La Constitution en vigueur au Cameroun stipule dans son préambule que « l’État assure la protection des minorités et préserve le droit des populations autochtones conformément à la loi ». En pratique, cette disposition n’assure en rien aux peuples autochtones de jouir des mêmes droits que les autres citoyens. Au-delà des attitudes et comportements discriminatoires dont ils sont victimes, de nouveaux défis émergent et s’imposent à ces derniers. Ces défis sont liés à la multiplication des conflits violents et l’installation d’entreprises multinationales dans leurs zones de peuplement.
Qui sont les peuples autochtones au Cameroun ?
L’évocation de l’expression peuples autochtones au Cameroun renvoie aux communautés Mbororos et aux Pygmées, peuples autochtones des forêts. Les Mbororos ou Fulani sont des éleveurs nomades répartis sur l’ensemble du territoire Camerounais. Plus nombreux dans la région du nord-ouest avec une population estimée à 38 000 personnes, ce groupe présente de fortes concentrations dans plusieurs régions du pays. Recensés dans les régions de l’Adamaoua, l’Est, l’Extrême-Nord, et l’Ouest, on les retrouve également aux frontières avec le Nigéria, le Tchad et la République centrafricaine.
Les Pygmées ou « peuples autochtones des forêts » sont les premiers occupants de la forêt équatoriale et sont présents dans plusieurs pays de la sous-région Afrique centrale. Au Cameroun, ils sont constitués de trois groupes de populations distinctes dont les Bakas, les Bakola/Bagyéli et les Badzang. De loin le groupe le plus grand, les Bakas sont localisés dans les régions administratives de l’Est et du Sud. Ils rassemblent plus de 40 000 personnes réparties dans quatre départements des régions du Sud et de l’Est. Les Bakolas et les Bagyélis occupent principalement 12 arrondissements de la région du Sud. Ils sont présents à Akom II, Bipindi, Campo, Niete, Ma’an, Djoum, Mintom, Meyomessi, Oveng, Bengbis Kribi et Lolodorf. D’une population de plus de 3 700 personnes, les Bakolas/Bagyélis cohabitent avec leurs voisins bantous dont ils parlent également les langues. Le groupe Badzang quant à lui est localisé à Ngambé Tikar dans la région du Centre.
Récentes avancées dans la protection des peuples autochtones au Cameroun
La consécration constitutionnelle de la protection des peuples autochtones dans l’État du Cameroun marque un premier pas dans la volonté politique du pays de défendre les droits des peuples autochtones. Cette volonté s’est réaffirmée par son adhésion à plusieurs instruments internationaux et régionaux en faveur des peuples autochtones.
La ratification des instruments régionaux
Au niveau régional, deux instruments de l’Union Africaine protégeant les peuples autochtones ont été ratifiés par le Cameroun. Malgré leur caractère de textes à vocation générale, ces instruments s’appliquent à tous les Africains, dont les peuples autochtones. La ratification de ces instruments par le Cameroun permet une appropriation par les défenseurs des droits des Mbororos et peuples autochtones des forêts au Cameroun.
