La consultation locale sur l’ouverture d’un cimetière islamique à Saint-Apollinaire, près de Lévis, ne concernait que les voisins immédiats du projet. Dix-neuf des 36 électeurs (sur 49 convoqués) ont voté contre le projet (un autre bulletin a été rejeté). Alors que la majorité de la population semblait être favorable, malgré quelques réserves et questionnements, ce rejet suscite désormais l’inquiétude face à un possible durcissement des divisions. Le maire de la localité, qui avait soutenu le projet, et le secrétaire du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), qui était à son origine, ont exprimé leur amertume et leur désarroi sans savoir quelles suites donner à la demande croissante de nouvelles concessions funéraires pour les populations musulmanes.
Un seul cimetière islamique pour toute la province
Après l’attentat de Québec, le 29 janvier 2017, qui avait fait six morts de confession musulmane, les porte-paroles de la communauté musulmane de la ville avaient alerté le maire, Régis Labeaume, ainsi que le Premier ministre du Québec, Philippe Couillard, sur l’absence de cimetière islamique à proximité. La nouvelle de ce rejet intervient donc dans un contexte très particulier auquel s’ajoute un problème récurrent de manque d’emplacements et d’infrastructures funéraires pour permettre aux familles qui le souhaitent d’inhumer leurs défunts dans le respect des rites islamiques. En effet, dans la province du Québec, le seul cimetière confessionnel islamique (avec une section sunnite et une section chiite, le tout séparé par une clôture) uniquement géré par une mosquée est situé à Laval (nord de Montréal). Il a ouvert en 1993.
En 2012, à Sherbrooke (sud-est du Québec), la communauté musulmane (3 000 à 4 000 personnes) s’était déjà mobilisée pour obtenir un lieu afin d’aménager un cimetière islamique. Le projet avait lui aussi échoué, mais pour des raisons différentes.
Entre difficultés diverses et revendications confessionnelles
Les difficultés sont nombreuses et de natures très diverses. Tout d’abord, des difficultés d’ordre administratives pour trouver de nouveaux terrains et modifier le « zonage » afin qu’il soit compatible avec l’édification d’un site funéraire. Les revendications ne concernent pas seulement des emplacements mais aussi plus largement des infrastructures funéraires pour pouvoir effectuer les rites de préparation des défunts avant l’inhumation. A cela s’ajoute également une volonté d’être pleinement propriétaire du cimetière et de pouvoir assurer l’intégralité des rites prescrits. Il existe aujourd’hui plusieurs cimetières non confessionnels (rares) ou multiconfessionnels (peu nombreux) qui proposent des « carrés musulmans » avec quelques emplacements. Si cette situation peut convenir à une population musulmane peut pratiquante (15 %), cela ne répond pas aux attentes des organisations musulmanes et des mosquées.
A ce sujet, il faut noter par ailleurs que le projet de cimetière islamique rejeté se situait à côté d’une site funéraire multiconfessionnel déjà existant. Et que dans la région de Québec, à Saint-Augustin-de-Desmaures, l’entreprise funéraire propriétaire du cimetière multiconfessionnel a inauguré le 9 juillet dernier une section islamique de 500 lots, avec possibilité d’extension.
Au-delà de la question religieuse, l’intégration…
Actuellement, 65 % à 70 % (chiffre en baisse) des défunts musulmans au Québec sont inhumés dans leur pays d’origine. Mais pour Yannick Boucher, doctorant-chercheur sur les rites funéraires des musulmans au Québec (Université de Montréal), l’accès à une sépulture va au-delà de la question religieuse, de l’attachement à la terre des ancêtres ou de l’amour du pays : « L’enterrement, ça va beaucoup plus loin que l’enjeu du deuil pour ces familles. Ça ancre l’intégration de ces familles au Québec. Mais ces demandes (confessionnelles) sont souvent perçues comme du communautarisme, alors que c’est tout le contraire. Les gens veulent être enterrés ici, près des leurs, parce qu’ils voient que l’avenir de leur famille est ici ». Ce point de vue est aussi celui défendu par L’Association de la sépulture musulmane au Québec.
Une législation des cimetières qui repose sur des entreprises privées et les fabriques
La problématique reste donc ouverte et ce récent rejet d’un deuxième cimetière islamique risque de réanimer des débats sur la présence et l’intégration des populations musulmanes au Québec. Mais pas seulement… Car c’est aussi la législation des cimetières au Canada qui est concernée (même si elle n’est à aucun moment remise en cause). Il faut savoir que les cimetières canadiens sont gérés par des entreprises funéraires privées ou des conseils de Fabrique (autonomes). Ils sont donc majoritairement confessionnels, essentiellement chrétiens et quelques cimetières juifs, malgré l’apparition de sites non confessionnels et multiplication des cimetières multiconfessionnels.
On observe aussi une tendance à l’ouverture sur certains sites comme le cimetière catholique Notre-Dame-des-Neiges de Montréal, le plus grand du Canada, et le 3e plus grand en Amérique du Nord. Il accueille des défunts bouddhistes, grecs orthodoxes et quelques rares musulmans. Quant aux défunts protestants et juifs, ils reposent chacun dans des cimetières adjacents qui leur sont propres.
Par comparaison, en France, les cimetières confessionnels sont interdits depuis 1881 et placés sous l’autorité du maire assortie de l’« obligation de neutralité dans l’exercice de son pouvoir de police des funérailles et des cimetières » (loi du 5 avril 1884). La pratique du « carré confessionnel » dans une partie du cimetière est encouragée, mais il est interdit d’élever toute clôture délimitant cet espace. Si le principe de neutralité des parties publiques des cimetières a été affirmé (art. 28, loi du 9 décembre 1905), les signes et emblèmes religieux sont autorisés sur les sépultures et le principe de liberté des funérailles s’applique, autorisant l’organisation de cérémonies « conformément aux coutumes et suivant les différents cultes ». Cependant quelques exceptions à ce cadre législatif sont à relever. Dans le cadre du régime concordataire s’appliquant, entre autre, à l’Alsace et à la Moselle, la municipalité de Strasbourg a autorisé l’ouverture d’un cimetière confessionnel islamique en 2012. Il existe également quelques cimetières privés, propriétés d’institutions juives, autorisés à conserver leur propriété et leur usage confessionnel depuis 1810, à condition que le cimetière ait été ouvert avant 1804.
Image : Un chemin bordé d’arbres dans le cimetière Notre-Dame-des-neiges, By Lusilier – Own work, CC BY-SA 3.0