Les médias brésiliens seraient-ils un bastion du machisme et du racisme ? Le président de l’Agence brésilienne de communication (EBC) fait l’objet d’une enquête. Il est accusé d’avoir nuit à l’image du service public en relayant des posts racistes.
Plus tôt en novembre, le pivot du journal télévisé de la principale chaîne brésilienne (Rede Globo), William Waack, a été démis de ses fonctions. Il avait en effet été enregistré hors-antenne proférant une remarque raciste. Parmi ces défenseurs, on trouvait notamment le président de l’EBC.
Ce scandale est une n-ième affaire de racisme dans le milieu des médias et de l’audiovisuel au Brésil. Ce qui fait dire au cinéaste brésilien Joel Zito Araújo que ce milieu est le plus raciste du pays. Celui-ci se manifeste parfois directement par les points de vue exprimés. Il est aussi indirect, par omission des problématiques qui touchent les populations noires. Ce milieu professionnel est en effet très majoritairement blanc et masculin. La population brésilienne, en revanche, est à 53 % noire ou « mixte », d’après les chiffres de l’institut brésilien des statistiques (IBGE).
Le Jour de la conscience noire
Au Brésil, le 20 novembre est le Jour de la conscience noire. Il s’agit d’un jour férié dans plusieurs États et grandes villes du pays, par exemple au Mato Grosso et à Rio de Janeiro. Cette date coïncide avec l’assassinat de Zumbi dos Palmares, le dernier chef (et le plus connu) de la plus grande communauté d’esclaves noirs ayant fuit leurs exploitations au 17e siècle. Depuis 2003, le Jour de la conscience noire permet une réflexion sur l’Histoire du Brésil et sur le rapport du pays avec sa communauté noire.
Témoignage personnel contre posts sarcastiques
Il y a quelques mois, l’actrice brésilienne noire Taís Araújo expliquait dans une conférence TED que son fils, malgré son jeune âge, est déjà victime de racisme à cause de sa couleur de peau. Celui-ci se manifeste lorsque des passants changent de trottoir ou que des automobilistes verrouillent leur véhicule à son approche.
Cette conférence a été à rediffusée en ligne peu avant la journée du 20 novembre. Les propos de Taís Araújo n’ont pas fait l’unanimité, même chez certains acteurs politiques non soupçonnés de racisme. De nombreux internautes, cependant, ont quant à eux publié des posts sarcastiques aux relents racistes ou machistes à l’encontre de l’actrice et de son fils. Parmi les personnes ayant relayé ces « blagues », le président de l’Agence brésilienne de communication, Laerte Rimoli. L’EBC est un conglomérat de médias publics.
Des temps de réaction variables d’un média à un autre
Plusieurs associations de journalistes ont immédiatement réagi pour dénoncer l’attitude de M. Rimoli. De même pour le média de gauche Brasil de Fato, qui se positionne régulièrement contre le racisme.
Le grand journal brésilien Folha de São Paulo, plutôt à droite, a en revanche attendu une semaine (27/11) et l’ouverture d’une enquête avant de traiter le cas. Ce « retard », ainsi que les termes employés dans l’article (jugé trop complaisant) ont été critiqués par plusieurs médias de gauche.
Un président considéré comme un pion d’un État non légitime
Laerte Rimoli était déjà mal-aimé au sein de l’Agence brésilienne de communication. Sa nomination est en effet intervenue immédiatement après l’arrivée au pouvoir de Michel Temer. Contre l’avis du Tribunal Suprême Fédéral (plus haute instance du Brésil), le président de l’EBC a été remercié et remplacé par M. Rimoli. Lui-même est proche des cercles du Président Temer. L’arrivée de M. Temer au pouvoir a été perçue comme un « coup d’État » par de nombreux citoyens brésiliens, par le milieu syndical et par plusieurs médias. Laerte Rimoli est donc considéré comme un pion de ce coup d’État.
Des sanctions demandées contre Laerte Rimoli
La Commission des journalistes pour l’égalité raciale (Cojira) du Syndicat des journalistes de São Paulo a réagi. Pour elle, Laerte Rimoli est condamnable. Elle estime en effet que jouer avec un sujet grave et accuser les Noirs d’être responsables de leur discrimination est inacceptable au vu du poste occupé. De plus, il s’agit d’une rupture du code d’éthique de l’Agence brésilienne de communication.
La Fédération nationale des journalistes (Fenaj) a émis un communiqué le 23 novembre pour demander la révocation du mandat de M. Rimoli. La demande a été transmise au gouvernement fédéral.
Quant au Forum national pour la démocratisation de la communication (FNDC), il a jugé les faits graves. Une plainte pourrait être déposée auprès du parquet fédéral pour racisme. En outre, le FNDC a déposé une plainte auprès du Comité d’éthique de la Présidence de la République, dont relève M. Rimoli. Une enquête a été ouverte le 27 novembre pour non respect de la dignité de la fonction du service public. Le président du Comité a estimé que les posts se voulaient « ironiques » mais avaient « provoqué un fort émoi ». Le Comité évaluera donc les agissements du président de l’EBC, qui a dix jours pour répondre aux demandes de clarification. S’il a causé un tort à l’image du service public, il risque une sanction allant de l’avertissement à la démission.
Image : Laerte Rimoli, président de l’EBC (le 24/11/2016), par Lula Marques/Agência PT, Flickr, CC BY 2.0.