La charte africaine des droits de l’Homme et des peuples en vigueur depuis 1986 reprend le principe de l’universalité des droits de l’Homme. Elle réaffirme en même temps son attachement aux traditions historiques et aux valeurs de la civilisation africaine. Les articles 19, 23 et 28 en lien avec la non-discrimination, le droit à la paix, et le devoir de respect nous intéressent particulièrement. L’article 19 stipule en effet que « tous les peuples sont égaux ; ils jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits. Rien ne peut justifier la domination d’un peuple par un autre. » L’article 23, quant à lui, précise que « les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international ». Le dernier, l’article 28 dit que « chaque individu a le devoir de respecter et de considérer ses semblables sans discrimination aucune, et d’entretenir avec eux des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la tolérance réciproques. »
Le protocole de Maputo en vigueur depuis 2005 a été ratifié par le Cameroun en mai 2009. Ce protocole garantit les droits fondamentaux des femmes et aborde les questions spécifiques concernant les femmes africaines. Ce texte reconnaît aux Africaines une protection contre toutes formes de discrimination et de violence. Il interdit les pratiques néfastes telles que les mutilations génitales féminines et garantit l’accès effectif des femmes à l’assistance et aux services juridiques et judiciaires. Le protocole de Maputo est particulièrement intéressant en ce sens qu’il peut et devrait être invoqué pour défendre les droits des femmes issues des groupes considérés au Cameroun comme peuples autochtones. Ces femmes doivent pouvoir bénéficier de l’ensemble des privilèges reconnus aux femmes africaines par ce texte. À ce titre, les articles 24 sur la protection des femmes en situation de détresse et 25 sur les réparations sont particulièrement novateurs. L’article 24 souligne l’engagement des États parties – dont le Cameroun – à assurer la protection des femmes issues des populations marginales et à leur garantir un cadre adapté à leur condition et en rapport avec leurs besoins. Dans son paragraphe a, l’article 25 sur les réparations précise quant à lui l’engagement des États à garantir une réparation appropriée à toute femme dont les droits et libertés, tels que reconnus dans le protocole, sont violés. Le paragraphe b précise que les États s’engagent à assurer que les réparations soient déterminées par les autorités judiciaires, administratives et législatives compétentes ou par toute autre autorité compétente prévue par la loi.
Une souscription à la déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones
Le 13 septembre 2007, le Cameroun a accordé un vote favorable pour l’adoption de la déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones. L’État du Cameroun se doit donc d’accorder de bonne foi une attention particulière à la question des peuples autochtones et le respect de leurs droits. Cette déclaration souligne le droit des peuples autochtones à l’autodétermination, à la terre, l’accès aux ressources naturelles sur les terres et les territoires traditionnellement occupés ou détenus, la reconnaissance des Etats ainsi que la protection juridique à l’égard de leurs territoires.
Une appropriation de la cause des peuples autochtones par les pouvoirs publics et la société civile
Dans la mise en œuvre de ces engagements, les efforts des pouvoirs publics sont observés dans le domaine de l’éducation et la scolarisation des jeunes issus de ces groupes. Cependant, le système formel ne permet pas de répondre aux besoins spécifiques de ces communautés. Ces efforts n’ont pas permis d’éradiquer la discrimination directe ou indirecte dont les peuples autochtones font l’objet. Ils sont loin de jouir des mêmes droits que les autres citoyens. Le Bureau International du Travail dans un guide à l’intention des professionnels des médias fait le constat selon lequel le fait même de les qualifier de peuples autochtones fournit des motifs pour un traitement différencié non pas pour réduire les écarts entre eux et les autres citoyens, mais pour justifier des tentatives d’assimilation forcée ou d’exploitation. L’application du système de troc (échange de produits) pour rémunérer le travail des Pygmées dans les plantations et entreprises d’exploitation forestière est une forme d’exploitation et de discrimination au travail.
Avec la loi de 1990 sur la liberté associative, de nombreuses organisations représentant des peuples autochtones ou inscrivant dans leur agenda la défense de leurs droits ont vu le jour. La plus connue est la Mbororo Social and Cultural Development Association (MBOSCUDA). Existent également l’Organisation camerounaise de promotion de la coopération économique internationale en faveur des Peuples autochtones (OCAPROCE), créée en 1999 ; BAKA OKANI ; la Fondation camerounaise pour la promotion des Pygmées (FOCAPYG) créée en 1996. Ces organisations mènent des actions en faveur de la reconnaissance des peuples autochtones mais aussi la promotion et la protection de leur patrimoine culturel. Elles agissent également pour promouvoir leurs droits à l’égalité et la non-discrimination, la participation et le leadership de ces communautés dans la gouvernance et la gestion des ressources naturelles dont les terres ou les forêts qu’elles ont occupées, possédées ou exploitées.
