethniques et de programmes scolaires, notamment d’histoire, en contradictions les uns avec les autres [4]. Cette situation sclérosée se répercute sur la société bosniaque en général. Celle-ci est notamment profondément marquée par le chômage (15,7 % de la population active en 2022) ce qui provoque le départ massif de la jeunesse.
Couteau B. 2022. «La Bosnie-Herzégovine sous tension», Infographie, Paris: Institut Jacques Delors, 19 avril.
L’aspiration à une adhésion à l’UE
Une perspective porteuse d’espoir
L’adhésion à l’UE, portée par la majorité de la classe politique bosnienne, apparait comme porteuse d’espoir pour le pays. Ce dernier pourrait alors bénéficier de l’ouverture de son économie au marché européen. Dans cette perspective, la Bosnie-Herzégovine a déposé sa candidature à l’adhésion depuis 2016. La rhétorique de division ethnique et les profondes divergences au sein du pays demeurent un frein démocratique conséquent, de même que le fort taux de corruption estimé. Cependant, le retour de la guerre en Europe depuis février 2022 semble avoir réveillé l’intérêt de l’UE pour les pays des Balkans. En effet, ceux-ci constituent une véritable menace de récupération par la Russie notamment en raison des soutiens apportés à celle-ci par la Serbie ainsi que par la République Serbe de Bosnie.
Ainsi, le 15 décembre 2022, le Conseil européen a officiellement accordé le statut de candidat à l’intégration à la Bosnie-Herzégovine. La Commission européenne a alors énoncé 14 réformes prioritaires conditionnant l’ouverture des négociations d’adhésion. Celles-ci ont notamment vocation à améliorer le fonctionnement des institutions pour renforcer l’Etat de droit et les droits fondamentaux. Elles permettraient également de lutter contre la criminalité organisée ainsi que la corruption. Le 21 mars dernier, Charles Michel a déclaré que le Conseil européen, qu’il préside, venait de décider « d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovine ». Il n’a pour autant pas précisé la date d’adoption du cadre de négociations.
Des négociations ralenties par des obstacles persistants
Si le processus vers l’adhésion semble se mettre en marche, le chemin est encore semé d’embûches. En effet, outre les objectifs susmentionnés, l’Etat bosniaque doit aussi faire face aux menaces sécessionnistes répétées de la Republika Srpska. Elles sont proférées par son actuel président Milorad Dodik avec le soutien de ses alliés serbes, russes, hongrois et chinois. Fin mars 2024, il menaçait de paralyser les instituions centrales du pays en réaction aux réformes électorales menées par l’actuel Haut représentant international, Christian Schmidt. Ce dernier a mis en place une nouvelle série de règles qui visent à garantir des élections libres et à empêcher le trucage des votes. Ces réformes font d’ailleurs partie des résolutions prioritaires pour l’adhésion à l’Union européenne. Parmi celles-ci, on note notamment le déploiement du décompte électronique des voix ou la non-éligibilité des criminels de guerre condamnés.
Dans un climat de crispations en Bosnie-Herzégovine, l’adhésion à l’UE demeure difficilement atteignable. Et ce, malgré les efforts menés par les institutions bosniennes pour se plier aux objectifs exigés par l’Union. Le 12 mars, Ursula von der Leyen félicitait d’ailleurs le pays pour ses « progrès impressionnants »[5]. Visiblement, ils sont pour l’heure insuffisants.
Notes
[1] https://www.euractiv.fr/section/elargissement/news/adhesion-a-lue-paris-attend-de-la-bosnie-quelle-respecte-ses-objectifs/
[2] Le terme de « Musulmans » est consacré par constitution yougoslave de 1971. Il permet alors de désigner les slaves musulmans en tant que nation à part entière. Aujourd’hui, la majorité de ces Slaves musulmans se déclarent de nationalité bosniaque (non reconnue par la constitution yougoslave).
[3] Serbes, Croates et Bosniaques/Musulmans.
[4] https://www.observatoirepharos.com/pays/bosnie-herzegovine/bosnie-herzegovine-la-persistance-dun-systeme-educatif-discriminatoire/
[5] https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/la-bosnie-herzegovine-franchit-une-nouvelle-etape-vers-l-adhesion-a-l-union-europeenne/
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