Célébrations, rues bondées jusqu’au bout de la nuit, cohortes de fidèles se regroupant au bastion jaune ; tel est le paysage de Sarajevo en période de ramadan. Du moins en temps normal. Cette année, comme sur l’ensemble de la planète, le ramadan ne revêt pas son visage habituel. Le traditionnel canonnier, figure emblématique du ramadan à Sarajevo, était bien seul pour annoncer le début du mois sacré. Dans une ville à majorité musulmane, il demeure l’unique symbole familier d’un ramadan bien particulier. Face à l’épidémie de Covid-19, le pays et sa capitale sont au ralenti. Les interdictions de rassemblement contraignent les fidèles et la communauté bosniaque à s’adapter.
Le canonnier : symbole du ramadan et tradition à Sarajevo
Dans une Bosnie-Herzégovine divisée depuis la guerre de 1992 à 1995, la religion est l’élément fondateur des différentes communautés du pays : serbe, croate et bosniaque. C’est la foi en l’Islam qui au cœur de la constitution de l’identité bosniaque. Introduite à partir de 1463 lors de la conquête ottomane du pays, la religion musulmane est partagée par 50,7% de la population du pays.
La période communiste qu’a connu le pays de 1945 à 1991 n’était que peu propice aux pratiques religieuses. Dans ce contexte, le ramadan est resté un des symboles de la pratique musulmane et de la préservation/construction de l’identité bosniaque. Héritées de la période ottomane, un certain nombre de traditions associées à cette période sacrée de l’Islam ont perduré, non sans embuches. A Sarajevo, où 84,8% des habitants déclarent adhérer à l’Islam, le canonnier reste un de ces symboles traditionnels.
Chaque soir, le canonnier de la ville est en charge d’un spectacle jovial. Surplombant le quartier ottoman de la ville depuis la colline du bastion jaune (Zuta Tabija), il annonce l’heure de la rupture du jeûne (Iftar) par un coup de canon qui résonne dans l’ensemble de la ville. Tandis que le soleil disparait à l’horizon, le signal du canonnier se fait suivre de la mélodie des muezzins appelant à la prière. Entourés de dizaines de fidèles venus partager leur repas, Smajo, canonnier de la ville depuis 1997, ouvre les festivités de la soirée à venir.
Cette tradition, caractéristique de Sarajevo depuis la fin de la période ottomane au XIXème siècle, n’a pas toujours perduré. Interdite sous le régime de la Yougoslavie communiste à partir de 1945, inconcevable dans un Sarajevo assiégé de 1992 à 1995, ce n’est qu’en 1997 qu’elle fut réinstaurée.
De nouveau, en 2020, la pratique se trouve ébranlée. La tradition ne profite aux fidèles qu’à distance. Vendredi 24 avril, Smajo annonçait le début du ramadan, bien seul au sommet du bastion jaune. Face à la pandémie de Covid-19, la distanciation est de mise en Bosnie-Herzégovine. Après les festivités des Pâques chrétiennes et orthodoxes, c’est le ramadan, qui est forcé de s’adapter.
Strict respect des mesures gouvernementales
Avec l’augmentation des cas d’infection au Covid-19, les autorités du pays ont pris de nombreuses mesures pour freiner le développement du virus. L’interdiction de tout rassemblement s’ajoute à un couvre-feu à 17h pour l’ensemble des habitants. De fait, les pratiques qui animent habituellement ce mois saint sont prohibées. Rupture du jeûne en groupe, prières dans les mosquées, réunions familiales ne seront pas de mise cette année.
Le reis de la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine, Husein af. Kavazović, a relayé l’ensemble de ces mesures aux fidèles. En accord avec les institutions bosniennes, il a déclaré : « seule la science permet de lutter efficacement contre ce virus ».
Une nouvelle chaine de télévision comme solution ?
Défenseur du multiculturalisme, des institutions démocratiques de Bosnie-Herzégovine et, malgré quelques incidents, éloigné du nationalisme ambiant, le reis Husein af. Kavazović est respecté pour son ouverture et réformisme.
Pourtant, en cette période de crise sanitaire, une décision politique interroge. En guise de soutien et de lien spirituel durant ce ramadan si particulier, la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine a obtenu le lancement d’une nouvelle chaine de télévision, Bir TV, et un droit de diffusion pour une durée de dix ans. Réclamée depuis plusieurs années, la chaine de télévision est née dans l’urgence due à la pandémie de Covid-19. Si elle offre un avantage notable à la communauté bosniaque au détriment des autres, le Courrier des Balkans note que « pour certains, le lancement de cette chaîne n’est qu’une nouvelle étape dans le processus d’islamisation de la communauté bosniaque, initiée par les nationalistes du SDA au pouvoir depuis l’indépendance ». Aucune réaction politique ne s’est fait entendre à ce jour.
Entre maintien des traditions et distanciation sociale, le début du ramadan revêt un caractère inédit en cette année 2020. L’air de fête caractérisant Sarajevo est victime de la pandémie de Cov-19. Tout comme les autorités, la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine a appelé au respect de la distanciation sociale. Pour pallier l’absence de lien social et spirituel, le lancement de la chaîne BirTV pose néanmoins des questions. La crise sanitaire ne doit pas éroder le fonctionnement démocratique du pays, déjà fragile.
Image: Ramadan fast breaking at Žuta tabija, Sarajevo (mai 2018), Julian Nyča, CC-BY-SA-3.0