La multiplication des conflits violents, une menace à la survie des peuples autochtones
Les populations Mbororos ont souvent été en conflit avec leurs voisins agriculteurs le long des pistes de transhumance et des points d’eau dans plusieurs régions du pays. Les droits de propriété revendiqués par les Mbororos sont très souvent rejetés par leurs voisins bantous. Exploitant l’ignorance par les Mbororos de la législation foncière et la procédure d’immatriculation foncière, les Bantous agriculteurs obtiennent des titres d’immatriculation dans l’espace pastoral non délimité par un acte officiel. Ceci justifie le rétrécissement de l’espace pastoral face à l’avancée des plantations. D’où la multiplication des conflits qui débouchent sur la destruction de plantations et du bétail mais occasionnent aussi des pertes en vies humaines.
Avec la crise anglophone, qui a ressurgi en 2016 sous fond de revendication des syndicats d’enseignants et d’avocats du système anglo-saxon, et l’escalade de la violence qui s’en est suivie, la situation des Mbororos du Nord–Ouest s’est profondément dégradée. De manifestations de rues et campagnes de désobéissance civile, la crise s’est transformée en guerre de sécession marquée par des affrontements entre les forces de défense et les groupes radicaux armés qui se multiplient dans la région. Ces groupes ont développé de multiples stratégies de mobilisation des ressources pour financer la guerre qu’ils affirment mener pour l’indépendance de l’‘’Ambazonie’’. Au-delà des financements externes plus consistants, le racket sur les populations, les enlèvements contre rançon et les pillages permettent encore aux groupes armés de soutenir leur lutte et de contrôler l’accès à certaines zones. Les actes de violences dirigés à l’encontre des communautés mbororos dans la région du Nord-Ouest obligent les membres de cette communauté d’éleveurs à se déplacer avec leurs troupeaux vers d’autres régions du pays. Accusés de ne pas soutenir le mouvement séparatiste par une contribution aux effectifs et au budget des milices sécessionnistes qui affrontent l’armée, ils se trouvent menacés d’extermination. Plusieurs membres de la communauté mbororo ont été kidnappés contre rançon ou assassinés. Ils ont également été victimes de pillages et de vol de troupeau. Aussi, leurs campements ont été incendiés dans plusieurs localités. Ce ciblage systématique dont ils font l’objet menace leur survie, leurs institutions et leur pouvoir économique. Ils migrent de plus en plus avec leurs troupeaux vers les régions de l’Ouest et de l’Adamaoua. La lutte des populations autochtones des forêts face aux multinationales de l’industrie extractive mérite aussi une attention particulière. Celles–ci rencontrent d’autres défis :
- Un faible accès aux bénéfices générés par l’exploitation des ressources de leur environnement,
- L’accaparement illégal de leurs terres par les grandes entreprises agricoles et d’extraction minière,
- L’exploitation de leur travail et le déficit d’accès au marché du travail
- Les restrictions d’accès aux ressources naturelles (produits de chasse, cueillette, forêt) nécessaires pour leur survie.
Tout comme leurs voisins des autres pays de la sous-région Afrique centrale, les peuples autochtones font face à de nombreux défis au Cameroun. Si leur nationalité camerounaise ne souffre d’aucun débat, contrairement à ce que l’on a observé avec la question peule en République centrafricaine, ils rencontrent des problèmes similaires. Le découpage arbitraire des frontières nationales par la colonisation fait que ces peuples se retrouvent généralement éparpillés entre deux à trois pays. Ceci a souvent obligé les défenseurs de la cause des peuples autochtones à développer des stratégies transfrontalières. C’est le cas de l’accord sur la transhumance transfrontalière entre le Cameroun, la République centrafricaine et le Tchad ou encore la création d’un réseau des populations autochtones et locales d’Afrique centrale.
Image : Fulani Lady – Ngambé, by Dave Price, Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)