L’évangélisation de la citoyenneté au Burundi
Le 6 mars 2022, la commune de Ntahangwa a hébergé les festivités de la célébration dominicale. À cette occasion, les fidèles de l’église évangélique des Amis (E.E.A) ainsi que des personnalités politiques se sont réunis. Lors d’une prédication, le Premier ministre a exhorté les croyants évangéliques à rompre avec les « comportements immoraux ». Cette allocution s’inscrit dans une série de prises de parole gouvernementales d’évangélisation. Elles appellent les citoyens burundais à se convertir au christianisme ainsi qu’à respecter les commandements divins. L’effacement du caractère laïc du discours politique survient alors que le président de la République entend renforcer le patriotisme national par l’instauration d’une morale religieuse.
Une sacralisation progressive du discours politique
« Le couple présidentiel et son association fusionnelle avec l’Église du Rocher propagent un discours politico-religieux où sont associés évangélisme charismatique et références aux traditions religieuses du Burundi, celles d’Imana et des Mwami », déclarait le directeur de l’Institut français de Recherche sur l’Afrique (IFRA) Christian Thibon. Cette affirmation, concernant le président défunt Pierre Nkurunziza à la veille du référendum constitutionnel de 2018, entre en résonance avec une série d’allocutions évangéliques gouvernementales récentes.
Effectivement, le dimanche 6 mars, s’appuyant sur la parole de Dieu tirée de l’évangile de Marc 8:34-38, le Premier ministre Alain Guillaume Bunyoni a appelé les fidèles de l’église évangélique des amis de Kamenge à se convertir, à « prier pour leurs leaders et à couper court avec les mauvais comportements ».
Le 18 avril 2022, lors de la célébration de Pâques à l’église du Rocher à Buyenzi, Gélase Daniel Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale, a demandé aux chrétiens de « reconnaître l’œuvre de Jésus-Christ sur la croix ». Il les a incités à établir une relation forte avec Dieu, afin « d’éviter les péchés et d’apprendre à pardonner ».
Constitutionnellement, le Burundi est un État laïc garantissant la liberté de conscience et la liberté religieuse. Ces déclarations interrogent le caractère laïc du discours politique burundais. Statutairement, le Burundi est une république, soit au sens latin une « chose publique ». L’évangélisation du discours politique tend ainsi à faire de la religion un objet public et gouvernemental.
Le prosélytisme politique semble prendre la forme d’appels moraux à la paix. Des appels à la justice au développement et à la stabilité politique sont également transmis.
La moralisation de la civilité : une redéfinition de la justice
Plusieurs déclarations récentes de personnalités politiques attestent de la récurrence des références évangéliques pour condamner moralement des actes civiques. En effet, le 30 janvier, le Premier ministre burundais à Gihosha a participé à la prière dominicale. À cette occasion, il a invité les chrétiens de l’église Emmanuel Kigobe en zone urbaine de Gihosha à « prier dans la vérité pour recevoir la bénédiction divine et rompre avec l’hypocrisie ». Il a par la suite encouragé les leaders politiques et les représentants de l’église à « éviter les mauvaises pratiques comme l’adultère et la corruption qui détruisent leur famille ainsi que le pays ».
De plus, la sacralisation du pouvoir politique s’accompagne d’une moralisation de la civilité. En redéfinissant la citoyenneté par le discours religieux, le pouvoir burundais condamne l’incivilité. Il instille une vision de la justice construite autour de la morale religieuse.
Ainsi, comme l’indique la Radio Télévision Burundi, Alain Guillaume Bunyoni s’est appuyé sur l’évangile au cours de ses prédications pour demander aux fidèles de rompre avec les « mauvais comportements ».
Lors de la fête pascale venant clôturer l’épiphanie, le chef de l’État Évariste Ndayishimiye a souhaité une « bonne fête pascale aux chrétiens de cette paroisse et à tous les Burundais». Il leur a recommandé de « changer de mentalité et de promouvoir la justice ».
L’instrumentalisation de la morale religieuse et du développement comme vecteur de renforcement du nationalisme
Le président de la République Evariste Ndayishimiye s’est livré le jeudi 12 mai à une « séance de moralisation » . Celle-ci intervient après une rencontre avec les leaders politiques, administratifs et religieux en Province de Rutana. Il a invité la population à « l’amour de la patrie en préservant le patrimoine national, en travaillant pour le développement, en sauvegardant la paix, la sécurité et l’unité». Comme indiqué par le média Lerenouveau, « s’adressant à la population de la province de Bujumbura, le président de la République a fait savoir que le développement du pays n’est possible que si tous les citoyens burundais connaissent leur pays. C’est pourquoi il organise les séances de moralisation pour sensibiliser la population à l’amour de la patrie.»
Ces séances s’inscrivent dans une campagne plus large initiée en 2021. Elles visent, par la visite de toutes les communes, à développer et unifier le pays. Elles tendent aussi, d’après la présidence, à « mobiliser toute la population burundaise au changement de mentalités et de comportements et d’éveiller tout citoyen à l’esprit patriotique et au développement durable de son pays ». Le chef de l’État déclarait en juin 2021 que, pour parvenir à développer le pays, « tous les citoyens sont appelés à la vigilance contre tout manque de civisme et à dénoncer tous les cas de corruption, de malversations économiques et autres infractions connexes ».
Ces séances de moralisation sont, selon le Président, destinées à sensibiliser la population à « l’amour de la patrie ». Elles cherchent à solidifier le tissu social pour développer un sentiment d’appartenance. La morale est employée pour inciter les Burundais au travail, à la fraternité et au maintien du patrimoine.
Enfin, le président du Sénat a déclaré le 29 mai lors de la prière dominicale « Que le Saint-Esprit nous aide à bien accomplir notre mission ici sur terre et nous donne la force pour réaliser nos objectifs, surtout l’augmentation de la production, comme le Chef de l’État ne cesse de le rappeler. »
Le rôle de l’Église dans le développement
L’accord de Cotonou est un traité encadrant les aides financières européennes aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Il visait à construire des projets de développement infrastructurel et économique, notamment au Burundi. Cet accord engage les États partis à respecter les droits humains et l’État de droit. Après sa rupture (2016), le Président du Conseil des évêques a rappelé le soutien de l’Église au plan de développement. Ce plan a été présenté par le gouvernement pour pallier les sanctions économiques imposées par l’Union européenne au Burundi.
Depuis lors, l’Église occupe un rôle grandissant dans l’essor des ruralités. Ainsi, l’Église devient, par le discours, un acteur majeur de la croissance économique et social. L’Église évangélique s’institue comme nouveau pilier infrastructurel et moral.
Conclusion
Les séances de moralisation par l’unification des imaginaires collectifs nationaux pourraient également reléguer les clivages ethniques au second plan. Une sacralisation du pouvoir politique centralisé serait au contraire promue. Les évangéliques apparaissent comme les nouveaux garants de la république. Ils incarnent les efforts unificateurs de l’église, rempart à la déliquescence des fonctions régaliennes de l’État. Pour autant, la morale politique par son caractère dual expose les citoyens burundais à la diabolisation de l’incivilité, à l’autocontrôle par la dénonciation et à la coercition.
Image : temple de l’église évangélique des Amis (EEA), Twitter