Le Vatican révoque « la doctrine de la découverte » :
un pas vers la réconciliation au Canada
En mars 2023, huit mois après le voyage du pape François au Canada, le Vatican a officiellement condamné « la doctrine de la découverte ». Cette doctrine, formulée dans des bulles pontificales de la fin du XVe siècle, a justifié la colonisation européenne. Il s’agit d’une révocation importante pour les peuples autochtones, qui la demandaient depuis longtemps.
Le Vatican rejette la « doctrine de la découverte »
Le 30 mars 2023, deux dicastères du gouvernement pontifical (le dicastère pour la Culture et l’Éducation, et le dicastère pour le service du développement humain intégral) ont publié une « note commune sur la ‘doctrine de la découverte’ ». Ce document « rejette » cette doctrine, affirmant qu’elle « ne fait pas partie de l’enseignement de l’Église catholique », et que le contenu des documents sur lesquels elle repose « a été manipulé à des fins politiques par des puissances coloniales concurrentes afin de justifier des actes immoraux à l’encontre des peuples autochtones qui ont été réalisés parfois sans que les autorités ecclésiastiques ne s’y opposent ». La note poursuit : « Il est juste de reconnaître ces erreurs, de reconnaître les terribles effets des politiques d’assimilation et la douleur éprouvée par les peuples autochtones, et de demander pardon ».
Il s’agit d’une déclaration importante pour les peuples autochtones au Canada (Premières Nations, Inuits, Métis) et pour la réconciliation. Dans le contexte canadien, ce terme désigne un processus qui consiste à « établir et maintenir une relation mutuellement respectueuse entre les peuples autochtones et non autochtones de ce pays », selon la définition de la Commission de vérité et réconciliation (CVR). Celle-ci s’est tenue de 2008 à 2015, avec pour mission de documenter l’histoire des pensionnats autochtones et de « contribuer à la vérité, à la guérison et à la réconciliation ». Selon la CVR, pour que la réconciliation se concrétise au Canada, « il faut prendre conscience du passé, reconnaître les dommages qui ont été infligés, expier les causes, et prendre des mesures pour changer les comportements ».
Qu’est-ce que la « doctrine de la découverte » ?
Une doctrine formulée il y a plus de 500 ans
La « doctrine de la découverte » prend appui sur plusieurs bulles pontificales de la seconde moitié du XVe siècle, promulguées dans le contexte des vastes explorations européennes menées à cette époque : Dum Diversas (1452), Romanus Pontifex (1455) et Inter Cætera (1493). Avec ces bulles (dans lesquelles le mot et l’idée de « découverte » sont mobilisés), Rome « donnait » au Portugal et à l’Espagne les territoires sur lesquels ils avaient débarqué, en Afrique, en Asie et en Amérique. Ces textes reposaient sur l’idée qu’il s’agissait de « terres vacantes » (terra nullius). Dans le même esprit, en 1494, le Traité de Tordesillas coupait le monde en deux et établissait une zone espagnole et une zone portugaise de part et d’autre d’une ligne passant à l’ouest des îles du Cap-Vert. La France et l’Angleterre se sont appuyées sur cette doctrine pour justifier leur implantation au Canada à partir des XVIe-XVIIe siècles, et leur politique de colonisation.
Une doctrine qui a justifié la colonisation européenne
La « doctrine de la découverte » a été progressivement élaborée à partir du Moyen Âge et a des racines dans la tradition biblique. Elle repose sur l’idée que les peuples européens (chrétiens) seraient supérieurs aux autres et que lorsqu’ils arrivaient sur des terres qui pour eux étaient nouvelles, ils en obtenaient le droit de propriété. Selon cette doctrine, ils acquéraient aussi des droits politiques et commerciaux sur les peuples (non chrétiens) qui vivaient là. Le conservateur Travis Tomchuk définit cette doctrine comme « un concept juridique et religieux » et le professeur de droit Robert J. Miller la qualifie de « loi internationale du colonialisme ». En effet, elle a justifié l’accaparement de territoires par les Européens au cours de l’histoire, avec des conséquences dramatiques pour les populations qui se font toujours sentir aujourd’hui. Cette doctrine a durablement influencé le droit et la société au Canada, et également aux États-Unis.
Les écoles résidentielles ou pensionnats autochtones, dont l’objectif était de forcer l’assimilation des enfants et de les obliger à abandonner leur culture, leur langue et leur religion, découlent de cette doctrine. Au Canada, ces écoles ont été mises en place par le gouvernement, surtout à partir de la fin du XIXe siècle, et la dernière a fermé en 1996. L’Église catholique dirigeait 60 % de ces pensionnats et de nombreux abus y furent commis (malnutrition, maladies, abus physiques et sexuels). Plus de 150 000 enfants autochtones y furent envoyés et coupés de leur famille. La Commission de vérité et réconciliation a estimé qu’au moins 3 200 d’entre eux moururent.
Une révocation formelle qui prit du temps
Une condamnation longtemps demandée par les peuples autochtones au Canada
La condamnation formelle de cette doctrine par le Vatican était demandée depuis plusieurs années par les peuples autochtones, dans un contexte marqué par des évolutions politiques significatives. En effet, en 2008, le Premier ministre Stephen Harper présenta les excuses officielles du Canada aux peuples autochtones pour le système des pensionnats. En 2015, la Commission de vérité et réconciliation rendit son rapport et appela à répudier la « doctrine de la découverte » (appel à l’action 49). De plus, la société canadienne a été profondément secouée par la découverte, en mai 2021, des restes de 215 enfants autochtones près d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique. Depuis, d’autres découvertes semblables ont été faites en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, et on dénombre actuellement plus de 1 300 tombes d’enfants retrouvées. Tout cela a contribué à accentuer la pression sur le Vatican.
