Si les questions de fond ne sont pas abordées, les reformes pertinentes amorcées et les mesures d’apaisement multipliées, le problème anglophone au Cameroun pourrait ressurgir sur un format beaucoup plus radical voire violent. C’est le constat établi par le think tank International Crisis Group (ICG), spécialisé dans la prévention et la résolution des conflits armés à travers des analyses de terrain et le plaidoyer, qui vient de commettre un rapport sur la crise en cours dans les régions anglophones du Cameroun.
Anglophones et francophones : un passé colonial qui divise
Le rapport se plonge dans les origines de cette crise qui s’enracine dans un passé colonial, où les cultures des colonisateurs français et britanniques ont façonné les territoires placés sous leur tutelle. Au modèle libéral et pluraliste hérité de la Grande Bretagne, s’oppose le centralisme et l’assimilationnisme légués par le colon français. ICG relate les principaux moments de l’Histoire qui pourraient éclairer l’actualité de la question anglophone. De la période de négociation des termes de la réunification entre le Cameroun anglophone et francophone (au lendemain des indépendances) au projet assimilationniste amorcé par Ahmadou Ahidjo et poursuivie par son successeur Paul Biya, qui a achevé de détruire les derniers vestiges de la République Fédérale du Cameroun, le divorce entre leaders anglophones et francophones s’est figé.
« A mesure des frustrations et des déceptions subies, le désir d’une intégration plus juste et la volonté de mieux vivre avec les francophones s’éclipsent pour laisser place à une aspiration d’autonomie. », constate ICG.
La chronologie des évènements récents, sur lesquels revient le rapport pour expliquer la résurgence de la crise anglophone et la radicalisation du mouvement de contestation, renseigne sur l’ampleur de cette fracture entre deux communautés linguistiques qui tiennent désormais un langage de sourd. Société civile anglophone, leaders politiques, clergés, diaspora anglophone, responsables gouvernementaux, forces de sécurité, communauté internationale, opinion publique sont désormais embarqués dans une crise sociopolitique qui ne manque pas de cliver davantage la population camerounaise :
« La crise en cours a amplifié l’adhésion, très probablement déjà majoritaire, des populations anglophones au fédéralisme, et a renforcé le soutien au sécessionnisme », apprend-on du rapport.
Une accalmie relative
ICG fait remarquer que le mouvement de défiance anglophone et la riposte gouvernementale qui en a suivi ont négativement affecté plusieurs secteurs de l’économie locale et par ricochet leur contribution au PIB national. Les coûts politiques seront sans doute manifestes en 2018, avec de sérieux revers politiques pour le parti au pouvoir et le risque d’un dérapage violent.
Le rapport signale qu’il ne faut pas voir dans l’accalmie actuelle le signe d’un essoufflement du mouvement de contestation. Le mécontentement populaire reste intact et « la prochaine résurgence du problème anglophone pourrait être violente », prédit le rapport eu égard au formes embryonnaires de violence déjà visibles et aux appels à la violence qui se multiplient. Il préconise « le rétablissement de la confiance entre gouvernement et acteurs anglophones, des mesures cohérentes pour répondre aux revendications corporatistes, et des réformes institutionnelles pour répondre au problème national de gouvernance » comme voie de sortie de crise.
Image : By Roke — Self-made based on public domain CIA map