Au Cambodge, le projet de contrôle des documents d’identité accordés de manière « irrégulière » à des habitants en majorité d’origine vietnamienne a été annoncé en avril par les autorités. Le Département de l’Immigration a précisé en octobre que ce plan toucherait environ 70 000 personnes. C’est dans la province de Kampong Chhang, au centre du pays, que cette large opération a débuté, le 23 novembre. Le 12 décembre, la scène s’est répétée dans la capitale Phnom Penh.
Une présence au Cambodge depuis plusieurs générations
Des dizaines d’habitants, en grand majorité d’ethnie vietnamienne, se sont réunis au marché de Borey Roungroeng, dans le quartier de Chroy Changvar, afin de se déclarer à la police de l’immigration. Nombreux sont ceux qui ont vécu au Cambodge toute leur vie, voire depuis plusieurs générations, et qui ne possèdent pas d’autre nationalité. Ces résidents se sont cependant vus privés de leurs papiers. Beaucoup de ces familles avaient fui durant le régime Khmer rouge (1975-79), qui visait entre autres les populations vietnamiennes du territoire, avant de revenir une fois la sécurité rétablie.
Rendre apatrides ces résidents les priverait de nombreux droits fondamentaux
Les documents auraient été délivrés de manière « inappropriée » et conféreraient ainsi à tort la citoyenneté à des « immigrants », a rapporté le Phnom Penh Post. Selon Chak Sopheap, directrice exécutive du Centre Cambodgien des Droits de l’Homme, le fait de révoquer les papiers de ces habitants et ainsi de les rendre apatrides les priverait de nombreux droits fondamentaux, tels l’accès aux soins, à l’éducation, ou encore à l’emploi.
L’impression d’impuissance face aux autorités
Les personnes interrogées se sentent aussi cambodgiennes qu’impuissantes face aux autorités qui leur remettent une « carte d’immigrant » contre leurs documents officiels : carte d’identité, passeport, livret de famille et autres. Une amende est également imposée pour vivre « illégalement » au Cambodge. Beaucoup ne peuvent payer cette somme de 250 000 riels (environ 53 €). A Chroy Changvar, la police a tenté d’empêcher les interviews et a ordonné aux journalistes de supprimer les photographies de l’événement.
Des revendications légitimes pour certains
Me. Lyma Nguyen travaille en faveur des parties civiles, et particulièrement des minorités vietnamiennes au Cambodge, et s’est déjà penchée sur le sujet du statut légal de ce groupe. Elle a notamment été admise en 2009 en tant qu’avocate internationale au tribunal traduisant en justice les principaux dirigeants du régime Khmer Rouge (Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens (CETC)). Elle travaille aujourd’hui au cabinet William Forster, en Australie.
Dans un email, l’avocate nous a répondu que certains membres de cette minorité vietnamienne auraient une revendication légitime à la nationalité cambodgienne. Ces droits seraient accordés autant par des lois anciennes qu’en vigueur. L’obstacle le plus important est cependant pour ces individus de fournir une preuve de cette légitimité. Pour de nombreux Vietnamiens descendants de résidents de longue date au Cambodge, nés durant le régime de Sihanouk, la loi sur la nationalité de 1954 s’appliquait. Cette loi conférait la citoyenneté aux enfants nés sur le sol cambodgien ayant un parent également né sur le territoire*.
Pour beaucoup, une impossibilité de prouver la légitimité de leur revendication à la citoyenneté
Lyma Nguyen développe sur l’impossibilité pour nombre de victimes de prouver leur droit à la citoyenneté. Ils ne possèdent pas ou plus les documents nécessaires (tels que certificats de naissance ou de résidence). Cette situation est en partie dûe à leur départ forcé vers le Vietnam lors des pogroms du régime de Lon Nol (1970-75) et durant le régime Khmer Rouge de Pol Pot. Une fois le contexte apaisé, elles sont revenues au Cambodge dans les années 1980, mais sans documents officiels pouvant prouver leur naissance, et d’autant moins celle de leurs parents.
Selon elle, bien qu’il soit important de débattre du cadre juridique, il apparaît clairement que l’application de ces lois ne donne pas aux membres de la minorité ethnique vietnamienne une possibilité équitable de produire et de prouver leurs revendications en tenant compte de leurs situations historiques et individuelles. Au contraire, les récentes mesures politiques prises au Cambodge semblent suggérer que les autorités voient tous les membres de la minorité vietnamienne (même les résidents de long terme ayant des revendications potentielles à la citoyenneté) comme des immigrants.
* La loi sur la nationalité de 1954 à été remplacée en 1996 par une version plus stricte. Cette modification requiert notamment de pouvoir prouver que les deux parents de l’intéressé sont nés sur le sol cambodgien et y vivent de façon légale.
Image : Tonlé Sap, Cambodia’s Great Lake, By Anne Roberts, CC BY-NC-SA 2.0