La diversité d’opinions parmi les minorités au Brésil
Au Brésil, les dernières élections municipales ont mobilisé les minorités. Qu’il s’agisse des candidats noirs, indígenas, LGBT ou des femmes, ils ont bénéficié d’un fort soutien et un nombre sans précédent a été élu. Les nouveaux élus entrent en fonction en janvier 2021. Dans ce contexte, deux observateurs du média de gauche militante Mídia Ninja ont commenté la diversité d’opinions au sein de différents groupes sociaux.
Les évangéliques : au-delà du cliché
Le monde évangélique est divers
Fabio Py, théologien évangélique, s’est penché sur les évangéliques de gauche. Au Brésil, les évangéliques constituent environ 31 % de la population. Ils sont traditionnellement associés à quelques figures très médiatiques et puissantes. Par exemple, l’Église universelle du Règne de Dieu ou l’Assemblée de Dieu Victoire du Christ, puissantes en politique. Nombreux sont ceux qui perçoivent les fidèles évangéliques comme une masse inculte d’individus manipulés par leurs pasteurs. Fabio Py rappelle alors que les quelques courants très influents politiquement ne sont pas majoritaires. D’autres courants moins actifs en politique rassemblent plus de fidèles. C’est notamment le cas de l’Assemblée de Dieu et des baptistes. Parmi eux, la diversité d’opinions est réelle.
Le théologien réfute donc l’idée que 31 % de la population serait incapable d’esprit critique et d’autonomie de pensée. D’après lui, cette vision est teintée de racisme et d’élitisme, car les évangéliques appartiennent en majorité aux classes populaires et sont souvent noirs. Ce préjugé proviendrait également d’une élite citadine. Celle-ci aurait tendance à croire que toute personne croyante a renoncé à exercer sa raison, à fortiori un croyant pauvre issu des périphéries. Autre préjugé lié au premier : puisque les pasteurs sont des conservateurs de droite, les fidèles obéiraient et seraient des conservateurs de droite. Pour Fabio Py, ces préjugés ont incité tant les élites citadines que les partis de gauche à mépriser les évangéliques, qualifiés de conservateurs aux idées préconçues. Ce faisant, ils ont rompu le dialogue avec les populations pauvres des périphéries.
Tous les évangéliques ne sont pas de droite
Pour illustrer la diversité d’opinions chez cette population, le théologien a donc choisi de présenter les parcours de quatre candidats évangéliques issus des périphéries. Ils se sont présentés aux élections à São Paulo et à Rio de Janeiro dans deux partis de gauche. Ces « évangéliques progressistes », selon les mots de l’auteur, puisent dans les principes associés à leur foi pour dénoncer les problèmes sociaux et pour y répondre. Ils pointent aussi du doigt les pasteurs « hypocrites ».
- Keitchelle Lima milite pour les droits des femmes noires ainsi que pour l’accès des étudiants noirs à l’université (grâce au projet Educafro, porté par les Franciscains). Elle ne cache pas sa foi et entend « dialoguer avec tous les chrétiens », notamment avec les évangéliques avec lesquels la gauche ne dialogue plus. Pour autant, elle tient à un État laïc.
- Vinicius Lima, baptiste, tient lui aussi à la séparation entre les cultes et l’État. Il milite pour un projet de ville durable, qui respecte la dignité de l’être humain et l’environnement. Il s’intéresse particulièrement aux situations d’exclusion et de grande précarité, ainsi qu’aux sans-abris, dont il veut défendre la pleine citoyenneté.
- Iza Vicente de Macaé, baptiste également, milite pour l’environnement et contre le racisme. Pour elle, la séparation des cultes et de l’État est évidente pour tout protestant qui connaît l’histoire de la Réforme. Les évangéliques doivent donc être instruits pour pouvoir agir en politique de manière constructive et pour défendre les droits sociaux de tous.
- Enfin, Wesley Teixeira appartient à un courant relié à l’Église de l’Assemblée de Dieu. La laïcité de l’État est pour lui la garantie de la liberté religieuse. Il a un passé actif de militant, notamment pour le droit à l’éducation et l’accès au livre. Il souhaite défendre les populations noires et les travailleurs des périphéries.
Pour finir, l’auteur rappelle les multiples pasteurs évangéliques qui, au cours de l’histoire du Brésil, ont défendu les droits des agriculteurs, des populations rurales, des paysans sans terre. Ou encore ceux qui ont lutté contre le racisme ou contre les violences faites aux femmes.
Des idées politiques incohérentes ?
Un article de Carla Luã Eloi posait quant à lui la question suivante : « LGBTI+ de droite : a-t-on besoin de représentants qui n’ont pas de sens critique ? ».
À l’issue des élections municipales de novembre 2020, un nombre sans précédent de candidats issus des minorités a été élu. Parmi les 456 candidats LGBT, 70 ont été élus. L’observatrice s’en félicite tout en relativisant l’événement, du fait de la diversité d’opinions chez les élus. Le fait d’être une personne LGBT ne signifie pas automatiquement que les élus chercheront à représenter cette communauté. Pire, certains de ces élus ne sont qu’un maquillage de diversité pour des partis poursuivant une « idéologie de droite ». Des « conservateurs, néolibéraux, voire fascistes ». Elle cite notamment les exemples d’un élu noir qui s’oppose aux quotas, d’une femme qui s’oppose à l’avortement même pour une enfant violée, ou encore d’une femme lesbienne en lutte contre l’idéologie de genre. Ainsi, pour Carla Luã Eloi, ces élus ne sont pas représentatifs des communautés auxquelles ils appartiennent.
D’après l’auteure, être issu d’une minorité et se positionner à droite en politique est incohérent. Cela revient à « pactiser […] avec ceux qui oppriment son groupe social ou d’autres groupes ». Carla Luã Eloi estime que, pour être représentatif, un élu LGBT se doit donc d’être militant et d’embrasser l’intersectionnalité. Les militants doivent également soutenir activement les élus « de gauche et/ou progressistes » et s’opposer aux élus de droite, même LGBT.
Dans le même temps, l’auteure déplore le fait que les communautés représentées par quelques élus soient tenues pour responsables de leurs actions politiques. Ainsi, au lieu de tenir ces élus personnellement comptables de leurs actes, leurs opposants accusent toute la communauté. Comme si elle formait une masse uniforme totalement homogène.
Image : Élections municipales 2020, Brésil (auteur : Sénat fédéral, Brasilia) CC-BY-2.0