Des appels pour abolir la « doctrine de la découverte » avaient été faits à plusieurs reprises. Ainsi, en 2016, des délégations autochtones de plusieurs pays (dont le Canada) s’étaient rendues à Rome pour le demander. L’APN (Assemblée des Premières Nations du Canada) fit de même en 2018 avec la publication du document « Abolir la doctrine de la découverte ». Au printemps 2022, des représentants autochtones canadiens réitérèrent cette requête lors d’une entrevue avec le pape François à Rome.
Toutefois, jusqu’en mars 2023, ces demandes de réfutation formelle n’avaient pas abouti. Rome mettait en avant qu’elle l’avait déjà fait. Ainsi, le représentant du Saint-Siège au Conseil économique et social de l’ONU avait affirmé, dans une déclaration en 2010, que les textes pontificaux qui fondent « la doctrine de la découverte » avaient déjà été abrogés. Il mentionnait notamment la bulle Sublimis Deus (1537) dans laquelle le pape de l’époque avait affirmé que les peuples d’Amérique ne pouvaient être privés de leur liberté ni de la possession de leurs terres. Pour sa part, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) avait condamné « la doctrine de la découverte » en 2016, mais la réfutation du Vatican était attendue.
La visite du pape au Canada (juillet 2022) : des excuses, mais pas de condamnation
Lors de la visite du pape François au Canada à la fin fu mois de juillet 2022, les peuples autochtones renouvelèrent leur demande de condamnation formelle. Pendant la messe célébrée à Québec, une banderole « Rescind the doctrine » ou «Abrogez la doctrine » fut brandie. Durant son voyage, le pape se rendit dans plusieurs provinces et territoires canadiens, et rencontra des survivants des pensionnats autochtones. Il demanda pardon pour les abus commis par l’Église catholique. À l’issue de ce voyage, interrogé par des journalistes, il utilisa pour la première fois le terme de « génocide » pour décrire ce qui s’est passé dans les pensionnats autochtones. Rappelons que la Commission de vérité et réconciliation avait conclu à « un génocide culturel » dans son rapport publié en 2015 et qu’en 2019, une enquête menée sur la disparition de milliers de femmes autochtones avait parlé de « génocide colonial ». Toutefois, le pape François ne condamna pas « la doctrine de la découverte » au cours de son voyage au Canada, ce qui déçut les communautés autochtones.
À présent, le temps des actes
Finalement, le Vatican a formellement révoqué cette doctrine en mars 2023, et les peuples autochtones ont salué cette décision. Phil Fontaine, ancien chef national de l’Assemblée des Premières Nations, s’est dit « satisfait et soulagé » et Wilton Littlechild, chef cri et commissaire de la Commission de vérité et réconciliation, a affirmé que c’est un jalon important dans le chemin vers la réconciliation. Toutefois, certains passages de la « note commune » du Vatican ont fait réagir (notamment l’idée que les bulles pontificales auraient été « manipulées » par les gouvernements).
Selon Jean-François Roussel, professeur à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal, « c’est probablement le dernier chapitre du temps des paroles » ; « il faut maintenant que les actes suivent ». Il pourrait s’agir de compensations financières ou encore de la restitution d’artefacts autochtones conservés au Vatican. Des propriétés ecclésiastiques font également l’objet de revendications territoriales. Ces derniers mois, les évêques catholiques du Canada ont créé un Fonds de réconciliation avec les Autochtones, et un travail sur l’accès aux archives a été entamé dans certains diocèses. Donald Bolen, archevêque de Regina (Saskatchewan), a déclaré : « Le vrai travail de réconciliation se fait jour après jour sur le terrain. Nous sommes sur un long chemin de réconciliation ». Avancée importante, cette révocation formelle pourrait aussi inciter le gouvernement canadien à « reconsidérer, avec plus de détermination, les politiques et les pratiques actuelles en matière de droits des peuples autochtones ».
Conclusion
Depuis la fin du XXe siècle, la question des droits des peuples autochtones est de plus en plus centrale au Canada. L’Église catholique a avancé sur le chemin de la réconciliation, et la condamnation formelle de « la doctrine de la découverte » est une étape importante. Il reste encore beaucoup à faire pour réduire les inégalités entre les peuples autochtones et non autochtones dans ce pays.
Bibliographie
Walter Brueggemann, « A Long, Sad History of ‘Discovery’ », Intotemak, 2016, p. 84-87.
Robert J. Miller, « The Doctrine of Discovery », dans Discovering Indigenous Lands: The Doctrine of Discovery in the English Colonies, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 1-25.
Robert J. Miller, « The International Law of Colonialism », Intotemak, 2016, p. 22-26.
Jean-François Roussel, « Doctrine de la découverte : préciser les enjeux théologiques d’une revendication autochtone », Studies in Religion / Sciences religieuses, 2020, p. 1-23.
Travis Tomchuk, « La doctrine de la découverte », Musée canadien pour les droits de la personne, publié le 2 novembre 2022 et modifié le 11 mai 2023: https://droitsdelapersonne.ca/histoire/la-doctrine-de-la-decouverte
Image : mickaël_swan via Flickr, 2022, CC-BY-ND 2.0