Au Brésil, de multiples religions se côtoient. Si la très grande majorité de la population est chrétienne (dont 65 % catholiques, 22 % évangéliques), il existe également de nombreuses religions minoritaires. Parmi elles, les cultes afro-brésiliens, notamment l’umbanda et le candomblé. À elles deux, ces religions représentent 0,3 % de la population totale. Or, depuis une décennie, l’intolérance à l’encontre de ces religions minoritaires a connu une forte hausse.
Depuis 1891, la Constitution brésilienne garantit la liberté de culte et consacre le principe de séparation des Églises et de l’État. Avant 1891, l’expression de pratiques culturelles ou cultuelles afro-brésiliennes était interdite et réprimée. En 2007, le Président Lula da Silva a institué une Journée nationale de lutte contre l’intolérance religieuse. Le pays la célèbre chaque 21 janvier.
Des chiffres en hausse
Le ministère chargé des questions liées aux femmes, à la famille et aux Droits de l’Homme compile des statistiques relatives à l’intolérance religieuse au niveau national.
Le dernier rapport couvre la période 2011-2015. Les chiffres concernaient les appels passés auprès du « numéro vert pour les droits de l’Homme ». Le nombre de plaintes étant très bas, il est difficile de savoir jusqu’à quel point les chiffres sont représentatifs. Tous les observateurs s’accordent cependant sur la hausse globale de l’intolérance religieuse dans le pays. Le nombre de cas enregistrés est passé de 109 cas en 2012 à 252 en 2015. La répartition des victimes d’intolérance religieuse était la suivante :
- 27 % de pratiquants des cultes afro-brésiliens,
- 16% évangéliques,
- 8 % catholiques,
- 7 % spirites.
Ici encore, difficile de dire si les chiffres sont représentatifs (étant donné le pourcentage de « non précisée »), cependant les données concernant la religion de l’agresseur étaient les suivantes :
- 73 % non précisée,
- 17 % évangéliques,
- 3 % catholiques,
- témoins de Jéhovah, spirites et religions afro-brésiliennes (1 % chacun).
Le rapport note également la proportion des différentes populations représentées dans les médias, dans les reportages ou articles sur le sujet :
- Victimes : 53 % cultes afro-brésiliens, 9 % catholiques, 8 % évangéliques, 4 % musulmans (2 % spirites, 9 % non précisé, 15 % autre).
- Agresseurs : 65 % non précisé, 27 % évangéliques, 5 % catholiques, 1 % athées (2 % autres).
En 2016, environ 23 % des agressions ont visé le candomblé, l’umbanda ou d’autres religions d’origine africaine. En 2018, le nombre global de plaintes aurait diminué. Cependant, la même année, le nombre de plaintes pour discrimination à l’encontre de pratiquants de cultes afro-brésiliens a doublé. Il atteignait 200 plaintes en novembre 2018.
Des agressions de tous types
De plus en plus, les attaques prennent la forme de dégradations ou destructions de lieux de cultes. En quelques années, elles sont passées de 15 % à 30 % des violences à caractère religieux recensées.
Les discriminations et violences prennent toutes les formes possibles : attaques verbales ou physiques, discriminations à l’embauche, harcèlement, jets de pierre, dégradations d’habitations, interruptions de cérémonies, incendies voire dépôt d’explosifs dans les temples. On dénombre également huit assassinats, commis par des personnes connaissant leurs victimes. Parmi les victimes, quatre pratiquaient le candomblé, quatre étaient des évangéliques membres d’une même famille.
L’État de Rio particulièrement touché
L’État de Rio de Janeiro semble particulièrement touché, avec plus de 90 cas en 2015 (sur 252 – rapport du ministère). Un Rapport sur l’intolérance religieuse au Brésil du Centre d’étude des populations marginalisées (Centro de Articulação de Populações Marginalizadas, CEAP) le confirme. Daté de 2016, celui-ci s’appuie sur des données de 2012 et 2015. Dans cet État, plus de 70 % des agressions recensées visaient des pratiquants de cultes afro-brésiliens. Pourtant, depuis 2016, l’umbanda figure sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’État de Rio, au même titre que la samba.
Le journal d’information en ligne Eu Rio signale quant à lui que, de janvier à avril 2019, le nombre d’actes d’intolérance religieuse dans l’État de Rio a augmenté de 56 % comparé à la même période en 2018. Les trafiquants de drogue seraient également particulièrement hostiles à ces cultes. Les favelas sont donc fortement touchées par ces agressions.
Pour certains observateurs, la situation a empiré depuis l’arrivée au pouvoir à Rio de Marcelo Crivella, en 2017. Cet évêque néopentecôtiste de l’Église universelle du Règne de Dieu avait très clairement exprimé son intention de favoriser les Églises évangéliques et leurs fidèles dans son État. Il a été soupçonné d’avoir pris des mesures en ce sens (en matière de fiscalité et d’accès aux soins) en 2018. Les faits avaient déclenché une tentative de destitution à son égard, qui n’a pas abouti.
Une prise de conscience progressive
La prise en charge des plaintes pose également problème. La police considère souvent qu’il s’agit de conflits de voisinage, sans prendre acte du motif religieux des violences. En conséquence, elle intervient également peu pour mettre un terme aux agressions.
Certains observateurs pointent également du doigt l’enseignement religieux dans le pays. Certaines Églises, notamment néopentecôtistes, enseignent la religion suivant un modèle globalement binaire : le bien d’un côté, l’idolâtrie et le mal de l’autre. Ce type d’enseignement ne favorise pas l’acceptation d’autres convictions et le dialogue. Il n’explique cependant pas à lui tout seul le passage à des actes criminels.
Dans l’État de Rio, quelques députés ont mis sur pied une enceinte de dialogue, le « Forum de dialogue sur la politique dans les favelas » (Fórum Permanente de Diálogo sobre Política Urbana nas Favelas do Estado). Ce forum remporte l’adhésion de nombreux habitants. Il permet de parler des problèmes des favelas dans leur ensemble. On y aborde entre autres les questions du trafic de drogue et de l’intolérance religieuse.
Dans l’État du Paraná, en 2018, 80 leader religieux, éducateurs, membres du gouvernement et représentants de la société civile se sont engagés à promouvoir des actions de dialogue et d’intercompréhension, afin de lutter contre l’intolérance religieuse.
Tensions généralisées depuis les dernières élections
Les tensions se sont particulièrement accentuées depuis la dernière campagne présidentielle, qui a amené Jair Bolsonaro au pouvoir. Lui-même, anciennement catholique, est devenu évangélique. L’Église universelle du Règne de Dieu l’avait soutenu financièrement et médiatiquement pendant sa campagne. Des violences de tous types avaient émaillé la campagne électorale.
Les discriminations et préjugés touchent également d’autres convictions minoritaires. Athées et agnostiques sont accusés d’être hérétiques. Les Adventistes du septième jour sont visés car ils pratiquent le repos le samedi (au lieu du dimanche). La marginalisation touche également les témoins de Jéhovah, les juifs et les musulmans.
Image : temple Umbanda à Rio de Janeiro, auteur : Tânia Rêgo/Agência Brasil, CC-BY-2.0